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Le Micro-Lycée de Sénart (version longue)

Le Micro-Lycée de Sénart est une structure expérimentale de l’Education nationale qui accueille des lycéens qui ont arrêté l’école depuis un temps plus ou moins long et qui décident d’y revenir, des élèves décrocheurs raccrocheurs. Cette structure située en région parisienne (Seine-et-Marne) a été ouverte en septembre 2000 et rescolarise 80 jeunes pour l’année 2003-2004. Ils sont répartis en deux niveaux, l’un de Terminale et l’autre dit « Préparatoire », où les élèves peuvent passer de quelques mois à trois ans, afin de retrouver des assises suffisantes pour aller en Terminale, que ses assises soient strictement scolaires ou plus personnelles. Les élèves du Micro-Lycée ont souvent vécu des trajectoires scolaires très particulières liées à des situations personnelles plus ou moins lourdes. Le pari du Micro-Lycée est de tenir compte de ces situations et de permettre à ces élèves de reprendre une scolarité en vue d’une réussite au baccalauréat. L’approche du jeune y est donc globale et le suivi scolaire le plus individualisé possible.
Le terme de « motivation » est polysémique. La motivation est devenue dans le discours enseignant cette force magique qui permet à l’élève de travailler en acceptant, sans barguigner, les difficultés propres au travail scolaire, attitude qui, au passage, lui permet de correspondre à l’image que ses enseignants et sa famille attendent de lui : l’élève motivé répond alors au modèle de l’élève idéal, de l’enfant idéal. On peut aussi entendre par motivation, cela sera le cas dans cet article, l’ensemble des variables, des valences, qui combinées en une alchimie complexe et personnelle, permettent de comprendre l’implication d’un individu dans une action, ce qui, au Micro-Lycée, permet alors d’interroger la déscolarisation et la re-scolarisation. Dans ce cadre scolaire très spécifique d’une structure scolaire alternative, la question de la « motivation », dans sa polysémie, se pose sans doute de manière particulière, mais elle rencontre certains paramètres identiques à ceux d’un lycée plus traditionnel. Dans un cas comme dans l’autre il convient de différencier la motivation de l’implication, la première étant que le moteur de la seconde. S’il est relativement aisé de saisir l’implication scolaire, que l’on pourrait aussi appeler la mobilisation scolaire, il est beaucoup plus difficile de faire de la motivation un objet de travail pédagogique.

Des adultes impliqués

Comme pour d’autres lycées expérimentaux, l’équipe éducative est constituée de personnes plus ou moins cooptées sur des critères où l’implication tient une place importante. Aucune cooptation d’enseignant (il s’agit parfois d’un simple recrutement) n’a cependant été réalisée au Micro-Lycée en interrogeant la motivation, au sens défini plus haut, du collègue candidat. Devrions-nous le faire ? Est-il possible d’interroger la motivation des élèves sans s’arrêter sur celle des enseignants ? Se mettre au service d’un public d’élèves décrocheurs demande certaines convictions : pari de l’éducabilité, souci de l’articulation entre enseignement et éducation, richesse du travail en équipe, choix d’un réel compagnonnage avec les élèves, refus de la confusion entre normativité et normalisation, en sont quelques-unes. Les enseignants du Micro-Lycée ont tous choisi d’y enseigner : ils ont fait un choix professionnel demandant une implication importante reposant sur une motivation clarifiée mais toujours requestionnée. Face à des jeunes qui ont du mal à persévérer dans leur mobilisation scolaire, ils doivent souvent redoubler d’énergie afin de dynamiser à la fois le groupe et chaque individu.

