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« Le CRAP m’apparait comme un véritable laboratoire de pédagogie. »

Un mouvement pédagogique comme le CRAP, à quoi ça a servi, à quoi ça sert et à quoi ça peut servir ?

Le CRAP est, pour moi, un creuset essentiel : s’y retrouvent des personnes qui militent ensemble pour les mêmes valeurs éducatives et s’engagent en commun dans un travail d’explicitation-opérationnalisation de ces valeurs.
Je suis convaincu, en effet, que ce ne sont pas seulement les valeurs qui départagent les acteurs dans le champ éducatif : tout le monde – ou presque – est pour la formation des élèves à l’autonomie ou à la citoyenneté. Mais, d’une part, il faut dire précisément ce que l’on entend par là et, d’autre part, il faut expliquer comment on peut s’y prendre pour permettre à ces valeurs de s’incarner dans des pratiques. Ces deux opérations – explicitation et opérationnalisation – sont d’ailleurs liées et se nourrissent réciproquement : c’est en expliquant ce qu’on entend précisément par « autonomie » ou « citoyenneté » – dans une institution déterminée, dans le cadre d’un enseignement précis, avec des élèves concrets – que l’on peut inventer des moyens qui permettent de tenter de les former à l’ « autonomie » ou à la « citoyenneté »… et, réciproquement, c’est en cherchant ces moyens de le faire que l’on précise ce que l’on veut faire, que l’on y voit plus clair, progressivement, sur ce que l’on cherche vraiment.

selection_999_415_.jpgLa réflexion et le travail pédagogique n’ont rien à voir, en effet, avec une démarche « applicationniste » : c’est une quête de cohérence et une recherche permanente d’ajustement entre des finalités et des pratiques. Trop souvent, en effet, les finalités éducatives relèvent d’intentions générales qui permettent de se positionner dans le champ idéologique mais n’ont guère vocation à inspirer des pratiques : ainsi, des pratiques conservatrices cohabitent-elles facilement avec des discours révolutionnaires sans que cela ne gêne quiconque. En revanche, ce qui est vraiment subversif, c’est l’interrogation, faussement naïve, des pédagogues qui demandent : « Mais pourquoi ne faites-vous pas ce que vous dites ? » C’est cette interrogation qui permet de sortir des lieux communs et de s’engager dans la recherche obstinée de pratiques alternatives, bien plus « clivantes » que les discours généraux, fussent-ils inspirés. C’est l’exigence d’un minimum de rationalité qui peut remettre le plus efficacement en cause « le désordre établi ».

Ainsi le CRAP m’apparaît comme un véritable « laboratoire de pédagogie ». Un lieu où l’on travaille ensemble, en s’astreignant à une « inter-argumentation » rationnelle et réciproque, sur les rapports entre nos projets éducatifs – philosophiques et politiques – et nos pratiques éducatives – dans la classe, dans l’établissement, dans la Cité. Un lieu où l’on s’efforce, solidairement, d’être rigoureux, sans, pour autant, se prétendre « scientifique » (quand, de tous côtés, on se prétend volontiers « scientifique » pour s’exonérer d’avoir à montrer que l’on est rigoureux). Un lieu de « critique inventive » où l’on se coltine, parfois durement, avec la résistance des êtres et des choses aux meilleures intentions du monde. Un lieu où l’on recherche sans scrupules en quoi ces meilleures intentions peuvent être génératrices de malentendus. Un lieu où l’on ne se résigne ni à la fatalité, ni aux approximations.

En ce sens, il me paraît très significatif et particulièrement important que le CRAP soit associé très étroitement à une revue, Les Cahiers pédagogiques. Car la revue, en raison de l’exigence d’écriture et de présentation rigoureuse qu’elle porte, est, en quelque sorte, une « épreuve » féconde pour les praticiens-chercheurs que sont les pédagogues. Ce n’est pas seulement un vecteur de diffusion de la pensée, c’est d’abord un outil de confrontation et de construction de la pensée à travers les analyses de pratiques qu’elle impose.

C’est pourquoi mon travail et mon compagnonnage avec le CRAP-Cahiers pédagogiques a été essentiel : j’y ai appris, en même temps, l’exigence de rigueur dans les échanges et le devoir d’impertinence dans mes interventions. Une autre manière de dire que ce fut pour moi « une école de la liberté pédagogique ».