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Le numérique pour mieux vivre l’école

Elle a grandi dans l’école. Élève dans une classe unique dans les Alpes-de-Haute-Provence, elle y a vécu aussi, dans le logement de fonction attribué à sa mère enseignante. Son père était professeur de cuisine en lycée professionnel. Dans sa famille, il y avait beaucoup de professeurs des écoles, mais c’est le secondaire qu’elle choisit à l’heure de devenir enseignante à son tour. Elle mène des études en lettres classiques puis modernes, un choix guidé par son goût de Giono, l’écrivain qui a si bien décrit les hautes collines provençales et les passions qui animent les hommes qui y vivent. Elle part d’ailleurs à Paris pour, en maîtrise, étudier la narratologie, passe ensuite le CAPES et revient dans sa ville natale, Manosque, pour effectuer son stage.

Elle commence sa carrière comme remplaçante dans la Chartreuse. Elle apprécie de travailler auprès d’élèves parfois en difficultés mais toujours volontaires. Elle rencontre Françoise Faye avec qui elle échange beaucoup, qui l’encourage à se questionner, à explorer son métier sous toutes ses dimensions. Elle lui propose de collaborer à une recherche de l’Institut national de recherche pédagogique sur le travail des enseignants, plus particulièrement sur la façon dont on accueille les injonctions de la hiérarchie et les incidences dans la classe. Elle saisit l’introduction d’une nouvelle discipline, le management, pour aller interroger des collègues travaillant dans une autre matière et dans un autre contexte que les siens. « Ça a été important pour moi car cela m’a sortie de ma classe et m’a permis de réfléchir sur ma propre pratique. »

Premier projet

Elle est mutée dans un collège de la Drôme, où elle enseigne depuis, auprès « d’élèves contents de travailler », un public qui semble sans problème, sans histoire, sans difficulté. L’important est de traiter tous les points du programme. Alors elle s’interroge sur le sens de cette exhaustivité qui empêche de s’attarder sur le vivre ensemble. Dans un établissement où 95 % des collégiens vont bien, voire très bien, les 5 % restants ont l’impression d’aller très mal. Cette opposition est source potentielle de conflit.

Passionnée par la presse, collectionneuse de journaux anciens, elle créée avec une collègue d’histoire-géographie un journal scolaire sur le modèle des journaux du XIXe siècle. Daniel Salles, du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) vient les conseiller et les accompagner. Le projet est une opportunité d’explorer la presse de l’époque, le traitement d’alors des faits divers, avec notamment des voyages à Paris. Pendant sept ans, Cnewsboss vit et se développe sous formes diverses, en club, entre midi et deux, dans le cadre de l’accompagnement éducatif ou celui des élèves décrocheurs. « Écrire pour être lu donne du sens à l’enseignement du français. J’ai aussi trouvé une nouvelle motivation en travaillant avec une autre discipline. Les élèves s’y sont retrouvés aussi. »

L’expérience lui donne envie de s’investir dans l’éducation aux médias. Elle devient professeure du CLEMI dans la Drôme, travaille sur le thème avec son collègue professeur documentaliste. Ensemble, ils créent une classe média pour faire travailler les élèves sur plusieurs supports médiatiques, dont une web radio et un site. Le projet dure deux ans et s’arrête faute de financement. Une participation de la classe à la dernière de l’émission de France 4 « T’as tout compris » apparaît alors comme un aboutissement.

L’arrivée des tablettes

Et puis, dit-elle, « je voyais des productions satisfaisantes sur l’écriture journalistique mais on était dans la transversalité, le savoir être, les valeurs. J’avais peut être laissé de côté le travail de la langue. » L’opportunité d’y revenir naît avec l’arrivée de tablettes dans le collège. Elle entend parler de la twictée, y voit l’occasion de travailler autrement et en profondeur l’orthographe, « une manière d’être à la fois sur des résultats tangibles et de motiver les élèves sur ce qui est un gros attendu des parents dans ce collège ». Depuis quatre ans, elle utilise Twitter à des fins pédagogiques. Cette année, une doctorante vient observer l’expérience dans le cadre du projet « TAO : Twictée pour apprendre l’orthographe », subventionné par le Programme d’investissements d’avenir (PIA) E-FRAN et porté par le laboratoire Cognitions humaine et artificielle de l’université de Créteil. L’objectif est d’évaluer l’évolution des compétences orthographiques avec la twictée, « de mesurer ce que l’on constate de façon empirique ».

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Les tablettes, acquises sur appel à projets, arrivent d’abord par classes mobiles puis sont attribuées individuellement aux élèves de 5e et de 4e ainsi qu’aux enseignants. Les collégiens peuvent les ramener à la maison. « Les tablettes ont amené de la facilité. Je faisais déjà beaucoup de choses sans mais qui sont devenus plus faciles avec : différencier, choix du média par les élèves pour produire, rendre les élèves actifs dans la classe en échangeant des infos de manière rapide. » Elle constate aussi les effets positifs sur l’ambiance de classe et l’estime de soi, avec des situations pédagogiques qui permettent à l’élève d’avoir un retour rapide sur son travail. Elle travaille le code, avant qu’il ne soit intégré dans les programmes, pour créer avec ses classes un jeu vidéo sur le thème du bien vivre au collège et en tant qu’élève. Elle explore les possibilités offertes par les tablettes dans des domaines variés.