En tant que professeur d’histoire-géographie, mais cela serait valable pour tous mes collègues, je dois entretenir cette énergie à plusieurs niveaux. Le premier niveau est celui, comme dans un lycée traditionnel, de chaque groupe-classe (même s’il n’y a pas vraiment de classe au Micro-Lycée mais des groupes allant de quelques élèves à une vingtaine) : la qualité de ma didactique peut y être discutée par les élèves (et elle l’est) et si les élèves trouvent que mon enseignement n’est pas « motivant », qu’ils s’ennuient ou qu’ils y sont mal considérés, ils ne viennent plus en cours… ce qui est « démotivant » pour tout enseignant ! Le second niveau est celui de chaque individu, puisque chaque enseignant est le référent d’un petit nombre d’élèves qu’il suit dans tous les aspects de sa scolarité, aspects strictement scolaires ou non : pour ma part, je suis, en référence, dix élèves, ce qui est le maximum par adulte référent. La question de la motivation, et non plus seulement celle de l’implication, peut alors se poser parce qu’il s’agit là d’un cadre où une relation privilégiée est crée et où l’élève est considéré dans sa globalité d’adolescent ou de jeune adulte. Il s’agit de bien connaître la situation de chacun pour tenter d’être le plus juste possible avec chaque situation, tenter d’approcher au plus près, dans le respect de l’individu, ce qui a motivé sa déscolarisation. Comprendre la démotivation scolaire d’un élève nécessite alors une approche très individualisée et dynamique : il s’agit de considérer la motivation pour véritablement aider à la remobilisation scolaire en train de devenir. Cela ne peut se faire que si l’élève est véritablement persuadé d’être accompagné par, en compagnonnage avec un adulte, et pas simplement un prof, et un adulte bienveillant : c’est le travail du référent (sur lequel je reviendrai plus loin). Le troisième niveau est celui de la structure dans son ensemble, chaque adulte membre de l’équipe éducative participant, grâce à un fonctionnement très collégial, à la réflexion générale sur le Micro-Lycée et ses élèves : quand un problème de dé-simplication/démotivation se pose, à l’échelle de tous les élèves, il s’agit de l’interroger tous ensemble, en équipe, mais aussi avec les élèves. Lorsqu’il se pose à l’échelle d’un seul élève, chacun sait qu’il est possible, lors d’une réunion hebdomadaire, de mettre la situation sur la table et d’en discuter en équipe éducative.

Un cadre collectif impliquant

Une telle présentation pourrait faire penser à une équipe de « super-profs super-motivés » ! Si l’équipe éducative est effectivement composée de professionnels convaincus, le travail effectué à un coût : chacun des huit enseignants à temps plein (nous les appelons les « permanents » auxquels il faut ajouter depuis la rentrée 2003 un C.P.E. à temps partiel) travaille dans les locaux du Micro-Lycée entre 25 et 35 heures et deux réunions hebdomadaires réunissent l’ensemble de l’équipe autour de problèmes soit techniques (1 heure par semaine), soit pédagogiques (2 heures 30 par semaine). Je veux montrer par là que la motivation individuelle ne suffit pas à travailler dans le cadre d’une telle expérimentation, comme elle ne devrait pas non plus suffire à travailler dans un lycée plus traditionnel. Inventer de nouvelles solutions face aux problèmes rencontrés par les élèves décrocheurs demande que la motivation individuelle s’inscrive dans un cadre collectif qui, comme pour les élèves, doit avoir du sens, que cette motivation soit structurée collectivement pour ne pas fléchir, qu’elle se confronte sans cesse à celle des autres membres de l’équipe pour s’enrichir. L’implication doit se nourrir en permanence aux sources de la motivation. Si la motivation professionnelle appartient à chacun (encore que tous les permanents ne soient pas d’accord avec cette vision qui ne ferait de la motivation qu’une affaire personnelle), la mobilisation, l’implication, elle, regarde bien le collectif et doit être interrogée par lui.

L’implication professionnelle doit être forte et constante afin de dynamiser en permanence la mobilisation scolaire, souvent défaillante, d’élèves toujours sur la corde raide. Pourtant, une telle implication constante n’est pas quelque chose de donné, qui serait installé définitivement dans les comportements de certains enseignants et pas dans ceux des autres. Au Micro-Lycée comme ailleurs, elle s’use, se heurte à une réalité souvent épuisante et peut disparaître. La motivation propre à chacun peut également évoluer au rythme de sa vie propre. Les professeurs du Micro-Lycée sont tous, chacun à leur tour (moi y compris), traversés par des phases de réel découragement, de « démotivation » (au sens courant du terme), auxquelles il s’agit de faire face ensemble pour mieux rebondir. La façon dont l’institution est capable ou non de dynamiser l’implication des enseignants en créant des valences positives les plus nombreuses possibles, n’est pas secondaire. Quelles solutions le système traditionnel met-il ordinairement en place, avant La Verrière (la maison de repos de la MGEN), pour faire face à la démotivation-désimplication quotidienne ou cyclique des enseignants ? En dehors d’une salle des profs (il n’y en a pas au Micro-Lycée) qui sert de défouloir sans doute indispensable, les enseignants ont-ils des espaces où dénouer, renouer leur implication professionnelle ? Quand permet-on à des professionnels de l’éducation de s’interroger ensemble, pour prendre un exemple qui me semble fondamental, l’articulation entre Principe de Plaisir et Principe de Travail ? Des expériences de ce type sont pourtant menés dans certains lycées : sont-elles connues, reconnues, encouragées par l’institution ? Comment cette institution, où la notion de travail en équipe devient (à tort ou à raison) à la mode, permet-elle que ces équipes se constituent ?

