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Le jeu et les apprentissages mathématiques

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I. « Chemins et bandes de couleurs » (Grande section)

Ce jeu est emprunté à Lucette Champdavoine[[« Les mathématiques par les jeux » grande section et CP, Lucette CHAMPDAVOINE, collection « vivre à la maternelle », Fernand Nathan.Commander l’ouvrage avec Alapage]].
Il se présente sous forme d’une planche sur laquelle se trouvent 4 chemins identiques, parallèles et rectilignes de 30 cases chacun. Chacun d’eux est partagé en 5 groupes de 6 cases de couleurs différentes.

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On dispose également d’un dé classique et de jetons des mêmes couleurs que les cases du jeu. Il faut plus de 24 jetons par couleur.

La règle du jeu est :

  • chaque enfant à son tour lance le dé,
  • il prend autant de jetons que de points sur les dés et les place sur les cases de son chemin, sachant qu’il y a un jeton par case et que celui-ci doit être de la même couleur que la case.
  • le gagnant est celui qui a rempli le premier tout son chemin.

L’objectif d’apprentissage de ce jeu est de rendre les élèves capables de décomposer les nombres jusqu’à 6 en utilisant des procédures personnelles. Par la mobilisation des connaissances en cours d’acquisition, les élèves les approfondiront ou en construiront de nouvelles.

Comme nous le verrons dans l’analyse, l’introduction d’une variable didactique viendra enrichir le corpus de procédures en cours de progression de ce jeu.

Déroulement et analyse de la situation

Attachons-nous maintenant au déroulement et à l’analyse de cette situation. Au premier lancer il s’agira de prendre autant de jetons jaunes que de points sur le dé. Bien sûr, il ne faudrait pas que cela pose problème aux joueurs vu la richesse des connaissances en jeu par la suite.
Par exemple : dé 4 → 4 jetons jaunes

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Dès le deuxième lancer, ils ont de fortes chances de se trouver confrontés à une situation leur posant problème, et celle-ci se répètera très souvent. En effet le lancer du dé sera supérieur au nombre de cases restant dans la couleur commencée.

Suite de l’exemple : dé 5 → 5 jetons, mais de quelle couleur ?

C’est là que l’analyse de la situation devient intéressante eu égard à l’objectif. Le problème doit donc être verbalisé par les élèves au cours d’un atelier dirigé.

Voici la question qui se pose au joueur :
« J’ai fait 5 avec le dé. Il me reste 2 cases jaunes. Combien de cases bleues seront-elles occupées ? Ainsi, combien de jetons jaunes et de bleus dois-je prendre ? »

L’enseignant doit être conscient que, au-delà de la décomposition du nombre 5, on est implicitement dans le domaine des problèmes additifs et soustractifs structurés à l’école élémentaire. La GS trouve avec ce jeu une justification de sa place de charnière entre la maternelle et le cycle 2 auxquels elle appartient en même temps.

Revenons à notre simulation. Quelles procédures, les élèves vont-ils pouvoir proposer, sachant qu’il faut avoir 5 jetons ? En voici une :

  • ils vont repérer le nombre de cases jaunes : 2,
  • ils vont prendre 2 jetons jaunes puis continuer à réciter la comptine numérique jusqu’à 5 en piochant des bleus et ceci sans jamais savoir combien ils ont de bleus.

Cette procédure est possible si l’élève se sert lui-même dans une réserve commune de jetons. Cette démarche est intéressante dans la phase d’appropriation du jeu car elle ne nécessite pas trop de connaissances. Toutefois, pour favoriser la construction de nouveaux apprentissages ou pour en consolider d’anciens, l’enseignant devra faire verbaliser les élèves sur l’issue du partage.

Exemple : « j’ai pris 5 jetons, 2 jaunes et 3 bleus. 1, 2, 3, 4, 5.»

Enrichir la situation didactique

Bien entendu il va falloir faire évoluer le jeu afin d’augmenter le corpus de procédures et d’empêcher les moins intéressantes du point de vue de la compétence visée. La démarche précédemment explicitée devra ainsi céder le pas sur d’autres plus sujettes à introduire la décomposition raisonnée des nombres. C’est ainsi que l’on va introduire la variable didactique qui consiste à ce qu’un meneur de jeu, la maîtresse en atelier dirigé par exemple, donne aux élèves les jetons qu’ils devront alors commander. Ils seront donc obligés d’analyser la situation qui se présente à eux et anticiper son issue en terme de quantité de jetons de chaque couleur.

