|
Le sous-titre du livre évoque bien sa thématique centrale : comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire ? et devrait intéresser au premier chef les pédagogues et éducateurs qui ont à gérer la contradiction contenue dans l’injonction paradoxale : " sois (ou deviens) autonome ! ". Les auteurs, travaillant dans le champ très vaste de la " psychologie sociale ", en s’appuyant sur des enquêtes ou recherches-actions très suggestives, nous livrent quelques techniques quasi imparables pour, par exemple, amener des étudiants à choisir de se livrer à des travaux fastidieux ou pénibles, des ouvriers à mieux respecter les normes de sécurité ou des lycéens à mieux se protéger contre le SIDA. Alors que la contrainte ou l’incitation gratifiante ne marchent guère, surtout si on veut modifier, non des opinions mais des comportements, la mise en œuvre par l’individu concerné d’un engagement, même minime au départ, fait obtenir des résultats spectaculaires (ce que les auteurs appellent un " pas-de-porte " ou ce qu’ils désignent comme " escalade de l’engagement "). Et on note au passage les applications suggérées dans le domaine scolaire : obtenir un engagement des élèves, leur donner un sentiment de liberté de choix (qu’on pense aux négociations autour d’un règlement intérieur), pratiquer le renforcement positif, tout cela surpasse largement en efficacité " la carotte ou le bâton ". Ainsi, des étudiants à qui on donne une rémunération pour une tâche donnée se sentent beaucoup moins liés au comportement qu’ils ont adopté et l’abandonneront très vite, au contraire de ceux qui se sont engagés gratuitement.
À la fin du livre, les auteurs répondent aux objections (en particulier d’ordre éthique) qui pourraient leur être faites et précisent leurs conceptions du comportement humain, tout en envoyant une volée de bois vert à nombre de leurs confrères, ce qui semble pour le moins bienvenu lorsqu’on songe à certains résultats d’enquêtes chèrement payées, obtenus après de longs entretiens dits " semi-directifs " et dont les conclusions ne sont que des platitudes peu étayées.
Si le néobéhaviorisme de nos auteurs peut prêter à contestation (mais ceux-ci s’expliquent là-dessus et ne prétendent pas tout expliquer par leur théorie), si le style parfois inutilement relâché ("lancer le bouchon un peu loin") et l’humour pas toujours léger peuvent irriter, on ne peut cependant que tirer profit de ces études souvent étonnantes et troublantes et peut-être, après les travaux de l’école américaine de Palo Alto et des psychologues de la motivation, réinvestir dans notre pratique de formation certains apports de ce livre.
Jean-Michel Zakhartchouk
L’ouvrage de Béatrice Poinssac, maître de conférences à l’Institut IMAC de l’Université Paris II, traite des problèmes liés à l’intégration sociale et culturelle d’Internet dans la pédagogie. Ce livre défini par l’auteur comme "un essai sur la rencontre des "écoliers" de tous niveaux avec le réseau planétaire" (p. 11) propose une synthèse des changements provoqués par l’arrivée d’Internet dans notre civilisation du XXe siècle.
L’auteur décrit les premiers effets produits par Internet sur les usagers. Ainsi, l’accès permanent à une quantité croissante d’information donne certes une liberté vertigineuse, mais aussi le risque de se perdre. La question de l’apprentissage et de la construction du savoir se doit alors d’être posée en insistant sur la formation au raisonnement critique lors de la quête d’information.
L’intégration d’Internet en France est illustrée par un inventaire des usages des technologies. L’évolution de la culture de l’écran, l’introduction de l’informatique à l’école et dans les familles, l’intégration d’Internet à l’école par les disciples de Freinet, participent ainsi à la constitution d’un milieu d’accueil favorable au développement d’Internet. En parallèle, l’utilisation d’Internet suscite l’émergence de nouveaux métiers ("ingénieur de la connaissance", "webmestre", "cyberthécaire"), ainsi que la modification de métiers traditionnels, l’enseignant devenant alors " compagnon d’internautes ". Une nouvelle écologie des contenus à transmettre s’élabore. L’auteur insiste sur l’importance de la formation à la culture Internet et à la "netiquette", de la maîtrise des outils de navigation et des moteurs de recherche. L’interdisciplinarité s’affirme comme indispensable. L’apprentissage d’une analyse objective des documents s’impose. La connaissance des contraintes juridiques relatives à la communication des œuvres sur le réseau est nécessaire. En revanche, la question des mécanismes d’assimilation de l’information transmise par Internet apparaît loin d’être résolue. En abordant divers changements induits par Internet dans l’éducation, cet ouvrage résolument tourné vers le XXIe siècle souligne la nécessité de la formation et de la recherche sur l’utilisation Internet et ses conséquences.
