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Le mot, la chose… et la loi

« Fils de pute ! » L’enfant est en 6e. Il retourne à sa place en maugréant, il est contrarié et fâché d’avoir dû obtempérer. Le mécontentement légitime de l’enseignant amène ce dernier à interrompre officiellement son cours pour faire une leçon à l’enfant. « Tu veux dire que ma mère est une prostituée ! Est-ce que tu veux que je lui dise, que je lui donne ton nom ? » L’enfant est confondu, il ne lui semble pas avoir soupçonné une chose pareille. Il s’excuse. Il est sanctionné par une journée d’exclusion.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. L’enseignant a, paraît-il, « menacé » de régler la prochaine fois une pareille affaire lui-même, entre hommes ! Le parent d’élève venu s’étonner de ces promesses est reçu froidement. L’enseignant soutenu par ses collègues porte plainte pour diffamation et demande à la classe de témoigner en sa faveur ! Certains élèves courageux refusent de se prononcer.
Les insultes, le plus souvent à connotation sexuelle, semblent ces temps-ci beaucoup plaire aux enseignants. On voit en effet les murs des salles des profs se couvrir de courriers envoyés aux parents répétant textuellement l’insulte adressée à l’adulte. À en avoir la nausée.

Que se passe-t-il pour que les adultes prennent le mot pour la chose ? Comment vont-ils s’en sortir avec une fille qui « s’en bat les couilles » s’ils s’attachent autant au registre du réel ? Voilà bien le problème : la métaphore s’absente. Au lieu de parler avec l’enfant pour l’amener à changer de registre, en se situant sur celui de l’imaginaire, l’enfant est envoyé devant les tribunaux. Nous voilà bien aise. Merci la loi. Merci à M. Perben d’avoir abaissé à dix ans l’âge de la majorité pénale.
Comment vont grandir les enfants dans un temps de l’enfance à ce point grignoté ? Quelle parole d’adulte fiable va-t-elle leur permettre de comprendre que l’on ne peut pas tout dire, que l’on ne peut pas tout faire ? Quel espace de civilités a-t-on à leur offrir plutôt que de geindre sur leurs incivilités ?
Des adultes fiables, des modèles identificatoires ? Il suffit de déjeuner à la cantine ou de prêter l’oreille aux conversations de salles des profs pour se rendre compte que tous les adultes ont réglé la question de la grossièreté et que les propos graveleux ne sont que de l’humour. Pardonnez la pruderie de ceux qui s’en offusquent, ils ont sans aucun doute une fâcheuse tendance à prendre le mot pour la chose…

Marthe Mullet