Un discours très volontaire… et des motivations complexes

L’un des stéréotypes sur les élèves du Micro-Lycée tient dans cette affirmation souvent entendue dans la bouche de collègues : « Vous avez de la chance, vous…, vous avez affaire à des élèves très motivés ! ». Les modalités d’inscription pourraient en effet corroborer cette affirmation. L’inscription au Micro-Lycée se fait sur la base de la demande du jeune qui souhaite redevenir élève. Il doit lui même téléphoner et présenter sa situation. Puis il participe à deux entretiens, le premier seul, le second avec un adulte de son choix susceptible de l’accompagner dans sa reprise de scolarité, le plus souvent un de ses deux parents. Lors de ces entretiens, le but du jeune étant d’être inscrit au Micro-Lycée, le discours tenu est toujours celui d’une forte implication, d’une volonté affirmée de retourner à l’école. La situation d’élèves d’abord décrocheurs puis raccrocheurs, pourrait laisser penser que les problèmes qu’ils ont rencontrés dans leur scolarité sont désormais réglés et que leur retour à l’école se faisant sur la base du volontariat, les ambivalences de leur de motivation scolaire n’existent plus. Il n’en est rien.

Le discours très « motivé » tenu lors de l’inscription par les élèves raccrocheurs relève à la fois de l’auto-conviction (ce qui n’est pas forcément négatif) et de la volonté de contenter l’adulte (il y en a toujours deux pour faire passer chaque entretien) qui est censé attendre ce discours pour accorder le sésame du retour à l’école. Il relève également du discours ambiant sur la motivation, clé magique de résolution de tous les problèmes, le « Just do it ! » ayant crée le « Just want it ! ». Or la motivation, au sens courant du terme, n’est pas un critère d’inscription au Micro-Lycée et si cela l’était, son évaluation serait, derrière le discours tenu, bien difficile à réaliser. Ce premier discours d’affirmation très volontaire de reprise de scolarité, figure de style quasi obligatoire, est rarement déterminant. Au delà de ce qui peut se révéler un leurre éducatif, il est bien difficile d’interroger, lors d’un premier entretien, un jeune sur sa motivation à reprendre l’école.

Si un élève a franchi la ligne rouge de la déscolarisation, il a franchi un véritable Rubicond qui l’a mis souvent à l’écart de la norme sociale ordinaire. Coupé des camarades habituels, du moins ceux de la classe, mal à l’aise dans une famille qui, dans la plupart des cas, ne comprend pas la situation, le lycéen déscolarisé est aussi considéré comme un déserteur. Les facteurs qui l’amènent à retrouver le chemin de l’école, celui d’une possible réinscription, via le Micro-Lycée, dans l’ordre scolaire déserté, peuvent être de différents ordres. Souvent le jeune qui a décroché est pris dans une situation de mal-être général où revenir au lycée devient la seule solution qui lui semble constructive, tout comme l’abandon du lycée avait été quelques mois ou quelques années auparavant la seule solution constructive à ses yeux. Quelquefois, il est poussé à la réinscription scolaire par un adulte auquel il tient à faire plaisir, d’autant plus qu’il a déjà altéré son image auprès de lui lors de sa déscolarisation. Sur cette seule base, la rescolarisation ne dure alors jamais très longtemps et l’équipe éducative a appris à se méfier d’une situation où le jeune semble trop encadré dans sa reprise de scolarité.

Le lycéen décrocheur, mais ce n’est pas propre à lui, fonctionne souvent sur le schéma de recherche de la situation la moins inconfortable, celle où les valences négatives sont les moins nombreuses, plus que celle où les valences positives l’emportent. Il semble difficile de toujours assimiler cette situation à de la motivation au sens où on l’entend généralement dans le monde scolaire. La très grande majorité des élèves du Micro-Lycée ne sont pas plus « motivés » que la moyenne des élèves des lycées traditionnels. Quelques-unes, ceux qui en général se sont confrontés au monde du travail pendant plusieurs années, répondent à ce schéma d’une très forte remobilisation scolaire et sont de véritables locomotives de l’implication au Micro-Lycée : ils sont l’exception. La plupart trimballent avec eux leur difficulté à vivre d’adolescents exacerbés, leur galère sociale et psychologique de jeunes aux ruptures multiples, aux conduites addictives plus ou moins handicapantes et parfois, trop souvent, l’obligation de faire face en même temps à l’école et aux contraintes lourdes d’une vie matérielle assumée en totalité.