Stéphanie Mathey
le 18 janvier 1999La formation en sciences humaines des enseignants est malheureusement trop restreinte pour éviter que ne se développe parfois, dans les salles de profs, une sorte de "sociologie de bazar" qui éloigne encore plus les acteurs de l’éducation de toute compréhension fine des phénomènes sociaux auxquels ils sont confrontés. C’est pourquoi il faut vivement conseiller au moins aux formateurs et autres " leaders d’opinion " dans notre milieu professionnel la lecture d’ouvrages comme celui-ci qui nous ouvre des portes, nous permet de mieux saisir la complexité des actions humaines et combat tous les réductionnismes et toutes les généralisations abusives. D’autant que ce livre de Bernard Lahire, déjà connu pour ses travaux sur l’illettrisme et les pratiques de lecture et d’écriture en milieu populaire est d’un accès aisé (si on excepte peut-être les débats théoriques des dernières pages) et souvent très agréable à lire : les exemples abondent, les métaphores sont souvent très justes, l’exposé des thèses défendues par l’auteur clair et rigoureux.
Sans jamais tomber dans une vaine polémique, B. Lahire s’oppose cependant aux thèses de Bourdieu, abondamment cité dans l’ouvrage, mais souvent remis en cause par un sociologue qui dans un entretien affirme être en fin de compte plus fidèle à l’esprit contestataire de celui qui est (hélas ?) devenu un " maître à penser " que " certains jeunes épigones en désir de fast success ". Pour Lahire, il ne peut y avoir de " théorie " qui expliquerait le réel dans sa totalité. L’acteur est pluriel, on ne peut comprendre l’immense diversité de ses comportements à partir d’un seul éclairage (l’habitus de Bourdieu par exemple). Les expériences sociales sont hétérogènes et l’unicité de l’individu une illusion. Après avoir convoqué le Proust du Contre Sainte-Beuve, Lahire affirme que " nous sommes pluriels, différents dans des situations de la vie ordinaire différentes, étrangers à d’autres parties de nous-mêmes lorsque nous sommes investis dans tel ou tel domaine de l’existence sociale ". Il convient de se méfier de ces tentatives de reconstitution d’une unité à partir par exemple d’entretiens (B. Lahire montre combien ceux-ci dépendent du contexte dans lequel ils se déroulent ; des enseignantes ne répondront sans doute pas de la même façon aux questions de l’enquêteur dans une salle de classe ou dans un café).
Ce qui nous séduit particulièrement dans ce livre, c’est l’appel constant à la trivialité, à l’analyse empirique au plus près du terrain. Il y a souvent abus lorsqu’on érige en modèle explicatif une circonstance particulière. À partir de la métaphore du sportif " en direct ", on bâtit par exemple une image de l’individu devant constamment improviser, pris dans l’urgence de l’action et obéissant à des schèmes d’action dont il n’est guère le maître. Or, le même sportif à l’entraînement n’agit pas du tout de la même façon De même doit-on garder beaucoup de réserves sur les possibilités de transfert d’une situation à une autre et B. Lahire plaide là encore pour une prise en compte du contexte, de la spécificité des situations.
Trois chapitres nous concernent plus particulièrement, nous, enseignants.
