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Le chef d’établissement et l’analyse des pratiques

1. Le chef d’établissement, une fonction très sollicitée

La fonction de chef d’établissement est devenue, au fil des années, plus complexe en même temps que s’accroissaient ses responsabilités. Disposant d’une faible marge de manœuvre pour ce qui touche aux coûts d’instruction et d’éducation, il est chargé, dans un cadre strict, d’obtenir les meilleurs résultats aux yeux de multiples partenaires : administration du système éducatif, représentants des assemblées territoriales, associations de parents d’élèves, personnel enseignant, des services, collaborateurs directs et élèves.

À la différence des services administratifs qui gèrent à distance les situations institutionnelles, le chef d’établissement est au centre d’un tissu d’activités concrètes qu’il dirige directement ou par délégation. Il en résulte que l’essentiel de son travail consiste en entretiens, réunions, appels téléphoniques. L’information recueillie ou donnée, son traitement, sa diffusion accapare la plus grande partie de son temps. Les problèmes à résoudre, matériels ou humains, sollicitent, le plus souvent sans délais, son attention et rendent difficile la planification de son travail comme celui de ses collaborateurs.

Les pressions tous azimuts qui s’exercent sur sa journée d’activité lui laissent peu de temps pour réfléchir, faire le point, prendre le recul souvent nécessaire aux prises de décisions. Il sait qu’il doit réagir vite et avec efficacité face à des situations souvent complexes dont la gravité ou les prolongements n’apparaissent pas immédiatement mais qu’il lui faut, au moins entrevoir.

  1. Dans ces conditions est-il possible, raisonnablement, d’envisager un temps consacré à l’analyse des pratiques ? Un entraînement est pour le moins nécessaire. Il convient donc d’y consacrer le temps d’une formation nécessairement longue. Pourtant, au bout du compte, être capable d’analyser régulièrement ses propres pratiques, est le moyen le plus sûr de se perfectionner dans ce métier. L’analyse des pratiques permet de corriger les défauts et les erreurs qui relèvent des comportements, des modes de réflexion, de la façon de prendre en compte l’ensemble des éléments qui interagissent dans les situations de travail.
  2. La multiplicité des champs d’action du chef d’établissement et leur diversité l’amènent à conduire des analyses que relèvent de domaines différents comme la gestion et l’animation, la mobilisation des personnels, la conduite et l’animation de la vie scolaire, la supervision de la gestion matérielle et financière de l’établissement, l’élaboration et la conduite de projets, la politique d’orientation des élèves, celle de leur évaluation et de leur suivi individuel, etc. Il en résulte une diversité des domaines d’analyse, même si elles trouvent une certaine unité du fait que le chef d’établissement, dans presque tous les cas, s’informe, analyse, évalue, produit des directives, des orientations, des conseils, etc.

2. Avantages de l’analyse des pratiques

L’analyse des pratiques est un moyen de mise à distance de l’expérience vécue. Sa reprise sur un mode plus détachée que celui du feu de l’action, détache la personne des affects psychologiques encore inscrits dans la mémoire. L’analyse fixe les données et leurs relations et ce faisant offre au souvenir une image décantée. L’évaluation qui suit l’analyse identifie les erreurs, les oublis, les à-peu-près de la pratique et les met en mémoire sous forme d’alertes.

Or, lorsqu’il s’agit de réagir face à une situation, la pensée bat le rappel des schèmes de type analogue vécus antérieurement. Elles servent alors à piloter l’action, au moins dans ses lignes directrices.

La constitution d’une accumulation d’expériences revisitées par l’analyse et son évaluation assure, au bout du compte, la possibilité de maîtriser des situations nouvelles. C’est par ce processus que le débutant acquiert progressivement une réelle professionnalisation de son activité. C’est ce qui s’appelle avoir du métier.

3. L’auto-analyse

Elle peut se réaliser dans la solitude du bureau lorsque l’établissement cesse ses activités ou dans des circonstances multiples, avec d’autres personnes en relation avec l’établissement et à propos de situations concrètes. Le chef d’établissement constate l’existence d’une perception ou d’une position différente de la sienne qui déclenche chez lui un retour sur la situation évoquée.

L’auto-analyse prend des formes très variées. Elle n’est généralement pas construite, c’est-à-dire, sans méthodologie particulière. Elle suit alors la pente des préoccupations du moment.

3.1. L’examen de conscience

Elle se caractérise par une récapitulation de faits examinés sous l’angle des valeurs. Les comportements adoptés dans telle circonstance de la journée correspondent-ils à l’éthique ? Les solutions adoptées sont-elles en adéquation avec les valeurs reconnues ? Les relations humaines ont-elles été ce que l’idéal humaniste commande ? Ces jugements sur les attitudes adoptées dans le vif de l’action permettent de corriger ce que l’impulsivité peut avoir de néfaste dans l’action quotidienne et conduit à corriger les défauts de caractère qui parfois donnent une image contradictoire à l’action conduite par le chef d’établissement.