D’une manière générale, les éléments qui ont motivé le décrochage scolaire n’ont pas disparu au cours du temps de déscolarisation. Dans la très grande majorité des cas, le jeune revient à l’école avec les problèmes scolaires ou personnels qui l’ont amené à la quitter. Il refait simplement une nouvelle tentative parce qu’il rencontre une nouvelle structure scolaire, ici le Micro-Lycée, qui lui propose une alternative et pourrait donc, peut-être, lui convenir. Il fait le pari de passer de l’inconfort au confort scolaire. Il s’agit là d’une motivation fondamentale même si elle faite sur le mode de la tentative, avec toutes les ambiguïtés, les ambivalences inhérentes aux tentatives de l’adolescence. À l’équipe éducative du Micro-Lycée de faire en sorte de répondre à ce désir scolaire réexprimé, de travailler avec chaque élève les différentes valences de son retour à l’école pour l’amener de l’inconfort scolaire total à l’inconfort relatif voire pour certains au confort scolaire, lui-même toujours relatif. Il s’agit alors de proposer un cadre à la fois individuel et collectif susceptible de l’amener à la réussite scolaire.

Des propositions structurantes et une éducation au libre choix

La proposition scolaire faite par le Micro-Lycée combine des éléments traditionnels et d’autres plus novateurs, même s’ils n’ont rien de nouveau au regard de l’histoire des alternatives scolaires pensées ou mises en place depuis un siècle en France. Ces éléments sont fondamentaux pour permettre au jeune de redevenir élève dans une situation moins inconfortable que celle qu’il a déjà connue et qu’il a quittée. Il serait ici trop long de s’arrêter dans le détail sur chacun d’eux. Je choisis donc de ne retenir que les variables que les élèves retiennent eux-mêmes dans les nombreux écrits qu’ils sont amenés à rédiger à propos de leur situation scolaire, les faire écrire, individuellement ou collectivement, étant un des moyens d’accéder à l’interrogation sur la motivation de chacun. Même si, d’une année à l’autre, les éléments retenus par les élèves varient, plusieurs d’entre eux reviennent chaque fois. S’ils ne constituent pas la motivation de leur re-scolarisation, ils constituent la motivation de leur non re-décrochage au Micro-Lycée et peuvent donc interroger, au-delà du seul Micro-Lycée, l’ensemble du système scolaire.

Les élèves du Micro-Lycée insistent d’abord, comme le font tous les élèves en difficulté, sur les relations entretenues avec les adultes membres de l’équipe éducative, utilisant les termes de « solidarité », celle qui existent au Micro-Lycée entre enseignants et élèves, désignant ainsi le fait que tous, élèves et enseignants, travaillent ensemble, main dans la main, « sur le même palier » a formulé un jour l’un de mes élèves référés. Ils font ainsi écho à ce que P. Meirieu a appelé « l’alliance », indispensable attitude éducative pour permettre la réussite de tous et donc de chacun. Les relations de confiance qui se construisent entre élèves et enseignants sont sans doute l’un des principaux piliers, si ce n’est le principal, du système scolaire proposé au Micro-Lycée. Les élèves évoquent ensuite le fait qu’ils y soient « considérés », « respectés » dans ce qu’ils sont, envisagés globalement comme une personne et non pas seulement comme un élève. D’autres valences entrent dans leur non-rejet de la re-scolarisation, comme la conscience d’avoir « une chance à ne pas laisser passer » ou des motivations plus personnelles qui touchent à leur histoire familiale. L’ensemble montre que la motivation de ces élèves décrocheurs raccrocheurs tient à des facteurs complexes où l’image de soi tient une place cependant centrale. A contrario, la dévalorisation, (il faudrait plutôt évoquer les dévalorisations car elles sont en général de différents ordres) a donc joué un rôle majeur dans la motivation de leur décrochage scolaire. Sans doute les relations d’adversité ou d’indifférence ont-elles été plus souvent vécues que les relations d’alliance, à l’intérieur de l’école comme à l’extérieur d’elle. Le sentiment de ne pas être à la hauteur des enjeux scolaires, sentiments souvent entretenus par la famille et par l’école, est souvent ancré profondément chez l’élève lui-même. La re-scolarisation devient alors une porte possible pour pouvoir tenter une possible opération de déprogrammation de l’échec, déprogrammation qui n’est jamais acquise, ni à l’avance ni en cours de re-scolarisation. Elle peut même s’opérer sans que l’on s’en rende compte, même si tous les moyens possibles ont été utilisés sans résultats apparents, et déboucher sur une réussite inattendue.