Dans "de l’expérience littéraire : lecture, rêverie et actes manqués", B. Lahire remet en cause notamment une opposition trop hâtive entre des pratiques ordinaires de la lecture de romans et des pratiques réflexives littéraires. Il montre combien la lecture romanesque des " lettrés " n’est sur le fond pas différente de celle des autres lecteurs, les textes littéraires étant avant tout des "déclencheurs de rêves éveillés qui permettent de faire un retour sur, de prolonger, d’accompagner ou de préparer l’action". L’auteur reproche à une certaine sociologie d’en rester à une conception superficielle, fondée sur la consommation culturelle ou sur les seuls avis des professionnels de la lecture centrés sur le style. En remettant au premier plan l’aspect expérientiel de la lecture, B. Lahire nous ouvre peut-être des perspectives pour rompre avec une vision trop formaliste de la littérature qui a eu tendance à envahir le secondaire.
Dans "École, action et langage", l’auteur insiste, comme il l’avait fait dans d’autres ouvrages, sur l’importance de la construction, dans l’école, d’un rapport distancié à la langue (qui n’est pas le "langage"). En opposition à la sociologie de Bourdieu qui dénonce la reproduction des inégalités, voire la création de ces inégalités à travers des exercices scolaires "détachés du réel", produits surtout pour sélectionner et exclure, Lahire montre que l’école a d’abord cette fonction nécessaire, dans nos sociétés, de " mise à distance " réflexive, de détachement par rapport à l’action immédiate, d’"intransitivité". Resterait à discuter sans doute les manières de mettre en œuvre cette réflexivité ; l’exposé de B. Lahire pourrait conforter les tenants d’une certaine tradition d’enseignement de la langue très abstraite, alors que cette dernière est en crise et échoue à former de manière authentique les enfants des classes populaires. Mais sans doute est-ce là l’affaire des pédagogues et des didacticiens, stimulés cependant par l’analyse du sociologue.
Si un enseignant n’avait qu’un chapitre à lire, il devrait se plonger dans "les pratiques ordinaires d’écriture en action". Nous déplorons si souvent les grandes difficultés de nos élèves face à la page blanche ou la copie, mais que connaissons-nous en profondeur du rapport à l’écrit qui se construit dans les familles ? Que savons-nous des pratiques effectives de l’écrit, fussent-elles modestes : listes de commissions, agendas, pense-bêtes, etc. ? B. Lahire montre notamment combien l’écrit est peu valorisé dans certains milieux, surtout chez les hommes, puisqu’il est signe de faiblesse (de la capacité à se souvenir, de savoir se débrouiller sans avoir besoin d’un papier). En même temps, l’écriture, même limitée, permet la construction d’un autre rapport au temps et à l’action (début de planification, anticipation). On peut se demander si l’école sait bien utiliser ces pratiques ordinaires (qu’elle ignore en fait complètement). Les techniques savantes d’objectivation (les diagrammes ou schémas les plus compliqués) détruisent "le rapport pratique au monde", mais elles ne sont pas fondamentalement différentes des pratiques quotidiennes utilisées par les acteurs de la vie familiale et professionnelle ("ces techniques sont inégalement réparties socialement, mais sont présentes à un degré ou à un autre dans quasiment tous les foyers dès lors que leurs occupants ont acquis les bases du lire-écrire").
Redisons donc tout l’intérêt de lire un tel ouvrage, même si on est moins intéressé par les débats entre sociologues (on aurait cependant aimé savoir comment B. Lahire se situait par rapport au courant constitué autour de Alain Touraine et le CADIS par exemple). On ne peut que souscrire au vu de l’auteur de voir se développer des travaux approfondis qui se préoccupent moins de méthode et évitent les généralisations et soient au contraire ancrés dans un monde social complexe et pluriel. Ne revendiquons-nous pas la même chose dans le domaine de la pédagogie et de l’éducation.
Jean-Michel Zakhartchouk
Dans quelle mesure l’usage régulier des technologies de l’information et de la communication peut-il influencer l’enseignement et l’apprentissage ? L’objectif du programme de recherche américain ACOT (Apple Classrooms Of Tomorrow) est de répondre à cette question. L’édition française, complétée par des adresses Internet et des notes relatives au contexte nord-américain, présente au lecteur français une expérience unique. De 1985 à 1995, les élèves et les enseignants des classes ACOT furent équipés de deux ordinateurs par personne : un pour l’école et un pour la maison. Les enseignants formés à l’usage des technologies communiquèrent régulièrement les résultats de leur expérience à l’équipe de recherche ACOT. De cette base de données formidable est né un ouvrage qui propose une synthèse critique des données recueillies lors d’une étude longitudinale de dix ans. L’analyse des chercheurs est illustrée par la parole d’enseignants et d’élèves confrontés à la technologie. On rencontre ainsi des enseignants qui vont et viennent entre une pédagogie traditionnelle centrée sur l’enseignement magistral et une pédagogie individualisée centrée sur l’élève. De ces études de cas, les auteurs dégagent des constantes et proposent un modèle en cinq stades de l’évolution pédagogique des enseignants lors de l’intégration progressive de la technologie en classe (entrée, adoption, adaptation, appropriation et invention).
