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Le CPE, les lycéens et leurs profs

Beaux, inventifs, gamins, en train d’apprendre…

Sans tomber dans le « jeunisme »[[C’est l’axe essentiel d’analyse de la crise du CPE selon le nouveau réactionnaire Robert Redeker « Quand le jeunisme trahit la jeunesse » dans Le Figaro, 3 avril 2006, qui attribue cette déviance à une autre plus redoutable encore : le pédagogisme.]], il faut reconnaître qu’ils sont beaux, ces quelque trente lycéens installés devant le lycée, préparant des pancartes sur des cartons récupérés, pour la manifestation de l’après-midi. Ils sont motivés, actifs, maladroits, heureux, sérieux, potaches, responsables, soucieux, attentifs…
D’où vient alors cette hostilité, dans la salle des profs de ce lycée de centre ville. Un quart des enseignants est en grève et soutient le mouvement. Mais le discours dominant est dans le dénigrement : quelle conscience politique ont-ils ces élèves ? « Je le leur ai demandé, et ils ont piqué du nez », dit un collègue. On se plaint de l’absentéisme galopant : les élèves saisissent donc tous les prétextes. On se demande même si ce n’est pas eux qui ont inventé les projets de précarisation pour avoir une occasion de sécher !
Beaucoup d’enseignants sont désemparés car les lycéens ont négocié avec l’administration, obtenu le droit de faire des AG dans la cour, prévenu des moments de mobilisation – le lycée n’est pas bloqué – qui sont donc considérés comme des absences légitimes. On ne peut pas les sanctionner : ils sont absents et ils ont des raisons.
Il y a dans la rancœur de certains professeurs quelque chose de l’ordre de la blessure : ces jeunes ont choisi de ne pas apprendre avec moi, pour apprendre autre chose ailleurs. Cet ailleurs doit donc être dénigré. Car ils apprennent, ces lycéens. On n’entend plus guère de prof dire, comme au début, qu’ils ne savent même pas ce que c’est qu’un CPE et qu’ils manifestent contre les « conseillers principaux d’éducation ». La connaissance qu’ils ont du « contrat première embauche » est devenue plus fine. Ils ont appris ce qu’était le code du travail, les prud’hommes. Le CNE est aussi dans leur ligne de mire à présent. Les rouages de la Ve République, le 49.3, la navette parlementaire, les rapports du législatif et de l’exécutif… n’ont plus de secrets pour eux, et pourtant, les institutions ne fonctionnent plus tout à fait comme sous le grand Charles, en ce moment, c’est le moins qu’on puisse dire… On peut discuter, avec des terminales STG, de la crise de la Ve République et envisager ce point de vue comme une conclusion possible de l’oral du bac d’histoire-géo.
On pourrait donc apprendre juste à l’extérieur du lycée, accompagné par une guitare et des tambourins ? Impensable ! On pourrait se motiver, prendre des responsabilités, venir plus tôt le matin bien qu’on n’ait pas cours, pour faire l’affichage qui annonce les réunions, bref faire ce que demandent les doctes et sages adultes dans les conseils de classe : se motiver, s’investir davantage, prendre ses responsabilités et préparer son avenir ?
Bien sûr, nul ne prétend que les cours, ça ne peut pas servir, parfois, à apprendre. Les lycéens de terminale gèrent avec intelligence révisions, participation aux cours qui ont lieu et présence dans les manifestations. On a vu des animateurs du comité de lutte lycéen faire l’aller retour entre la maison des syndicats où ils ont discuté avec la CGT, et le lycée pour passer l’oral de TPE comptant pour le bac. Des cours sont échangés, photocopiés… Et il y aura sans doute des trous dans le sacro-saint programme.
Mais il serait intéressant d’étudier plus finement ce phénomène d’apprentissage de la vie politique et de la citoyenneté active par toute une génération. N’est-ce pas là aussi une des finalités de l’école ?
Et peut-être dire finalement merci au trop décrié Galouzeau de Villepin ?

Dominique Natanson, lycée Gérard de Nerval, Soissons (02).