L’ambivalence demeure…

Les jeunes du Micro-Lycée, une fois redevenus élèves se retrouvent souvent dans une situation d’ambivalence où se conjuguent désir d’école et difficultés à y venir. La reprise se fait souvent en douceur, mais pas toujours : le rejet peut être rapide et lorsque la greffe ne prend pas, il s’agit d’analyser la situation avec le jeune pour savoir s’il y a moyen de trouver des aménagements, souvent en termes d’horaires. L’emploi du temps, déjà négocié et individualisé lors de l’inscription, est alors renégocié pour permettre une reprise plus progressive et montrer au jeune qu’il n’y a pas incompatibilité entre sa situation personnelle et la possibilité d’être rescolarisé. La solution ne peut être qu’individualisée et elle repose alors sur la capacité du Micro-Lycée, le plus souvent via l’adulte référent, à trouver une solution adaptée, à créer des valences positives. Parfois la seule solution est de repousser la re-scolarisation à l’année suivante, faute de mieux.

Si aucun élève n’oublie l’engagement dont il a fait preuve à l’inscription, peu d’entre eux parviennent à faire en sorte que cet engagement soit un levier suffisamment fort pour assurer une présence régulière au lycée. Leur vie est souvent un tourbillon, qu’il soit extérieur, intérieur, ou les deux à la fois, dont ils ont du mal à s’extraire. Ils disent avoir envie de venir mais ne pas y arriver. Ils disent être bien au Micro-Lycée… une fois qu’ils ont réussi à y venir ! Cette situation fait que la présence en cours peut être très irrégulière, d’un point de vue individuel comme d’un point de vue collectif. La moyenne des effectifs présents peut osciller de 20 à 80 %, jamais davantage, mais du jour au lendemain, la présence peut doubler ou diminuer de moitié, addition de situations individuelles plus que résultat d’une situation collective à laquelle il y aurait des réponses immédiates. Face à cette situation, parfois démotivante pour les enseignants, l’équipe éducative a dû chercher des solutions sans jamais avoir l’impression de les avoir trouvées. Il s’est agi, dans un premier temps, de créer des outils de mesure de l’implication, de la mobilisation scolaire, à défaut de mesurer le non-mesurable, la motivation.

L’inscription au semestre est actuellement une piste de réflexion pratique en cours d’expérimentation en 2003-2004. Elle est fondée sur trois critères permettant de mesurer la re-scolarisation de chaque élève et de valider son semestre : le taux de présence en cours, le nombre de productions scolaires faites et la présence lors de l’après-midi « identitaire » du Micro-Lycée, moment privilégié où se vivent successivement le Conseil hebdomadaire réunissant tous les membres du Micro-Lycée, le ménage collectif des locaux et le temps de suivi individualisé, le temps de « référence ». Cette structuration de la re-scolarisation a permis d’avoir au premier semestre 2003-2004 un raccrochage effectif où l’implication scolaire a été relativement forte et la réinscription au second semestre très largement acquise. Néanmoins, huit élèves ont redécroché : trois parce qu’ils n’ont pas réussi à venir plus de cinq jours sur l’ensemble du semestre, retenus chez eux par des problèmes médicaux sans solutions scolaires actuelles ; deux parce qu’en obéissant d’abord à la volonté d’un parent ou d’un adulte éducateur, ils ont fini, et très rapidement, par s’y opposer et ne plus du tout venir au lycée ; deux parce qu’ils ont du très rapidement travailler à temps plein pour faire face à leurs besoins ou à ceux de leur famille, et une dernière qui est partie à l’armée. Deux élèves n’ont pas été réinscrits pour des liens trop étroits avec le trafic de cannabis. Je fais cette énumération afin de montrer combien, il s’agit à chaque fois de situations très spécifiques et que la question de l’implication n’est pas, dans le cadre du Micro-Lycée, la seule question à poser. Il s’agit ensuite d’aller chercher, avec l’élève, la motivation à son implication ou à sa dé-simplication. Le champ d’investigation ainsi ouvert demande plus de finesse.

Si le premier semestre a donc produit des résultats positifs, dès le mois de janvier, le manque d’implication s’installait pourtant à nouveau : par exemple, pour les dix élèves dont je suis le référent, le taux de présence moyen est tombé à 55 % : de 10 % pour Corinne à 100 % pour Luc. La question est-elle bien celle de la motivation ? Corinne est une jeune fille anorexique et dépressive, surdouée longtemps mal considérée, dont le parcours scolaire est haché par les hospitalisations ; elle est en Terminale littéraire. Luc est un jeune garçon, turc d’origine, qui a travaillé deux ans dans la maçonnerie et qui fait tout pour se sortir d’une situation sociale qu’il refuse de considérer comme limitée à un travail manuel pénible et à ses yeux dévalorisant ; il est en niveau préparatoire, section ES. Si Luc est très impliqué, avec une motivation où les valences positives sont nombreuses et bien analysées par lui, Corinne est-elle, à l’opposé, « démotivée » pour autant ? Son implication varie au rythme des valences de sa vie extérieure et intérieure. Il faut donc pour l’équipe éducative tenter de travailler sur d’autres objets.