Les répercussions de l’informatisation des classes sur l’intérêt des élèves sont également évaluées. Les élèves sont généralement motivés, collaboratifs, créatifs et enthousiastes ("Une journée sans ordinateur c’est comme une journée sans soleil", p. 94). Pour l’enseignant, face à la prise de risque et à la créativité des élèves se posent alors le problème de l’établissement des limites et celui de la planification. La frustration d’un élève provoquée par un logiciel ne répondant pas à ses besoins est aussi redoutable. Les auteurs identifient les conditions permettant des répercussions favorables et durables de l’usage de la technologie sur l’intérêt des élèves. Il s’agit principalement d’utiliser l’ordinateur lorsqu’il est l’outil le plus approprié, de l’intégrer au programme scolaire existant et d’adapter son utilisation aux différences interindividuelles.
Dans un souci de diffuser son expérience pédagogique, l’équipe ACOT crée des centres de perfectionnement dont bénéficient plus de six cents enseignants américains. Le programme à orientation constructiviste exerce une influence positive sur l’utilisation des méthodes et ressources pédagogiques, ainsi que sur la collaboration entre enseignants, dès lors que des obstacles liés à l’insuffisance de ressources, de soutien technique et de temps peuvent être surmontés.
Pour conclure, cette étude montre que la technologie possède un potentiel pour améliorer la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, mais qu’il ne suffit pas de " brancher " les écoles pour profiter de ce potentiel. Un éclairage précieux sur les conditions nécessaires pour intégrer efficacement la technologie à la pédagogie est apporté dans cet ouvrage.
La classe branchée : le site Internet
http ://www.research.apple.com/go/acot
Le site ACOT (Apple Classrooms Of Tomorrow) offre une présentation détaillée en anglais d’une expérience d’intégration de la technologie en classe. En particulier, les 10 ans de rapports sur la mise en place et les résultats du programme ACOT sont accessibles dans la partie " Recherche ". Une visite des " Sites ACOT " nous renseigne sur les établissements impliqués dans le programme de recherche aux États-Unis, mais aussi sur l’extension internationale du programme (liens avec des sites ACOT en Suède, en Écosse, en Belgique et en Australie).
Le lien avec " Ross School District ", une école américaine affiliée au programme ACOT, donne un exemple d’utilisation de la technologie à l’école. Outre une présentation historique de l’établissement, ce site fournit des informations sur l’intégration des ordinateurs en classe, ainsi que des ressources pédagogiques. L’évolution de l’équipement technologique est décrite sur plusieurs années. Le programme du centre de développement pour les enseignants, dont l’objectif principal est l’utilisation et l’intégration des outils informatiques en classe, est présenté. Des ressources pédagogiques pour les enseignants, les élèves et les parents sont disponibles dans la bibliothèque virtuelle. Le " Studio d’apprentissage " encourage les élèves à l’exploration scientifique. Il propose diverses activités pédagogiques, de la dissection de l’il de vache à celle de la disquette, en passant par la fabrication d’un cadran solaire. Enfin, les productions des élèves sont présentées (voir la partie " Curriculum projects "). Poèmes, pages personnelles, essais littéraires et dossiers sur des thèmes étudiés dans différentes disciplines illustrent les activités d’une classe branchée.
le 18 janvier 1999Le livre de Claude Pair traite des difficultés des familles les plus pauvres de la société française et de la contribution que peut apporter l’école à leur amélioration. À travers de nombreux témoignages et de larges extraits de rapports d’experts, l’ouvrage met en lumière la contradiction aiguë entre un discours bienveillant et charitable des " inclus " sur la pauvreté tant qu’elle est abstraite, et leur regard gêné, souvent méprisant devant la réalité concrète de l’exclusion.
