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Le Chinois ? Un jeu d’enfants dans l’écriture des apprentissages…

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Les « normes » différences

Si l’école maternelle est la base des apprentissages premiers, elle les intègre fréquemment dans une approche spiralaire qui postule que tout est lié dans tout !
Une classe de 27 petits-moyens-grands travaille sur un projet annuel d’éducation à l’altérité par les langues-cultures : « Ici, Là-Bas, Ailleurs ». Ils manipulent des documents authentiques issus ou non de la biographie langagière francophone et multilingue des élèves. Ils travaillent régulièrement avec intervenants natifs.

Dans cette démarche curriculum, nous relaterons ici le projet sur les Ecritures qui aboutit à la « conscientisation » de son identité par la parole orale et écrite.
En amont, les élèves ont appréhendé l’écrit par les empreintes et traces laissées par leur corps : source première d’expression. Ils sont toujours fascinés par la trace qu’ils laissent sur les matières et notamment sur le papier. Traces motrices, cognitives, empreintes individuelles, uniques car identitaires fixées souvent par les arts visuels. Elles sollicitent de facto une discrimination fine des différences et des points communs par le jeu des comparaisons, superpositions, négociations de sens.

Deux collégiennes chinoises issues des classes de français langue seconde d’un collège de la ville sont intervenues en mandarin et en français. Ces jeunes filles se sont donné le droit de parler d’elles-mêmes, de leur pays, de leur famille, de leur culture malgré la douleur de leur exil. Elles ont constaté que ces jeunes enfants étaient attentifs à leur discours, acceptaient volontiers de travailler avec elles en les écoutant parler chinois, sans demander la traduction systématique.
Certes, n’ayant pas encore de représentations affichées de « l’étranger » ces élèves ont complètement adhérés au projet. Peindre des idéogrammes, en découvrir le sens, être capable de les reproduire en respectant les normes, leur a permis, tout âge confondu, d’acquérir une maîtrise du geste, la satisfaction de relever un défi et d’en être fier.

Quand les écritures ont du caractère…

L’écriture chinoise fascine les enfants : beauté du geste, maintien du pinceau, traces majestueuses sur le papier, symbolique des traits. La plasticité du cerveau, la mobilisation de tous les sens impriment des représentations mentales qui peu à peu se transformeront en concepts d’apprentissage.

Exemples de processus cognitifs d’enfants relatifs au tracé de l’idéogramme de l’arbre :

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– La représentation mentale initiale de l’idéogramme : « je vois un bonhomme avec des bras »
– l’analyse du dessin : « il y a des traits qui se croisent… »
– la motricité fine : « je tiens mon pinceau droit… »
– le repérage dans l’espace : « je trace d’abord le trait « allongé », puis au milieu je fais un long trait « couché »… »
– la discrimination fine, visuelle, kinesthésique : « quand j’ai fini les deux traits horizontaux et verticaux, je trace deux traits qui tournent… »
– la représentation mentale finale : « si c’est pas un bonhomme, c’est peut-être un arbre, on voit les branches, le tronc et les racines… »
– la pensée convergente : « pour dessiner la forêt, on pourrait dessiner plusieurs arbres… »

Nous mesurons l’amplitude d’un tel travail : découverte d’un autre monde de symboles, d’évocations, de significations, de constructions de compétences motrices, métacognitives, pluriculturelles inhérentes à cette « proximité de la distance » (D. Moore) et à cette « zone proximale de développement » (L.S Vygostki). S’ancrer dans ce qui est connu, ce qui rassure, ce qui structure sa pensée et donc son identité, c’est-à-dire le quotidien, le présent pour aller vers un Ailleurs, différent, quoique… Cette démarche implique une négociation entre pairs, entre adultes médiateurs, une disposition à l’investigation, par et pour la mise en synergie des acquis passés, présents et futurs.
« La démarche de l’enseignant, ce n’est pas de savoir ce qu’il va dire à ses élèves, mais plutôt de ce qu’il va leur proposer de faire » (P. Meirieu).

L’écrit pour ces enfants est avant tout un objet visuel, des dessins, des formes qui s’enchevêtrent, qui doivent s’écrire dans un sens déterminé pour une communication effective. Y accéder c’est conquérir son identité d’enfant qui construit des relations de causalité entre les choses, qui en accepte les contraintes pour mieux avancer dans ses processus d’apprentissage.
Enrichir les différentes sources d’écrit, c’est opter pour des situations d’apprentissage diversifiées qui mixées les unes aux autres, vont construire cette spirale de l’apprentissage énoncée notamment par les neurosciences (H. Trocmé-Fabre).
Le terme générique de langues-cultures symbolise deux concepts accolés et indissociables. L’interaction avec des natifs étaye bien le devoir de l’école d’apprendre aux enfants à penser la diversité (J. Bruner). Cette diversité s’impose au niveau des aptitudes : compétences plurielles à construire par des acquisitions contextualisées, transférables et au niveau des attitudes : comportements, savoir-être pour comprendre, réagir, interagir sur les faits avec toute sa personnalité (ce sont les intelligences multiples de H. Gardner).