Sauter sans avoir peur de s’écraser

Il s’agit, pour chaque référent de l’équipe éducative, de chercher avec chaque jeune quel est le parcours qui lui est, pour l’instant le plus adapté, donc de participer à la construction de son projet personnel. Il faut tenter de donner du sens à sa présence scolaire, en cherchant les bonnes questions sans jamais avoir les bonnes réponses. Il faut chercher à savoir si, par exemple, bien au-delà de la « motivation » manifestée lors de l’inscription, le choix d’un retour en scolarité est le bon choix, si, entre autres solutions, un retour en lycée traditionnel ne conviendrait pas mieux. Il faut interroger, autre exemple, des conduites addictives qui déstructurent la vie scolaire de jeunes qui ont l’illusion d’y structurer leur liberté. Il faut construire avec chacun une réflexion et un vécu scolaire qui fasse la juste part de la liberté et de la contrainte. Il faut aussi pouvoir diriger l’élève vers un psychologue (une psychologue clinicienne travaille avec les élèves du Micro-Lycée une fois par semaine en entretien individuel) lorsque les limites de compétence de l’enseignant-éducateur sont atteintes, et elles le sont parfois rapidement. Il faut enfin, et surtout, en tant qu’adulte bienveillant, représenter au regard d’un adolescent désorienté, un monde auquel il serait susceptible d’adhérer, un monde suffisamment « motivant » pour donner l’envie de grandir. C’est une question centrale du décrochage et du raccrochage scolaire. Dès lors, il est peut-être possible d’accepter pour chaque jeune de vivre pleinement dans le monde où il se trouve, que ce soit à travers le choix de l’école ou à travers un autre choix mais un choix pensé, accepté, « motivé ». Il faut donc tenter de passer, et cela n’est pas toujours possible, du domaine de l’implication à celui de la motivation : c’est, au Micro-Lycée, tout le travail effectué par l’adulte référent. La référence est, au Micro-Lycée, un pilier du travail sur l’image de soi qui, à bien des égards, est un travail de (re) motivation. Deux paroles d’élèves, extraites de bilans écrits, l’illustrent : « La référence, c’est comme l’élastique du saut à l’élastique. Ca permet de sauter et ça évite de s’écraser ». « Je trouve que, comme concept, le système de la référence, préféré à celui de professeur principal (il n’y en a pas au Micro-Lycée) donne à l’élève la possibilité de réellement faire confiance à un adulte. » La construction ou la reconstruction d’une relation d’alliance avec le monde adulte, où l’adulte référent ne joue que le rôle de vecteur, est ici replacé par l’élève au cœur de sa motivation scolaire. La question de la seule implication scolaire est abandonnée au profit de l’interrogation sur la motivation à la re-scolarisation et donc à la déscolarisation. Cette interrogation trouve ici un élément de réponse.

Les élèves du Micro-Lycée écrivent facilement sur leur situation scolaire. Ils pensent beaucoup à l’école, en parlent beaucoup, en font également un sujet privilégié de réalisation en Arts Plastiques mais on peut se demander si parfois le désir ne l’emporte pas sur la réalité. Dans cette situation toujours ambivalente du décrocheur raccrocheur, le baccalauréat tient une place, me semble-t-il, particulière, celle d’un « obscur objet du désir ».

Le baccalauréat : un commencement et une fin

Pour la majorité des élèves du Micro-Lycée, la question du baccalauréat, s’y présenter, y réussir, est un sujet d’angoisse là où la norme est celle de la seule inquiétude. Ils ont quitté un système où les rails de l’ordre scolaire traditionnel dirigent la grande majorité des élèves vers l’examen final sans les laisser se poser trop de questions. Pour des raisons familiales ou sociales, parce que les résultats scolaires du cycle terminal sont acceptables et acceptés, le bac est à leurs yeux une épreuve certes difficile, mais surmontable. Au Micro-Lycée, un pourcentage important d’élèves, mais je n’ai pas fait la statistique exacte, ne s’est pas présenté aux épreuves du bac après les avoir pourtant préparées toute l’année, que ce soit en fin de Première ou en fin de Terminale. Diane a pu même être admissible et ne pas s’être présentée aux épreuves orales, Tarik ne pas même avoir été chercher les résultats de son admissibilité… pourtant réussie ! Jenny a perdu sa convocation, puis oublié de se réveiller le matin des épreuves anticipées de français bien qu’elle soit en section littéraire ! Ils ont tous mille et un prétextes pour ne pas se donner les moyens de réussir une épreuve qu’ils fuient pour des motifs qui ont rarement à voir avec leur niveau scolaire. Ils ont déserté l’école et ses repères, obéissant ainsi à une motivation personnelle où la peur de l’échec est difficile à démêler de la peur de la réussite, ne s’autorisant plus grand chose, castrés de la possibilité à essayer. Ils sont dans une situation où les enjeux de l’examen les renvoient à des enjeux personnels complexes et trop angoissants.