3. 2. L’examen bilan

Il est plus systématique. Il peut se faire régulièrement entre le chef d’établissement et ses collaborateurs. Les faits sont passés en revue et, selon le cas, décrits avec plus ou moins de précisions. Une appréciation et des commentaires suivent l’exposé. Vient, ensuite, l’énoncé des dispositions à prendre pour le suivi de l’affaire si elle n’est pas clause.

3.3. L’examen récapitulatif

Il peut se limiter à une revue, en pensée, des activités produites au cours de la journée ou des jours qui précèdent. Cette activité mentale vise à faire le point sur ce qui a été réalisé et le suivi qu’elles appellent éventuellement, voire les corrections à apporter. L’analyse est peu présente dans la mesure où l’objectif correspond à un critère de complétude. Ce type d’examen n’est pas sans intérêt car la visée générale est d’agir d’une façon qui ne soit pas superficielle ou simplement formelle.

3.4. La résolution des problèmes quotidiens

Elle appelle une réflexion a posteriori, tout particulièrement lorsque le problème perdure. Il se peut que les solutions apportées font elle-même problème. La réflexion mérite d’être conduite soit avec l’ensemble des acteurs directs ou potentiels.

3.5. La recherche de causes structurelles ou générales

Il advient que certains problèmes qui se présentent de façon récurrente donnent à penser qu’ils sont reliés à une même cause. Cette hypothèse conduit naturellement à examiner les causes possibles des différents événements qui en sont l’objet pour voir le bien fondé de la suspicion. Il peut apparaître ainsi que la cause de diverses incompréhensions, réactions défavorables, interprétations abusives relève d’un défaut de communication : par exemple un mauvais ciblage des destinataires.

3.6. L’analyse de type évaluation

Elle consiste à reprendre les éléments d’une action pour en mesurer l’impact. Ainsi, la valorisation de l’Allemand première langue en classe de sixième a pu faire l’objet de réunion avec les élèves et les familles de CE2 alors que, l’année précédente, seul un document a été distribué aux familles.

3.7. L’analyse des relations

Dans le cadre d’un conflit, elle recherche les enjeux qui opposent les parties pour déterminer le type d’aménagement qui pourrait les satisfaire chacune.

3.8. L’aide d’un collègue expérimenté

Le recours à un collègue expérimenté est une forme peu employée d’analyse des pratiques, mais, elle devrait se développer dans l’avenir, de façon quasi systématique et organisée par l’administration sous forme de formation continue au profit, des chefs d’établissement qui débutent dans la carrière.

Le chef d’établissement expose son problème, la difficulté qu’il rencontre, les réponses qu’il a données ou qu’il s’apprête à mettre en œuvre. Son collègue le questionne pour comprendre parfaitement la situation et aider le jeune collègue à faire une analyse plus détaillée et plus précise.

Cette aide, si elle se poursuit de façon continue dans un climat de confiance réciproque, est un moyen d’entraînement à l’analyse des pratiques. Il n’est pas question, dans ce type d’entretien de fournir des solutions toutes faites mais plutôt d’amener le demandeur à les trouver.

On notera que l’auto-analyse peut se conduire seul ou à plusieurs, qu’elle peut se donner un objet particulier à examiner ou par rapport à un objectif d’analyse. Elle peut se réaliser à fréquence régulière ou de façon erratique en raison de circonstances. Dès lors, elle est plus fréquente qu’il n’y paraît. Mais peut-on assimiler ces démarches à l’analyse des pratiques ? Ce sont bien des pratiques qui font l’objet d’une analyse, c’est le processus d’analyse qui est soit escamoté (on se presse aux conclusions), soit absent de la démarche intellectuelle (les faits et les liens qui les unissent, les situations et les éléments qui la composent ne sont pas retenus systématiquement).

4. Méthodologie de l’analyse des pratiques

L’analyse des pratiques prend pour support l’analyse des situations de travail. Elles se situent dans un champ particulier de l’activité de l’établissement. Chaque domaine peut être considéré comme l’un des sous-systèmes du système établissement scolaire. Un système se caractérise par une entrée et une sortie.
– Une entrée qui reçoit des ressources (en personnel, en information, en moyens matériels).
– Une sortie en relation avec l’environnement.
– Entre la porte d’entrée et celle de la sortie, le système opère une transformation (dans le cas cité, l’apport d’informations aux élèves et aux familles).
– Des processus sont mis en œuvre pour obtenir le résultat attendu. L’activité étant finalisée, les processus forment une chaîne d’activités qui peut se représenter par des points sur une droite figurant la durée, ou prendre la forme d’une arête de poisson aux points où deux ou plusieurs processus concourent à un résultat intermédiaire. Les pratiques mettent en œuvre les processus qui conduisent au résultat attendu. Ce sont les situations de travail.

En résumé, toute pratique est finalisée et dépend des ressources qui lui sont attribuées, des contraintes qui s’imposent à elle. De même, toute pratique est liée à son environnement. L’analyse doit nécessairement tenir compte de ces quatre aspects : ressources, contraintes, objectifs, effets.

