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Comment repérer les jeunes impliqués dans des activités délictueuses ?
Je serais tenté de dire qu’ils se repèrent à la façon dont ils sont habillés. Quand on les voit avec des survêtements Lacoste ou des chaussures à huit cents francs, alors que ce sont des gosses en situation de précarité intense, on se rend bien compte qu’ils ne les ont pas achetés, et pour eux c’est effectivement un moyen de reconnaissance au niveau du groupe. Celui qui va venir avec son stylo Montblanc ou avec son Lacoste et ses Nike c’est celui qui veut montrer aux autres qu’il fait partie du bizness, qu’il en fait, et donc qu’il est compétent dans ce domaine là. C’est un petit caïd, un gars qui se débrouille, ce n’est pas pour la marque en elle-même mais c’est quelqu’un qui sait faire des affaires. En effet il s’agit plus d’une marque de reconnaissance que d’un effet vestimentaire. C’est surtout pour en imposer aux autres parce que personne ne peut se payer ce genre de choses, étant donné la précarité des familles et les situations dramatiques qu’ils vivent.
Nous avons connu en outre au lycée des trafics de cartes bleues et une affaire de viol collectif.

Dans le lycée ?
Non, à l’extérieur, pendant l’été en colo. Les coupables ont passé deux ans en prison.

Vous les avez repris après ?
Non, ils viennent de sortir de prison.

Vous ne les reprendrez pas ?
Ce n’est pas évident, mais il n’est pas impossible qu’on les reprenne dans le cadre de l’éducation surveillée.

Vous les connaissiez ?
C’étaient deux jeunes qui marchaient bien, qui étaient bien, l’un d’eux avait été délégué, puis ils sont partis en colo…

En avez-vous reparlé avec eux ?
Non. Ce qui m’importait, c’était surtout leur vie après deux ans en milieu carcéral qui les a changés et marqués…

Comment un lycéen peut-il résister aux tentations que lui présente la délinquance ?
Il y a en même temps pour certains de ces élèves de grandes tentations au niveau du quartier dans lequel ils vivent, la cité. On se rend compte que les aînés, les grands frères bien sûr, sont sans emploi et pratiquent ce genre de bizness et montrent un petit peu le fruit de leur commerce de façon très voyante. Ce n’est plus seulement les fringues, mais les belles voitures et il est très difficile de dire « je reste au lycée pour faire la course au BEP, au CAP, au BAC ». C’est difficile de motiver les élèves. On ne peut pas leur dire qu’avec leur diplôme ils auront du boulot. Ils auront plus de chance d’en avoir par rapport aux non-diplômés, mais il y a une grande concurrence avec les grands frères du quartier qui, eux, ont de belles voitures.

Quelle est la proportion de réussite aux BEP et aux bacs professionnels ?
On est dans une fourchette de 30 à 80 % suivant les sections.

Qui sont les 30 % ?
C’est extrêmement variable, il peut y avoir une bonne promotion en ferronnerie de dix ou douze qui vont arriver à 80 %. L’année d’après, il peut y en avoir 25 %, et, suivant les sections en électrotechnique, on a dépassé les 50 %. Cette année oscille entre 40 et 50 %.
Il faut tenir compte de « l’effet leader » et de la dynamique de la classe pour les petites promotions d’élèves notamment, effet qui se ressent fortement dans ces pourcentages, en positif ou en négatif. On a pris en considération, par exemple, cette dynamique de classe pour une expérience sur le projet montagne et fait en sorte que le leadership qui s’installait soit positif et non négatif. La plupart du temps c’est au moment de l’élection des délégués, six semaines après la rentrée, que se dessine la nouvelle classe. Les élèves élisent des délégués, et en général ils reflètent la tournure que prendra la classe, dans le leadership. Si, parmi les délégués, on a un petit bouffon, un petit fanfaron, il fera du spectacle, il fera rire, mais il ne sera pas sérieux. Il a été élu pour divertir. On a pourtant la possibilité, en travaillant et en préparant ces élections, de faire en sorte que le leadership soit plus positif et que soient élus des éléments moteur pour le travail.

Et vous y arrivez ?
Pas toujours, on insiste beaucoup, pour les élections des délégués, auprès des professeurs principaux, on insiste, mais on ne veut pas intervenir en classe, pour que la préparation et la réflexion avec les élèves soient importantes dans le temps.

Combien de classes posent problème ?
Il y a peut-être quatre ou cinq classes où l’on ne verra pas les délégués au conseil de classe par exemple, ils ne viennent pas, sinon ils s’entendraient dire un certain nombre de choses les concernant dont ils ne seraient pas fiers. Hier, on a eu un conseil de classe. Des deux délégués l’un est très sérieux et l’autre, bien sûr, est absent, pose des problèmes de comportement et de manque de travail.
Comment faites-vous les relais avec les différents profs ?
Le projet montagne est né pour répondre aux problèmes que posait une classe particulièrement difficile. Elle appartenait à la section « distribution magasinage » crée il y a quelques années. La plupart des élèves y avaient été orientés contre leurs vœux. Une telle classe de vingt-quatre ou vingt-cinq élèves était très difficile à porter, donc à partir de ce constat quelques enseignants ont eu l’envie de travailler ensemble.

Maintenant, ils sont en terminale, que constatez-vous ?
On constate, avec quelque satisfaction que cette classe est très forte, très solidaire, très soudée, très présente aussi. Habituellement c’était une section dans laquelle on avait un taux d’absentéisme assez élevé. Là, c’est une classe assidue par rapport aux autres, ce sont des éléments intéressants. Faire un projet avec une équipe pédagogique en terme relationnel a été très positif. Il y a eu très peu de situations conflictuelles.