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Le déclin de l’institution

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Au centre du livre, une idée-force : le programme institutionnel n’est plus la constitution de la société : les individus comptent bien faire entendre leurs droits personnels contre la contrainte collective.
L’institution dont il s’agit c’est plutôt l’idée d’institution, dont le déclin serait caractéristique d’une nouvelle façon de vivre ensemble qui se cherche dans la douleur. Il n’y a pas si longtemps, le monde social était unifié par l’institution, une « machine » à transformer les valeurs en normes qui était suffisamment acceptée par tous : au départ, des valeurs perçues comme universelles forment les individus, ces individus ayant intégré à la fois ces valeurs et la façon dont elles ont été mises en place dans la société font fonctionner les institutions. L’individu devient sujet, à la fois conforme, adapté, et capable de critique, de « dissidence ». Ce programme implique, c’est-à-dire assure (en aval) et suppose (en amont) une certaine cohérence de la société. De par l’aspect universel des valeurs, l’institution est liée à l’État et a pour objet principal le travail sur autrui. Ce programme institutionnel ne fonctionne plus vraiment. Que faut-il en garder, pour rester dans une société démocratique vivable ?
Cette unité de la société créée par le programme institutionnel et qui lui est nécessaire en préalable s’est éclatée en des ensembles plus nombreux et contradictoires dans lesquels les acteurs sociaux ne savent plus où prendre leurs repères. La multiplicité des objectifs, l’enchevêtrement des demandes sociales, la multiplicité des classes sociales, les réseaux, le flux continuel d’informations, la force des appartenances identitaires constituent la société en une mosaïque de tribus, ce qui fractionne aussi les individus. Chacun doit se constituer sa propre boussole. Le miracle de la subjectivation des individus conjointe avec leur socialisation, cet ancien pacte est caduc. Les subjectivités s’échauffent les unes contre les autres : « les professionnels pensent que les élèves, les malades et les “clients” les menacent ; les élèves, les malades et les “clients” pensent que les professionnels les méprisent. »
Chaque institution a sa façon de recevoir ce déclin, d’y participer et de réagir : l’école n’est plus un sanctuaire. L’école primaire s’en sort plutôt bien, elle a un vieux socle républicain, une participation fondamentale à la création de la République, n’est pas trop atteinte et accompagne bien le mouvement. Le secondaire en est plus affligé. Le débat tourne beaucoup autour du regret de cette période bénie où le programme institutionnel fonctionnait bien. La massification bouleverse le métier. La compétence disciplinaire est insuffisante, il y faut rajouter de la pédagogie… les professeurs doivent motiver les élèves, créer les conditions pour faire cours. Les travailleurs sociaux, les médiateurs ont leur part de ces mutations. Pour les infirmières, la relation au malade s’estompe et est remplacée par une technicité des gestes à accomplir. En même temps, le malade, comme partout devient un usager, consumériste, et sa souffrance est reconnue, ce qui augmente la « bureaucratie », l’information sur les soins, la trace des actes médicaux… Les infirmières n’ont pas la nostalgie, comme les professeurs, d’un âge d’or, cependant elles se sentent en crise, en manque de reconnaissance…
Il est plus difficile de dire comment traiter cette nouvelle forme de socialité. Cela appartient à l’avenir, à une longue suite de décisions et d’actions qui feront la plus ou moins grande maîtrise de cette évolution. Le travail de socialisation continue dans ces formes d’actions plus éclatées. L’hypothèse de François Dubet est qu’il repose sur un principe d’homologie des expériences du professionnel et du socialisé, le travail sur autrui est devenu un travail comme les autres, moins soumis à la « vocation » qu’à la technicité. Il faut bâtir des institutions démocratiques de petite taille, fondées sur le métier reconnu, en évitant trois voies sans issues : le retour de l’autorité, le libéralisme, et le droit. La dernière page, métaphorique nous invite « à faire de la musique ensemble tout en restant soi-même », et à opter plutôt pour les petites formations de jazz que pour les grands orchestres symphoniques.
François Dubet creuse là un sillon sociologique plus austère que celui de l’analyse de l’école et continue une œuvre commencée avec la Sociologie de l’expérience (1984) et Dans quelle société vivons-nous ? (1998).

Roland Petit


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