Les enseignants n’échappent pas à cette contradiction. Confrontés au sentiment d’impuissance face à l’échec scolaire massif des enfants du Quart-monde, ils finissent presque toujours par soupçonner, sinon accuser, leurs parents de se désintéresser de l’école, de négliger leurs enfants, et peut-être aussi de ne pas les aimer. En ignorant leur attente vis-à-vis de l’école et leur désir d’accéder à la culture, ils les privent encore un peu plus de leur dignité.
Qu’on ne s’y trompe pas : l’ouvrage n’est pas moralisateur. Il nous apporte la lucidité nécessaire pour changer notre regard sur les familles très pauvres, et modifier notre comportement. Alors seulement l’école pourra "casser le mur de malentendus" et s’engager dans des formes d’actions positives, dont plusieurs exemples sont proposés.
Noëlle Villatte
Dans cet ouvrage collectif, chercheurs, formateurs et responsables institutionnels précisent l’esprit des textes officiels et font vivre le concept "d’éducation à l’orientation au collège".
On trouve notamment : Une approche historique de différents modèles de l’orientation depuis le modèle médico-psychologique du début du siècle, puis le modèle formatif des années cinquante jusqu’au modèle de l’orientation-projet. Le conseiller devient "éducateur de l’intentionnalité". On voit apparaître sur le plan pédagogique des méthodes systématisées d’éducation à l’orientation (appelées éducation des choix). On parle d’orientation tout au long de la vie dans une société en mutation.
Jean Guichard, directeur de l’INETOP, définit le rôle que peuvent prendre les différents partenaires dans ce qu’il appelle "l’éducation à la carrière.". Le conseiller d’orientation y contribue de trois manières : en tant que psychologue, en tant que pédagogue et en tant qu’analyste du système. Il a un rôle de médiation, ce qui exige un lourd investissement.
Françoise Bariaud et Hector Rodriguez-Tomé situent la démarche d’éducation à l’orientation au regard des évolutions de l’adolescence. Ils soulignent que la nouveauté apportée par cette démarche concerne l’implication officielle demandée aux enseignants dans la connaissance de soi. Ils mettent en garde contre l’usage de livrets dont l’efficacité n’a pas toujours eu le temps d’être prouvée. La mise en garde porte aussi sur les dérives possibles qui constitueraient des risques d’atteinte à l’identité personnelle.
Ils concluent en évoquant la situation des élèves en échec scolaire à qui on demande plutôt un choix alors qu’ils sont moins adaptés aux exigences de l’institution. Ils soulèvent la question de savoir si derrière la notion de choix il n’y aurait pas une certaine perversité du système.
René Mabit fait part des conclusions d’un groupe de prospective sur les évolutions possibles de l’emploi dans les prochaines années : quatre scénarios sont proposés. Pour l’auteur, il est nécessaire de donner une reconnaissance sociale aux savoirs professionnels, tout en valorisant culture et créativité à travers la formation permanente. En cela la méthode même de transmission du savoir est en cause pour répondre aux besoins de demain.
Cette approche du monde du travail est complétée par l’étude menée par Bernadette Dumora sur le regard des collégiens sur le monde professionnel. De la 6e à la 3e, on passe d’un discours du vouloir à celui du pouvoir. Le développement se fait de l’incantatoire vers l’opératoire, de la pensée magique vers la pensée probabiliste. Le problème qui subsiste est celui des élèves en échec qui doivent renoncer aux préférences professionnelles prestigieuses et narcissiques et qui doivent renoncer aux filières scolaires et aux perspectives d’orientations valorisées qu’ils désirent.
Ce qui amène à dire, s’orienter est donc autant une affaire de renoncement et de résignation que de choix et de projet. Les incantations telles que " devenir sujet", "devenir acteur de son orientation" ne peuvent suffire. Les renoncements imposés ne sont pas forcément vécus de façon dramatique. Une étude longitudinale permet de repérer une réduction progressive de la dissonance grâce à la rationalisation qui permet une modification des systèmes de valeurs et une restauration de l’image de soi. Ainsi l’adolescent modèle son appréciation du monde professionnel en fonction de l’orientation qu’il estime probable pour lui. L’opinion sur les filières de formation évolue dans le même sens.
