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« Le dessin de presse est aussi engagé que la presse elle-même. »

Les Cahiers pédagogiques et le dessin de presse, c’est une longue histoire ?

florence-castincaud.jpgPas si longue que ça : ce n’est qu’à la fin des années 70  qu’on a commencé à instituer un « dessin du mois, » d’abord confié à des plumes amies des Cahiers. Cette page dédiée a parfois disparu, mais s’est régulièrement renouvelée. Quant au dossier, il s’est peu à peu accompagné de photos (d’abord en noir et blanc), puis de dessins parfois davantage destinés à reposer l’œil du lecteur qu’à porter un message en eux-mêmes.

Peu à peu, en devenant plus professionnelle, la « fabrication » des Cahiers s’est accompagnée d’une réflexion constante sur les progrès à faire en lisibilité et en attractivité. Dans cet esprit, la présence des dessinateurs professionnels est devenue un élément important de la ligne éditoriale de la revue. Peut-il en être autrement si nous voulons être en accord avec nos principes éditoriaux : pas d’esprit de chapelle, effort de rigueur intellectuelle, des idées constamment mises à l’épreuve du quotidien des classes, etc. ? Rire de ses travers ou erreurs sans s’en sentir dévalorisé, accepter la dérision bienveillante, ne pas se crisper sur des dogmes, autant de bienfaits du dessin de presse tel qu’il se pratique dans les Cahiers, dans des styles variés mais toujours plus proches du contrepoint qui donne à réfléchir que de la simple illustration.

Quel est selon vous l’intérêt pédagogique de recourir à un dessin de presse en classe ou en formation ?

On pourrait, en classe, introduire un dessin de presse avec l’intention d’alléger ou de « faire passer » un propos rébarbatif. Or, on s’aperçoit vite que c’est un genre particulier qui nécessite un apprentissage à part entière pour en décrypter les codes : on lira plusieurs propositions pédagogiques très intéressantes dans ce dossier. De plus, rien n’est neutre en la matière ; les tragiques événements de janvier 2015 l’ont mis en lumière de façon terrible, même si nous connaissions auparavant la situation de nombreux caricaturistes dans le monde : le dessin de presse – celui qui nous intéresse en tout cas pour la classe – est aussi engagé que la presse elle-même et le rire, loin de toujours rassembler, peut porter le glaive. Il est donc intéressant également, comme le proposent plusieurs contributeurs dans ce dossier, de prendre de la distance et d’aller voir des caricatures des siècles passés qui seront étudiées avec moins d’émotivité et de risques de réactions idéologiques indépassables : le développement de l’esprit critique peut se faire de façon plus apaisée, en alternance avec des débats « chauds » notre temps.

En formation, si le but est bien de former des praticiens réflexifs, un bon dessin peut instaurer dès le début un climat d’humour et de salutaire distance, pourvu bien sûr que le ou les formateurs s’incluent dans les travers visés par le propos. Le procédé est certes à utiliser avec précaution, tant le monde enseignant, en France, a les nerfs à vif. Entre l’humour léger et la charge féroce, il faut doser selon les publics et les moments. Mais nous sommes nombreux à avoir expérimenté le pouvoir salutaire d’un rire partagé suivi d’analyses qui peuvent aller très loin grâce à un dessin bien trouvé. On peut aussi, en ouverture d’une formation, réunir un florilège de dessins se rapportant au thème et demander à chacun, sur le mode du photolangage, de choisir et présenter un dessin qui lui évoque une situation, une question, ou qui lui permet une présentation à la fois personnelle et distanciée.

Attention cependant à la règle de toujours indiquer l’auteur des dessins et leur source, ce que ne font pas toujours les milliers d’utilisateurs, sur internet en particulier, qui se servent de ces œuvres sans les considérer comme telles, ce qu’ils ne feraient pas (ou beaucoup moins) pour des textes.

Quelque chose qui vous a marquée dans le travail sur ce dossier ?

Pour demander les droits des dessins de ce dossier, j’ai été en contact avec de nombreux dessinateurs, dont certains à l’étranger, ou avec leurs ayant-droits lorsqu’ils sont décédés, et j’ai été touchée par leur intérêt pour le travail pédagogique qui se mène à l’école à partir de leur œuvre. Beaucoup ont à cœur de transmettre à la fois des valeurs par leur dessin, mais aussi l’art du dessin de presse lui-même, comme un espace de liberté à préserver absolument, qui plus est dans un langage international. Un grand coup de chapeau à ces artistes engagés !

Propos recueillis par Cécile Blanchard