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Le moral des inspecteurs IEN, IA-IPR. Qualité de vie au travail et épuisement professionnel

Poursuivant ses recherches sur le climat scolaire, la qualité de vie ou le moral des catégories nombreuses de l’Éducation nationale, Georges Fotinos, Inspecteur Général (IGEN) qui a parcouru tous les échelons de l’enseignement du premier et du second degrés, réussit l’exploit de mener une enquête à grande échelle sur les inspecteurs en y associant le ministère et un des principaux syndicats. C’est la première fois que leur moral est diagnostiqué à partir d’un échantillon représentatif (607 pour celles et ceux qui sont regroupés dits de l’Éducation Nationale – IEN – qui regroupe le premier degré, l’adaptation scolaire et le handicap, l’enseignement professionnel et l’orientation même si ces derniers sont les seuls à ne pas « inspecter » !). Les difficultés de recueil ont été plus nombreuses pour les IA-IPR (222) dont la double valence (PR pour Pédagogiques Régionaux et IA pour Inspecteurs d’Académie) est plus symbolique que réelle. La décision prise de ne les incorporer que « sur le registre de la comparaison avec les résultats de l’enquête IEN » (p. 22) est fondée et l’on pourrait même suggérer d’attendre des travaux ultérieurs pour confirmer notre hypothèse d’un corps aux composantes encore plus hétérogènes.

Pourquoi s’intéresser au moral des personnels de direction (Fotinos, 2008) et maintenant à celui des inspecteurs ? Le premier chapitre s’inscrit dans l’école de Mayo (1933 et 1947) et de l’importance des relations humaines dans la qualité du travail fourni, même s’il en souligne les limites. Puis vient la présentation de l’enquête avec l’analyse du questionnaire et des résultats. Cette courte présentation ne peut en dévoiler la richesse et se voit contrainte de pointer les trois ou quatre éléments qui rendent difficile, voire impossible, la contribution des inspectrices et inspecteurs au « changement à court et moyen termes » (p. 17). En gros, « rien ne va plus ! Arrêtez de faire vos jeux et vos réformes » ! Peu ou pas de marge d’initiative. Des décisions prises d’en haut sans consultation. Un temps de travail qui ne respecte la durée légale que pour 3 % des répondants. Travail administratif et gestion des conflits viennent au premier rang des activités alors qu’ils ne sont pas prioritaires pour le changement. Même les réunions imposées priment sur les inspections à proprement parler. Tous ces éléments expliquent le paradoxe d’un métier qui fait sens pour les intéressés dont la moitié ne se sentent pas reconnus. Deux sur trois ne perçoivent pas de possibilité de mobilité. Deux questions ouvertes permettent de comprendre que si les élèves et les enseignants sont au cœur des préoccupations, les contraintes qui « empêchent » une action réelle sur eux déterminent une sixième place pour la pédagogie. Le moral est mauvais et ce qui aggrave la difficulté, c’est qu’il l’est d’autant plus quand il s’agit de jeunes ou de personnes entrées récemment dans ces corps. Ce qui étonne également, c’est la convergence des estimations en ce qui concerne l’écoute et le soutien de la hiérarchie. On se retrouve proche du 2/3 pour l’insatisfaction et 1/3 seulement pour l’inverse si l’on ne tient pas compte de celles et ceux qui ne voient pas de changement. La seule nuance serait dans une marge d’autonomie un peu plus grande et une moindre dépendance de la hiérarchie pour les IA-IPR (p. 57).

La deuxième partie de l’ouvrage est plus clinique. Le relais est passé à un psychiatre, José-Mario Horenstein, praticien et chercheur dans ce domaine. Il étudie ce qu’il en est des 25 % qui sont présumés en « épuisement professionnel » et surtout des 9,33 % qui sont diagnostiqués en « burnout clinique » (p. 65), effectif qui lui semble « gérable médicalement » (ibid.). Mais quelle entreprise pourrait se permettre une telle gabegie ? Plus technique et marquée par une prudence bienvenue dans la manipulation clinique de résultats issus d’une enquête déclarative, cette partie n’en révèle pas moins que les métiers de l’éducation sont en tête pour l’instauration d’un « climat de burnout » (p. 77-79). On peut affirmer que tous les éléments réunis tendent à confirmer dégradation du moral, accroissement de la charge de travail et des facteurs de stress.

Très bref, le dernier chapitre sur la prévention du burnout multiplie les niveaux de prévention (primaire, secondaire et tertiaire) sans s’attaquer à ce qui pourrait être présenté comme une hypothèse foucaldienne : pourquoi continuer à inspecter si l’on a renoncé à punir ? Autrement dit, on pourrait questionner la conclusion et ses propositions qui ne retiennent comme causes principales que « les caractéristiques du métier et le mode de gestion de la profession » (p. 105). La loi de 2013 passe la brosse à reluire sur les corps d’inspection alors que 97 % d’entre eux sont obligés de dépasser la durée légale du travail pour aboutir à des résultats dont ils ne sont qu’à moitié satisfaits. Le diagnostic sur le corps qui devrait améliorer le fonctionnement du système éducatif par ses allers et retours entre responsables nationaux et ou régionaux et enseignants ou élèves est cruel. Faut-il le conserver ? le transformer ? lui donner plus de moyens et de reconnaissances ? Pourquoi cette indifférence et cette relative inaction par rapport à un rouage essentiel mais en bien mauvais état du système éducatif français ?

Richard Etienne