Des jeux d’écriture à l’écriture du JE

Dans ce module d’écriture chinoise, le jeune apprenant est confronté à la double situation-problème entre le signifiant et le signifié. Tout d’abord la problématisation graphique, qui consiste à reconnaître un objet à travers un idéogramme, pour en déceler le sens. Puis la problématisation sémiologique, qui consiste à imaginer les relations entre les idéogrammes pour accéder à une idée signifiante. De cette dernière question naît un questionnement plus large sur la construction du langage comme moyen de communication et de compréhension.

Par cette approche des écritures, l’enfant prend conscience de l’importance de son écriture, en l’occurrence de son prénom et nom mais aussi du caractère arbitraire mais incontournable de ce qu’il doit apprendre. En traçant des idéogrammes il conceptualise le sens de l’écriture et la graphie des signes pour accéder à la multiplicité du sens, à une compréhension contextualisée qui deviendra commune à tous.
C’est ainsi que ces enfants ont travaillé aussi sur la mise en parallèle de journaux chinois et européens. Ces documents de communication ont été largement analysés pour que ces apprenants en déduisent les structures générales ( typographie, formes des articles…) et en déduisent des régularités (gros titres, date, publicités, encarts météo…)

Cette démarche didactique nous incite à élargir le débat vers l’acte social de l’écriture à savoir le choix déterminé et unique d’un style de communication, connu, reconnu, accepté et intégré par tous pour signifier les choses , les idées et par extension les valeurs d’une société.

On a tous quelque chose d’Ailleurs…

Puisque l’école maternelle a pour mission de poser les bases des apprentissages premiers, elle favorise par là-même la première construction du jeune apprenant, autonome, responsable, citoyen d’Ici et d’Ailleurs.

Puisque le cycle 1 doit donner à ces jeunes apprenants tous les outils et connaissances nécessaires à la construction de sa personnalité, il semble pertinent de l’ancrer dans une démarche d’Éducation Comparée. Comparer les écritures en est un exemple mais le projet décrit ci-dessus aborde aussi bien la comparaison des fêtes culturelles, que les contes traditionnels par l’étude des premières de couverture, que le repérage des vocables plurilingues sur des emballages alimentaires, que la déclinaison des jours de la semaine selon les langues romanes, germaniques ou slaves…..

Puisqu’enfin, l’école maternelle accueillera de plus en plus d’enfants de migrants, elle se doit d’éduquer dans un contexte ethnique et éthique. Plusieurs langues retentissent en classe même si l’on n’est d’accord sur le statut de la langue française comme langue commune à tous.
Cependant étudier le « divers » au quotidien, va enrichir les processus cognitifs pour accéder à une diversité multisensorielle. En effet apprendre des sons différents en écoutant des langues, les vivre avec des natifs, goûter à des saveurs nouvelles, aiguiser son sens esthétique par le travail sur des matériaux culturels, réagir à des musiques, c’est préparer l’enfant à la pluralité citoyenne.(M. Vandenbroeck)

Cette rencontre avec l’Autre, propulse l’école en tant qu’Institution, à insérer les apprentissages dans ce défi ethnique (F. Lorcerie), témoin d’une tension permanente et instable entre singulier et universalité. (L.Porcher, M.Abdallah-Pretceille)

Marie-Patricia Perdereau-Bilski, Professeur des Ecoles-Maitre Formateur – IUFM Normandie, site d’Evreux (27). Chargée de cours, FLE-FLS, Université de Lille III.


Bibliographie

Abdallah-Pretceille M. & Porcher L. (1996), Éducation et communication interculturelle, Puf.
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Bresner L. (2003), Le secret d’un prénom, Actes Sud Jeunesse.
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Bruner J. (1996), L’éducation, entrée dans la culture, Retz.
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Gardner H. (2004), Les intelligences multiples, Retz.
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Lorcerie F. (2003), L’école et le défi ethnique, Inrp, Esf.
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Louis C. & Bo S. (2004), Mon imagier chinois, Picquier Jeunesse.
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Meirieu P. (2006), « Treize pistes pour des pratiques d’excellence en ZEP », article en ligne in « journée nationale OZP », 13 mai 2006.
Moore D. (1996), « Bouées transcodiques en situation immersive », article in revue AILE, n°7,
Trocmé-Fabre H. (1987), J’apprends donc je suis, Éditions d’Organisation.
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Vandenbroeck M. (2005), Éduquer nos enfants à la diversité sociale, culturelle, ethnique, familiale, Erès.
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Vygotski L.-S. (1985), Pensée et Langage, La dispute.
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Weinich A. (1980), Jouer à écrire en chinois, Jouer à compter en chinois, Retz.
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