Ainsi de nouvelles procédures pourront émerger, bien que certains élèves soient capables de les mettre en œuvre sans cette variable didactique. En voici certaines :

  1. L’évaluation de la quantité de jetons de la couleur en cours de remplissage va dépendre du nombre de cases encore vides. Si ce nombre est inférieur à trois, la perception immédiate sera possible. Sinon l’élève devra dénombrer les cases et mémoriser ce résultat. Quels moyens leur donne-t-on alors ? Une bande numérique sur laquelle repérer ce nombre et le situer par rapport au total à atteindre? Du papier et du crayon pour prendre des notes ? Leurs doigts ou la mémoire seule ? Ces différentes pistes peuvent être l’occasion de différencier au sein d’un groupe.
  2. Ensuite il leur faudra trouver le complément dans la couleur suivante pour atteindre le total du dé.

Voici quelques situations intéressantes et leur analyse mathématique. On part du principe que l’on est au deuxième lancer.

Nombre de cases jaunes non remplies au premier lancer sur les 6 de la zone
Lancer du dé
Formalisation mathématique de la situation (non présentée aux élèves)
(jaunes +x bleues = dé)
Notions en jeu
2
1
5
6
2 + x = 5
1 + x = 6
Le complément.
Subitizing possible pour le 2 et le 1.
3
4
3 + x = 4
Le suivant sur la bande numérique ou « un de plus ».
3
6
3 + x = 6
Les doubles
4
6
4 + x = 6
Le complément. Nécessité de mémoriser le 4.

Les élèves développent alors des procédures variées :
a) Sur leur chemin, ils comptent le nombre de cases correspondant au lancer du dé, ils repèrent la dernière avec le doigt puis estiment les deux collections en dénombrant ou par perception immédiate.

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b) Ils se servent de leurs doigts comme collections relais dans les deux couleurs, une sur chaque main et ils recomptent tout avant de passer commande.

c) Ils repèrent globalement le nombre de cases de la couleur en cours puis ils surcomptent avec leurs doigts ou sur le jeu jusqu’à atteindre le total des dés. Ils en déduisent la quantité de jetons de la deuxième couleur.

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d) Ils utilisent leurs connaissances sur les nombres : les doubles, les suivants et précédents sur la bande numérique, les premiers résultats additifs mémorisés.
« 6 c’est 3 jaunes et 3 bleus car 6 c’est 3 et 3 » (raisonnement cardinal), « 4 c’est 3 jaunes et 1 bleu car 4 vient juste après 3 » (raisonnement ordinal).

Ce jeu est un support idéal pour faire émerger toutes les décompositions additives des nombres jusqu’à 6 avec le souci de créer un premier répertoire additif qui aura ainsi du sens pour les élèves. Cela peut-être l’occasion d’introduire, oralement ou par écrit, le mot « plus » ou le signe « + » en situation de jeu.

Il est important que l’enseignant fasse verbaliser ses élèves sur leurs démarches et leur fasse expliciter les connaissances utilisées afin que tous puissent comprendre, analyser et s’approprier de nouvelles procédures, savoirs et savoir-faire qui prendront alors tout leur sens. La structuration de l’enseignant qui utilisera un vocabulaire précis et qui aura recours à des outils comme la bande numérique sera un atout de qualité.

Jouer pour apprendre, apprendre pour jouer ?

Outre ce travail sur la décomposition des nombres jusqu’à 6, le jeu des « chemins et bandes de couleurs » présente un autre intérêt lié à son enjeu. Si l’on adopte le jeu comme situation d’apprentissage c’est bien parce que le but de gagner est une motivation essentielle pour les élèves. C’est ainsi que les enfants se trouveront impliqués dans une dynamique à laquelle ils adhèreront et qui pour eux donne du sens à ce qu’ils apprennent. Ce jeu, pour l’avoir vécu en classe, s’inscrit dans cette ligne.
Etant donné que tous les chemins du support sont parallèles, superposables et qu’ils partent du même axe, il est aisé de savoir qui gagne.

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À l’enseignant d’exploiter verbalement cette émulation.