Ce qui ressort de cet ensemble de contributions, c’est que l’EAO ne peut être qu’une uvre collective qui nécessite au sein de l’établissement l’élaboration d’objectifs communs et une réflexion sur l’évaluation. L’émergence de spécialiste, tout comme la "scolarisation" de l’EAO sont à proscrire. L’EAO peut être intégrée dans l’action pédagogique et éducative, la dimension orientation pouvant faire partie de l’action quotidienne. Des temps spécifiques permettent l’apport de contenus ne trouvant pas place dans le cadre des disciplines, ces temps permettent aussi un travail de synthèse nécessaire à la cohérence des apports.
Ce livre synthèse devrait être mis entre les mains de ceux qui souhaitent s’engager ou qui sont déjà engagés dans une démarche EAO.
Dominique Marchand
À la différence du livre pionnier de W.D. Halls, Les jeunes et la politique de Vichy (1988, cf. Cahier 291), ce livre parle surtout de l’enseignement primaire. Comme lui, il intéressera autant ceux qui veulent mieux connaître la période que ceux qui s’inquiètent de certaines séquelles. On ne peut le résumer ici, mais il faut souligner que " l’éducation constitue la grande obsession du Maréchal " (p. 60), qui s’en préoccupe depuis longtemps, au point d’avoir souhaité en 1934 être en même temps ministre de l’Éducation nationale et de la Guerre. Sa politique scolaire, y compris dans sa dimension d’éviction des juifs et des francs-maçons, ne doit rien à une pression des Allemands, qui se méfieront même de certaines entreprises de Vichy. C’est bien la revanche des notables, et de la droite universitaire organisée avant la guerre dans le cercle Fustel de Coulanges, satellite de l’Action française. Mais la politique de Vichy n’est pas d’un seul tenant ; si par exemple elle favorise l’enseignement catholique, cette "osmose" se heurte à l’opposition bien sûr des catholiques engagés à gauche, mais aussi de collaborateurs durs comme Déat ; et si Carcopino "privilégie une stratégie pétainiste à l’intérieur du pétainisme, visant à préserver ce qui peut l’être des fureurs ultracistes, qu’elles soient maurassiennes, catholiques ou collaborationnistes" (p. 115), les mesures qu’il prend en faveur de l’enseignement libre sont provisoires, et il interdit la création de nouvelles écoles catholiques. On lira avec grand intérêt ce qui concerne les conditions de vie et de travail des élèves et des enseignants, les tentatives successives de dépolitisation et de repolitisation, auxquelles les instituteurs opposent "à doses variables attentisme et inertie, alors qu’ils restent continûment l’objet d’une surveillance policière particulière" (p. 213).
Il est dommage que ce livre soit entaché d’un certain nombre d’erreurs. Certaines mineures, un rectorat à Versailles (p. 88), "laïc" au lieu de laïque (p. 101), "public" au lieu de privé (p. 166) ; Carcopino ne prévoit pas de "dispense" de l’instruction religieuse, mais de dispenser celle-ci à l’extérieur des écoles (p. 146). D’autres gênent la compréhension : si les effectifs du privé passent de 17,7 % à 22,6 % du total, c’est bien 4,9 points de plus, mais en réalité c’est 27,7 % d’augmentation du premier chiffre (p. 152). Mais écrire que "l’ancien rédacteur en chef de l’École libératrice, Marcel Lapierre" rejoint une Ligue collaborationniste (p. 226), c’est une bien fâcheuse confusion, reprise d’autres livres ; le rédacteur en chef de l’EL, le journal du SNI, c’est Georges Lapierre, arrêté par la Gestapo en 1943 et mort à Dachau en 1945, en pensant à un autre livre d’histoire pour l’école de la France libérée ! Sa mort a été évoquée par Edmond Michelet dans Rue de la Liberté.
Jacques George
pagespage précédente | 1 | ... | 1403 | 1404 | 1405 | 1406 | 1407 | 1408 | 1409 | 1410 | 1411 | 1412 | page suivante