Dernier grand rite de passage à l’âge adulte avec le permis de conduire, le bac est devenu, avec la massification, une épreuve ordinaire que tous, ou presque, se doivent d’affronter. Il est le sésame des études supérieures dont il est d’ailleurs le premier examen. Il ouvre au monde, permet de franchir une étape qui n’est peut-être plus fondamentale d’un point de vue collectif mais qui le reste d’un point de vue individuel. Il est souvent la sanction finale de longs efforts réalisés par l’élève et parfois par sa famille. Or cette sanction, les lycéens décrocheurs, du moins un nombre suffisamment significatif d’entre eux, la remettent en cause, la refusent ou la fuient… tout en la désirant. Il ne s’agit sans doute pas d’un choix délibéré de fuite, mais d’une réaction face à une situation aux enjeux trop lourds à vivre. Les raisons peuvent en être multiples.

Pour les uns, la famille fait peser sur le baccalauréat, qu’il faut explicitement ou implicitement à tout prix réussir… ou échouer selon les situations, le poids de la trahison socio-familiale, poids trop lourd à porter et qu’ils refusent, prenant leurs jambes à leur cou et laissant ce fardeau sur le bord d’une route où ils continuent de courrir, désormais plus légers. Ne pas passer le bac est alors la solution la plus confortable. Pour les autres, à l’inverse, c’est justement cette trahison qui les motive, toujours soucieux de s’opposer au désir familial… mais sans y parvenir réellement. Dans beaucoup de cas, l’image du père est déterminante, véritable passeur social vers le monde adulte du travail ou plus globalement vers le monde professionnel. Trop abîmée, elle ne permet plus au jeune de grandir, à l’élève de s’élever, la réussite au bac d’être pensable. L’examen final devient alors un objectif impossible à atteindre surtout lorsque l’image de l’adulte a été à nouveau esquintée par le monde scolaire. Une parole déplacée, une situation d’injustice, parfois un rien imperceptible aux yeux de l’adulte concerné, peut fermer la porte de la réussite scolaire et rendre le bac inaccessible.

Le bac est, en France, surinvesti et ce surinvestisement a un coût pour les élèves les plus fragiles qu’il faut aider à relativiser la situation, au Micro-Lycée ou ailleurs. Ce surinvestissement peut créer des situations où les conditions d’obtention de l’examen peuvent devenir source de décrochage scolaire. Ainsi, Paul, élève de STT passe au bac une épreuve sur informatique, épreuve à fort coefficient, et l’enseignant interrogateur lui signifie, devant ses difficultés, qu’il « est nul ». Paul ne se présente pas aux épreuves suivantes, se retient de sauter sur l’interrogateur (il ne s’était pas toujours retenu dans le passé face à de telles situations) et attend un an avant de représenter le bac. et de le réussir ! Bakou échoue au bac avec 9,97 de moyenne, tous les membres du jury ayant sans doute jugé que Bakou devait être condamné à une année supplémentaire… de galère scolaire. Dégouté mais combattif, il échoue au Micro-Lycée, et reprépare son bac, qu’il obtient facilement, en conservant les bénéfices qu’il a déjà obtenus (les notes au-dessus de 10/20) puisqu’il y est, comme les autres élèves du Micro-Lycée, inscrit en candidat libre. Il obtient son bac l’année suivante.