– (A) gagne car son chemin est plus long. On peut donc ramener cette comparaison à des activités liées à la mesure.
– On peut aussi faire expliciter la différence qui sépare les deux collections de cailloux. « (A) en a 4 de plus que (B) » ou « (B) en a 4 de moins que (A). On travaille donc la notion d’écart entre deux mesures sans même connaître leurs valeurs. Il est alors intéressant de faire anticiper les lancers du dé qui pour (B) lui permettront de devancer (A). (Situation possible ou pas avec le dé de 1 à 6). On réinvestit donc la connaissance de l’ordre sur les nombres.
– On peut également leur faire dénombrer les différentes collections de cailloux et comparer les nombres obtenus.

Ce jeu excessivement riche peut faire l’objet dans le temps d’une progression très intéressante. Je conseille également de travailler avec « la tour infernale », jeu que l’on trouvera dans le même livre que « Chemins et bandes de couleurs » et qui vise des objectifs similaires pour les nombres jusqu’à 4, mais en rajoutant du sens aux décompositions additives car on sera en situation de soustraction.

II. Les Barbouilleurs (Moyenne section)
Édité chez Dagobert

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Matériel : Ce jeu est constitué de 8 familles d’animaux différents déclinés chacun en 5 couleurs. Il y a aussi 3 caméléons qui font office de jokers.

La règle du jeu est la suivante. On distribue 6 cartes à chaque joueur, le reste constitue la pioche. On retourne une carte pour démarrer le jeu puis le premier enfant pose une carte à la condition qu’elle soit ou de la même couleur ou de la même famille d’animaux que la précédente. Le caméléon peut se placer sur n’importe quelle carte, l’élève qui le pose doit alors préciser quelle couleur il choisit pour la suite. Il y a donc de la stratégie à découvrir à l’occasion de cette situation. Le gagnant est celui qui a posé le premier toutes ses cartes. Quand on ne peut pas jouer, on pioche.

La notion travaillée ici est la double propriété. Il est intéressant de faire différents classements avec les enfants avant de jouer, afin de les rendre capables d’énoncer les caractéristiques en jeu : la couleur ou la famille, la couleur et la famille. Une carte possède les deux propriétés en même temps. En situation d’apprentissage, il est important, au cours de la partie, de faire verbaliser les élèves sur leurs choix.

Par exemple :

— « pourquoi poses-tu cette carte ? »

— « parce qu’elle est rouge. Rouge va avec rouge. »
ou :

— « parce que c’est un renard. Un renard va avec un renard. »

Les élèves seront donc obligés d’analyser la carte placée par le joueur précédent, d’en dégager les caractéristiques nécessaires au jeu : la couleur et l’animal. C’est là que la verbalisation est une étape indispensable à l’appropriation de la situation. Ensuite les enfants devront sélectionner parmi toutes leurs cartes celles qui possèdent l’une des deux propriétés utiles pour résoudre le problème qui se pose à eux : « arriver à placer une carte compatible avec la précédente ». Les deux propriétés conjointes sur le dessin doivent donc être dissociées pour jouer.

III.« Savez-vous planter les choux ? » (moyenne ou grande section)

En ce qui concerne les « moyenne section » voire les « grande section », « Savez-vous planter les choux » également de chez Dagobert, vaut que l’on s’y intéresse pédagogiquement pour ce qu’il permet de travailler dans le domaine numérique.

Matériel : Ce jeu est constitué de :
– 30 cartes chou sur lesquelles sont dessinés1, 2 ou 3 choux,
– 2 cartes escargots,
– 4 cartes puzzle donnant, une fois assemblées, un hérisson jardinier.

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L’enjeu du jeu est de collecter le plus de choux possible pendant la partie. Cette dernière s’arrête une fois que le hérisson est entièrement reconstitué.

Règle du jeu : les cartes sont mélangées et posées à l’envers sur la table pour former une pioche commune à tous les joueurs. Chacun à son tour tire une carte.
– Si c’est une carte chou, le joueur la garde.
– Si c’est une carte hérisson, il la pose face visible sur la table de façon à pouvoir petit à petit construire le puzzle.
– Si c’est un escargot amateur de choux…..plusieurs possibilités s’offrent alors aux joueurs.

Ces variantes constituent des variables didactiques car les compétences travaillées ne sont pas les mêmes.

  1. Première variante : l’escargot mange tous les choux du joueur qui se trouve alors obligé de remettre toutes ses cartes dans la pioche. On imagine la frustration de certains enfants.
  2. Deuxième variante : l’escargot ne mange qu’un certain nombre de choux. En fonction des élèves on peut proposer par exemple 3 ou 5 choux.

