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André de Peretti : « Le bien, le beau, le bon gagnent toujours »

André de Peretti vient de publier <em>La double hélice des civilisations : Le parti pris de l’optimisme,</em> aux éditions Chronique Sociale. Cet ouvrage montre sur quelles ressources l’homme a pu s’appuyer pour construire une organisation sociale performante et en évolution. Il met en lien passé, présent et avenir et donne des guides pour une société humaniste. Le tout avec ce qui l’a conduit toute sa vie : l’optimisme de résistance.
Quel a été votre parcours initial ?

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Je suis né au Maroc, j’avais une sœur de deux ans de plus que moi et une mère qui nous poussait à faire nos devoirs. Travailler à l’école, c’est donc devenu pour nous tout à fait naturel. Puis ma sœur et moi sommes venus en France, où nous avons été hébergés chez une tante cantatrice, dans un milieu intellectuel et artiste donc. Son mari était centralien, il fut à l’origine de ma passion pour les mathématiques. Comme il était directeur d’une usine à gaz à Abbeville, depuis le jardin, nous avions une ouverture sur l’usine, sur le monde ouvrier. J’allais au patronage et j’étudiais dans un antique établissement catholique qui était rattaché à l’Éducation nationale, dans lequel beaucoup d’enseignants étaient communistes. C’était une école qui accueillait dans une réelle laïcité, entre catéchisme et communisme : il s’agissait d’apprendre à vivre avec les autres, pas de les convertir. Quant à nous, élèves, nous n’étions ni passifs, ni rebelles : nous coopérions avec nos enseignants.

Cette école-là m’a apporté une vision des rapports humains qui rejoignait celle délivrée dans la devise de notre famille : « Par pari refertur : l’égal est rendu à l’égal ». Autrement dit, ne se sentir ni au-dessus, ni au-dessous, que ce soit d’un prince ou d’un enfant.

Et la guerre est arrivée…

Oui. En 1936, je suis entré à Polytechnique. 38 et 39 ont été des années de dynamisme de la jeunesse. Nous ne sommes alors pas partis inertes à la guerre. J’ai été mobilisé en 1939, comme sous-lieutenant d’artillerie pendant la drôle de guerre, puis je fus fait prisonnier. Pendant notre captivité, de juin 1940 à mai 1945, là encore nous sommes restés des plus actifs : je donnais des cours sur la culture paysanne, sur Le Grand Meaulnes ou Le Soulier de satin. J’ai écrit La Légende du Chevalier, une pièce de théâtre qui fut jouée devant des milliers de camarades et même, en 1943, à la Comédie-Française, par les soins de la Résistance. Je faisais faire du sport à mes artilleurs, de la course notamment. J’ai même couru le 100 mètres en onze secondes !

À la Libération, je suis devenu ingénieur des manufactures de l’État. J’ai enseigné la philosophie en classes préparatoires à l’école Sainte-Geneviève jusqu’en 1964. J’ai milité pour la décolonisation au Maroc et en Tunisie, devenant parlementaire, puis conseiller de Robert Schuman, Mohammed V et Bourguiba. Mon parcours m’a amené à travailler avec l’Unesco, l’ONU et pour le ministère des Finances, l’Éducation nationale.

En 1981, Alain Savary fait appel à vous pour mettre en place une vraie formation des enseignants.

Je connaissais bien Alain Savary, avec qui j’avais mené des combats communs au moment de la décolonisation. Il savait que j’avais développé des formations de cadres de l’Éducation nationale, alors qu’il s’agissait dans les années 70 de constituer une administration alors inexistante. J’avais mis en place des méthodes en rupture avec les conceptions traditionnelles de la formation, en allant voir notamment ce qui se faisait à l’étranger, en Amérique latine par exemple, et en m’inspirant de Carl Rogers. J’ai bâti en quelques mois un projet avec une petite équipe, qui a dû vaincre les résistances, voire les sabotages du syndicat majoritaire dans le second degré (attaques dans la presse, etc.), plus occupé à gérer les carrières qu’à rénover notre système. Pour moi, il s’agissait de créer une vraie formation professionnelle. Pour cela, j’ai proposé et obtenu la création de « missions » pour la formation, les futures Mafpen, une forme souple et relativement indépendante des rectorats et de l’inspection. Et ces Mafpen ont très bien fonctionné majoritairement, permettant l’émergence de formateurs, l’organisation d’universités d’été, jusqu’à la mise en place des IUFM (institut universitaire de formation des maitres) qui sont en quelque sorte mes petits-enfants.

Qu’est-ce que les évènements liés à Charlie Hebdo vous ont inspiré ?

Ma première pensée a été pour mes amis juifs, notamment ceux rencontrés en captivité et par la suite. Je me suis souvenu aussi du retour des anciens déportés qui sont parfois restés silencieux des années sur ce qu’ils avaient vécu, de notre effarement et de notre indignation lorsque nous avons entendu leurs récits. Mais nous savions qu’il y avait nécessité à ne pas englober tous les Allemands dans le rejet. Aujourd’hui, on voit combien la situation est complexe, et combien il est important d’analyser les choses vis-à-vis de l’islam : autour des croyances religieuses, l’équilibre est difficile, mais il est possible. Le bien, le beau, le bon gagnent toujours. Il faut pour cela montrer aux élèves le beau des choses, en dehors de tout sectarisme, en dehors de tout mythe identitaire aussi, qui est le principal obstacle à l’éducation. Ce n’est pas d’identité dont il est besoin, mais de variété positive, parmi laquelle chacun pourra se trouver un chemin particulier.

Propos recueillis par Christine Vallin et Jean-Michel Zakhartchouk


Article paru dans notre n°523, Le climat scolaire, coordonné par Michèle Amiel et Thomas Dequin, septembre 2015.

Qu’est-ce qu’un bon climat scolaire ? Est-ce lorsque les élèves répondent à notre fantasme du «  bon élève  » ? On ne peut nier l’impact qu’il a sur les personnels et les élèves. Se sentir bien ou mal à l’école détermine en profondeur le parcours que l’on y mènera.

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/584-le-climat-scolaire.html