Une artiste dans la classe

Elle profite du dispositif de classe culturelle numérique proposé par le département de la Drôme pour visiter le volet créatif avec ses classes de 5e et 6e. Les classes et les enseignants impliqués s’engagent dans une correspondance d’une année, reçoivent l’artiste qui donne cinq consignes pour accompagner la réalisation artistique.

Cette année, la photographe Marine Lanier propose un voyage imaginaire et réel dans lequel elle invite les élèves à devenir les explorateurs d’une île. « C’est une autre façon d’utiliser les tablettes pour créer quelque chose de beau. La tablette est un objet polymorphe qui peut être détourné et rend les choses plus faciles, la réalisation des idées. » Elle travaille avec un enseignant de technologie afin d’utiliser la programmation d’un robot pour raconter comment on se déplace dans l’île et en faire film artistique.

Avec les 5e, elle utilise aussi la plateforme de lecture collaborative Glose, une librairie en ligne avec fonctions liseuse et dictionnaire intégrées. Elle remarque que beaucoup d’élèves sont soulagés de pouvoir lire avec des caractères plus gros. Ce que le réseau social de lecture permet surtout, c’est de partager ses impressions, d’interagir avec d’autres lecteurs et l’enseignant en pouvant surligner des passage, commenter dans la marge et par un fil de lecture, mettre en commun les commentaires. « Nous étudions Alice au pays des Merveilles. À propos du passage où Alice parle à une chenille et à un pigeon, j’ai demandé aux élèves de surligner la question qui leur a paru la plus étonnante et d’expliquer pourquoi dans la marge. Le cours est construit à partir de ça. Cela implique l’élève dans la lecture. » Avec une enseignante d’Éducation physique et sportive, elle mène un projet autour de l’auteur de théâtre Philippe Gauthier, mêlant danse et art dramatique : THEA, dispositif de l’OCCE. Au fil de ce qu’elle mène, l’idée d’utiliser le numérique pour être lu, vu par les autres, est constante.

Partages et échanges

Elle partage son expérience, les compétences pédagogiques et techniques acquises au fil des années en tant que référente numérique dans son établissement et de formatrice numérique interdisciplinaire. Elle accompagne les utilisateurs au quotidien et dans des projets au long cours. « Je pense que la première chose est d’être en classe et après, quand je fais des formations, je parle de ce que je fais. Cela me semble nécessaire sur des problématiques pédagogiques, sur comment travailler sur la motivation des élèves, l’ambiance de classe avec des tablettes et même avec utilisation très légère. »

Dans son département, elle s’occupe de l’Autonome de solidarité laïque, « une association partenaire de l’Éducation nationale qui œuvre pour l’apaisement du climat scolaire ». Elle y voit un engagement complémentaire de son travail, une façon d’accompagner des collègues qui rencontrent des difficultés avec des élèves, des parents, qui vivent des conflits. L’expérience l’enrichit, lui permet de « réfléchir de façon plus approfondie sur les missions de l’école, les valeurs que l’on doit y transmettre ».

Elle qui craint d’être corsetée voit dans ses activités, dans l’ouverture et la transversalité qu’elles supposent, un moyen d’apprendre sans cesse, de faire évoluer ses méthodes et pratiques pour impliquer ses élèves. « Je suppose que quand moi je m’ennuie, les élèves s’ennuient aussi. Je ne suis pas dans un collège difficile mais cela ne veut pas dire que c’est toujours facile de motiver. Les élèves sont souvent stressés par la note. Revenir au sens est nécessaire. »

Elle souligne l’apport des rencontres et des échanges, dans le cadre de la communauté impliquée dans la twictée, au sein de la délégation académique du numérique, dans le quotidien avec ses collègues. Elle dit bénéficier d’un accompagnement départemental et académique au-delà du technique, dans la compréhension et l’encouragement. Magali Eymard Piquette est une enseignante qui vit avec bonheur son métier, dans des conditions qu’elle qualifie de favorables. Le numérique est un moyen, qu’elle a saisi pour inventer au jour le jour un métier où elle se sent heureuse, portée par des conditions qu’elle qualifie de favorables.

Monique Royer


Pour aller plus loin :

Renforcer l’image de soi par des productions humoristiques : le projet « Journal du Passé »

CnewsBoss

L’émission « T’as tout compris » avec les collégiens de Chabeuil

« La twictée pour préparer la dictée négociée », son témoignage sur la page Lettres de l’académie de Grenoble

Programmer un jeu vidéo pour réussir

Le projet classe artistique numérique