L’intérêt de cette variante est que l’on va travailler les décompositions des nombres. Pour ce qui est de 3, on arrivera à :

  • une carte 3 choux
  • une carte 2 choux et une carte1 chou : 3 = 2 + 1 = 1 + 2
  • 3 cartes de 1chou chacune : 3 = 1 + 1 + 1

Par contre si l’escargot en dévore 5, la situation s’enrichit considérablement :

  • 5 = 1 + 1 + 1 + 1 + 1
  • 5 = 2 + 1 + 1 + 1
  • 5 = 2 + 2 + 1
  • 5 = 2 + 3
  • 5 = 3 + 1 + 1

Si l’on choisit cette variante, on permet au jeu de rester dynamique et motivant car l’issue de la partie est plus aléatoire que dans la première variante.

Du point de vue mathématique on travaille la compétence suivante : « être capable de décomposer un nombre en somme de plusieurs termes ». Que le signe « + » soit introduit ou pas, on peut faire la collecte de toutes les situations rencontrées ou possibles à l’aide d’un tableau à double entrée, par exemple.

Quelle que soit la variante choisie, ce jeu est pédagogiquement très pertinent car en fin de partie les élèves sont amenés à savoir qui a gagné, donc qui a le plus de choux. Plusieurs procédures sont alors possibles : non numérique ou numérique.

A. Procédure non numérique :

Sans savoir combien chaque élève a de choux au total, on peut procéder à de la comparaison terme à terme (1chou ↔ 1 chou) ou paquet à paquet (2 choux ↔ 2 choux ; 3 choux ↔ 3 choux). Celui à qui il reste des cartes, a gagné. Cette procédure trouve vite ses limites quand on joue à plus que deux, d’où l’intérêt de développer de nouvelles stratégies et donc compétences.

B. Procédure numérique :

  • Premier écueil :
    Il faut compter les choux et pas les cartes comme les enfants sont tentés de le faire. En effet, les cartes ont des valeurs différentes : certaines valent 1, d’autres 2 et d’autres encore 3. Les élèves travaillent donc cette notion fondamentale qui est la différence entre valeur et quantité.
    Deux élèves peuvent avoir autant de cartes l’un que l’autre, mais pas autant de choux.
    Cette notion sera approfondie avec différents outils comme les abaques, les cartes à points et la monnaie au cycle 2 et contribuera à la construction et au sens de notre numération et de ses propriétés dès le CP.

Mais revenons à nos classes maternelles. Lors du dénombrement des choux on arrive facilement à des collections de plus de 15 éléments. On entraîne donc la comptine numérique assez loin en lui donnant du sens au sein d’un jeu.

  • Deuxième écueil :
    Il faut conclure le dénombrement par la verbalisation du nombre de choux de chaque joueur. On travaille donc l’aspect cardinal du nombre. Comme chacun doit mémoriser sa quantité, le nombre prend du sens dans une situation de communication. Les nombres énoncés pourront être marqués par la maîtresse sur la bande numérique au moyen de jetons. Les élèves seront donc confrontés aux écritures en chiffres de nombres plus grands que ceux sur lesquels ils travaillent habituellement. On étend donc le domaine des nombres fréquentés par les enfants et on leur permet de construire des premiers repères sur les écritures chiffrées et sur l’énonciation de ces nombres.
  • Troisième écueil :
    Il faut comparer les nombres. La bande numérique sera alors d’une aide efficace. En l’utilisant dans cette activité de comparaison on lui donnera du sens auprès des élèves en même temps que l’on renforcera la connaissance et la construction de la suite numérique.

À l’issue de tout ce travail le gagnant sera désigné.

Il est bien d’autres jeux intéressants du point de vue de la construction des connaissances des élèves. On peut citer entre autres ceux de la maison Dagobert et ceux de chez Djeco comme : le jeu des 7 familles pour les MS, « Kat’bouille », « Oudordodo », « Bata-Waf », « Sardines »… Ces jeux ont l’avantage d’être peu chers, beaux, bien conçus et ils se trouvent facilement dans le commerce.

Sylvie Kirchmeyer, Professeur de mathématiques à l’IUFM de Lorraine, Site de Bar-Le-Duc.


Lire dans la revue l’article de Joël Briand
Que faut-il pour qu’il y ait apprentissage – Situations mathématiques à l’école maternelle (p.21)