Désacraliser : un travail de plusieurs années

Le Micro-Lycée a choisi, parce que le bac demeure un enjeu majeur du parcours scolaire français, de faire de ce baccalauréat l’objectif principal de la re-scolarisation des élèves décrocheurs raccrocheurs. Si l’équipe éducative se met à l’abri d’une dérive où la re-scolarisation ne serait que de la resocialisation, l’objectif bac est aussi, et surtout, très structurant pour des élèves qui doivent ainsi se confronter à leur motivation scolaire. Cette interrogation sur les motivations liées au bac peut, ou non, être un objet de référence entre l’élève et l’adulte référent. Ces questions peuvent parfois être très personnelles, trop personnelles et ne pas vouloir être posées soit par l’élève soit par un référent, c’est par exemple mon cas, en retenue sur des questions trop personnelles. Il s’agit surtout de mettre en place des stratégies multiples de réussite, d’inventer des stratagèmes les plus diversifiés afin d’accéder au diplôme et à sa symbolique. Parfois, il s’agit simplement de retravailler l’orientation et de permettre à l’élève de changer de section, choix in fine toujours opéré au Micro-Lycée par l’élève lui-même. Ce changement s’opère soit à l’intérieur d’une filière, générale ou technologique, soit d’une filière à une autre. Il intervient à l’inscription ou en cours d’année tant que les inscriptions au bac ne sont pas closes. Même après leur clôture, Malika a pu aller elle-même dans les services administratifs concernés, car dans ce cas l’équipe se refusait à le faire, négocier son changement de section et a obtenu, très tardivement, d’être inscrite au bac STT en option Gestion, qui finalement lui semblait plus accessible, plutôt qu’en option Commerce. Malika a en effet eu son bac relativement facilement alors qu’elle était salariée à la SNCF… à temps plein !

Plus en profondeur, ces stratégies touchent à la redéfinition d’un cadre scolaire désacralisé, à la didactique des disciplines et à la question de l’évaluation, discutée en équipe et avec des élèves toujours dans un rapport ambivalent avec la note (lorsqu’elle accompagne l’évaluation). L’élève doit reprendre le pouvoir sur son propre travail en acceptant de se confronter à l’évaluation, en se l’appropriant. Cette appropriation permet alors d’envisager le baccalauréat comme un objet personnel et non plus comme un objet extérieur à soi, auquel il faudrait échapper, au prix du décrochage scolaire ou même à n’importe quel prix. Les enseignants du Micro-Lycée sont également soucieux de faire comprendre aux élèves les règles du jeu du baccalauréat, tout comme ils sont attentifs, par ailleurs, à faire comprendre, à rendre transparentes, les règles du jeu scolaire. Il faut, dans la plupart des cas, à travers le travail d’une ou de plusieurs années scolaires, désacraliser l’examen final en donnant le temps à ce processus de désacralisation qui accompagne le processus de (re) motivation. Ces processus obéissent à des rythmes propres à chaque élève et le Micro-Lycée fait tout pour accorder le temps nécessaire à une re-scolarisation. Damien a même pu, après avoir fait deux Secondes puis deux Premières et deux Terminales en lycée traditionnel, passer deux nouvelles années en Terminale au Micro-Lycée et y réussir son bac avant de poursuivre des études de philosophie !

Cette gestion du temps scolaire est toujours délicate. Celle de la désacralisation scolaire l’est moins mais elle est également l’une des conditions de la réussite. Elle s’opère au Micro-Lycée à travers de multiples vecteurs dont l’absence de salle des profs, de sonnerie pour aller en cours ou de proviseur sur la structure elle-même (le Micro-Lycée ayant par ailleurs un proviseur de rattachement). Cette désacralisation générale du cadre scolaire vise essentiellement à la réappropriation de ce cadre et donc de sa sanction finale, le baccalauréat. Tout concourt alors à rendre l’examen plus ordinaire, à en faire une objet de désir comme un autre, à le rendre plus accessible à défaut de le rendre moins obscur.

La motivation comme esquive ?

L’emploi du terme de « motivation » est à la mode. Ce sur-emploi ne traduirait-il pas une difficulté du monde enseignant à s’adapter au public scolaire issu de la massification des vingt dernières années ? Les élèves décrocheurs et l’existence du Micro-Lycée de Sénart ne sont-ils pas les produits de cette situation ? La question de la motivation, telle qu’on l’entend ordinairement, ne sert-elle pas de paravent à la difficulté de mettre en place des modes d’enseignement nouveaux comme aurait pu l’être la réforme, malheureusement avortée, des Travaux Personnels Encadrés ? Beaucoup de questions peuvent être posées. Celle de l’ennui l’est d’ailleurs souvent, mais en inverse de celle de la motivation, comme si l’un était nécessairement l’avers de l’autre. La motivation est alors confondue avec la mobilisation ou l’implication. Aborder la dynamique du champ scolaire par la question de la motivation, comme d’ailleurs l’aborder par celle de l’ennui, permet de participer à une nécessaire réflexion mais fausse en partie le débat éducatif, en se déchargeant à bon compte sur la responsabilité individuelle de l’élève des responsabilités propres à l’enseignant et à l’institution scolaire.

Eric de Saint-Denis, Professeur, Micro-Lycée de Sénart.