La première étape de l’analyse consiste à mettre en évidence les divers processus linéaires ou ramifiés qui s’enchaînent pour atteindre le résultat.
Elle se traduit par une description des processus en œuvre dans le temps. Ainsi est reconstitué un cheminement composé d’actes en relations les uns avec les autres qui s’expliquent par les raisons qui les suscitent.

Autrement dit, le rôle du chef d’établissement (il se traduit par de situations de travail qui lui sont propres), dans l’élaboration et la réalisation des processus liés à l’activité, fait l’objet d’une évaluation. Il s’agit d’apprécier la pertinence des choix effectués, des procédures engagées, des modalités mises en œuvre au regard du but poursuivi. Les questions se rapportent aux compétences mises en œuvre par le chef d’établissement.

Exemple
Une activité qui consiste à informer les familles des possibilités d’orientation s’inscrit dans le système des activités qui, au sein de l’établissement, sont liées au processus de l’orientation.

Entrée : les objectifs qui définissent l’activité ; les ressources en personnel (collaborateurs, consister d’orientation psychologue, documentaliste, personnes invitées, professeurs principaux) ; matériel (rétroprojecteur, etc.) ; informations (ONISEP).

Sortie : information des familles et des élèves sur les modalités de l’orientation, les filières, les personnes ressources, mise en perspective des choix pour la suite de la scolarité, l’évaluation de l’élève en rapport avec l’orientation.

Les processus : ils correspondent à la préparation de l’exposé, la fabrication de transparents pour représenter des schémas, la recherche et l’invitation, de plusieurs intervenants etc.

Les situations de travail : différentes réunions, rédaction de textes, de convocations, etc.

Évaluation : Elle consiste à apprécier l’atteinte des objectifs, à noter les incidents de parcours, les manques, les insuffisances pour rechercher les causes au niveau des processus.

Le chef d’établissement peut prendre à son compte une part de l’activité ou faire exécuter l’ensemble du projet par des collaborateurs. Il peut faire appel ou non au documentaliste, au conseiller d’orientation psychologue, à des collègues d’autres établissements ou leurs représentants. Se pose donc la question de la validité des choix, celle des ressources utilisées, des compétences employées.

Le rôle du chef d’établissement consiste à s’informer, prévoir, organiser, expliquer, vérifier que chacun a bien compris son rôle personnel, s’assurer du suivi des processus, etc. Se pose également la question de la préparation des réunions, de leur déroulement, de la façon dont les acteurs sont mobilisés, etc.

5. La formation

Un entraînement s’avère nécessaire qui lui donne plus de souplesse et plus de sûreté. Il existe plusieurs méthodes de formation. Celle qui est présentée est relativement simple et accessible aux chefs d’établissement qui peuvent l’organiser à quatre ou cinq collègues sans passer par un organisme de formation. L’idéal serait d’obtenir d’un organisme de formation l’aide d’un psychosociologue compétant. Le petit groupe se réunit au moins une fois par mois dans un lieu où il ne sera pas dérangé. La séance se déroule selon un rite immuable. L’un des participants, à tour de rôle, a la charge de modérateur (le psychosociologue s’il est présent joue ce rôle). Il veille à ce que la règle impérative « d’absence de tout jugement porté sur ce qui est exprimé » soit strictement respectée. L’un des participants volontaire décrit une situation vécue qui a représenté une difficulté pour lui. Lorsque la situation a suffisamment été décrite, les collègues posent des questions qui permettent d’identifier tous les aspects qui n’ont pas été mis en lumière et particulièrement ce que le collègue a fait ou n’a pas fait. Le questionnement s’arrête lorsque la situation apparaît dans ses différentes articulations, les causes et leurs effets, les relations et les réactions. Le narrateur est invité ensuite à exprimer les raisons du malaise qu’engendre son implication dans la situation décrite. Là encore, le questionnement est destiné à faciliter la prise de conscience du problème rencontré. Il revient à celui qui se trouve sur la sellette de tirer les conclusions personnelles qu’il analyse.

À la séance suivante, un autre collègue est invité à exposer une situation qui l’a embarrassé.

Il est possible de poursuivre cette méthode pendant plusieurs années. Elle suppose une grande confiance entre les membres du groupe qui s’interdisent de rapporter à quiconque le contenu des séances. Le fait d’être questionné et de questionner à son tour sur des cas précis qui mettent en jeu les pratiques, constitue un excellent entraînement à l’analyse Il permet également, sous le regard bienveillant d’autrui, d’apercevoir des manies, des attitudes, des expressions qui ne sont pas toujours bien perçues dans l’exercice de la fonction.

Conclusion

Le chef d’établissement, qui gère un ensemble complexe de situations associant des acteurs aux enjeux différents, a certainement besoin, pour se perfectionner, d’analyser ses pratiques. Pour cela, il lui faut gérer son temps, par une discipline personnelle, après avoir suivi une formation à la méthodologie de l’analyse des pratiques.

Marc-Henry Broch, Principal honoraire.


A publié :
Marc-Henry Broch : Travailler en équipe à un projet pédagogique, préface d’André de Peretti, Lyon, 1996 et Professeur principal, Lyon 2003, tous deux chez Chronique Sociale, 7 rue de Plat, 69288 Lyon CEDEX 02.