Naïfs, inorganisés, combatifs…

Les stigmates de novembre se ressentaient encore quand les élèves de mon lycée, au pied de la dalle (là où le terme « racaille » fut prononcé par un ministre se disant de la république), à la rentrée des vacances de février, sont rentrés dans le mouvement anti-CPE. Les profs étaient plutôt passifs devant les attaques du gouvernement contre l’école ou la démocratie. Là où habituellement les grèves sont très suivies, la léthargie régnait. Et les élèves ont réveillé les profs (on a frôlé les 70 % de grévistes le 28 mars), enfin ! D’abord par des grèves de cours et des défilés dans la ville, les élèves des différents lycées du secteur se rendant mutuellement visite, puis des blocages gentils qui laissaient passer les collégiens (on est cité scolaire) et les personnels et n’ont jamais duré plus de deux heures.
Bien sûr, la plupart des élèves « grévistes » se contentaient de rester chez eux, mais ce phénomène ne se retrouve-t-il pas chez les salariés ?
Il a fallu défendre le lycée contre les jeunes (non lycéens, sans doute les mêmes qu’en novembre) qui profitaient de la pagaille ambiante pour venir casser. Là, on a particulièrement apprécié l’efficacité des CPE et des personnels de surveillance (5 statuts différents dans mon établissement).
Les élèves ont fait leur apprentissage de la démocratie. Là, un délégué au conseil d’administration, membre du CAVL (conseil académique de la vie lycéenne) qui voulait négocier un trajet dans la ville s’est vu rabroué par un commissaire obtus qui lui a lancé « qui t’es toi, t’es rien pour moi, je discute pas avec toi ». Nul doute qu’il faudra du temps à cet élève pour accepter de parler à nouveau avec un policier. Ici, une AG d’élèves regroupant un quart de l’effectif du lycée a voté le blocage dans le brouhaha et à mains levées, sans que les élèves aient entendu vraiment ce pour quoi ils votaient.
Il m’a fallu, à leur demande, expliquer à mes classes pourquoi – alors que j’étais contre le CPE – je n’étais pas en grève tous les jours, ce qu’est un préavis, comment on s’organise dans une manifestation pour éviter d’être pris dans les échauffourées ou de se faire voler son mobile et, accessoirement, comment lire le plan de métro… Exercice pas facile quand on veut respecter dans le même temps les principes de laïcité et de neutralité.
Ils ont gagné et pas seulement contre le CPE. Ils ont réussi à fédérer les organisations syndicales et surtout, ce que j’ai apprécié, et j’ai pu le constater dans les discussions dans un bus bloqué par un barrage d’étudiants ou dans les manifestations, ils ont obtenu un formidable soutien des adultes, solidaires de leur juste lutte.
Et après, saurons-nous les défendre encore contre les inégalités, contre la précarité ? Saurons-nous leur apprendre la démocratie ? L’ECJS va-t-elle enfin trouver sa place ? C’est, il me semble, notre prochain travail d’éducateur à accomplir.

Dominique Guy, lycée d’Argenteuil.


Novembre en mars

Lundi 20 mars. J’ai cours avec une classe de 2de dans des préfabriqués au fond du terrain du lycée. J’enseigne depuis quatre ans dans un très grand (par la taille) lycée de la banlieue sud de Paris. Tout se passe bien, le cours se déroule normalement. Soudain, on entend une clameur, des cris. Comme mercredi dernier, mais je n’étais pas présent, des élèves se sont introduits dans le lycée.
Mes élèves sont littéralement terrorisés, ils veulent sortir du bâtiment. J’essaie de les calmer et de les raisonner. Fort de mes 25 ans d’expérience de ce type de situation, je leur dis : « Mais ce n’est tout de même pas la première fois que des élèves viennent dans un établissement pour appeler leurs camarades à la grève ! S’ils arrivent, nous les laisserons rentrer et nous écouterons ce qu’ils ont à nous dire… ».
Les élèves me regardent alors avec une sorte de commisération et me répondent : « Mais monsieur, ça n’a rien à voir avec le CPE, ce qu’ils veulent c’est juste tout casser… »
Ils avaient raison.
Dans l’établissement où je travaille, comme dans beaucoup d’autres établissements de banlieue, la période du mouvement anti-CPE a donc été un mélange dangereux entre (faibles) revendications et regain d’émeutes urbaines.
Dans cet énorme lycée de près de 3000 élèves, il n’y avait pas plus de 200 élèves qui étaient mobilisés contre le CPE. Le matin des grandes manifestations, le plus souvent, une petite centaine de jeunes bloquait l’entrée des grilles.
Mais ce que tous craignaient, élèves et professeurs, c’était le déclenchement de la violence. Plusieurs « attaques » (il n’y a pas d’autres mots qui me viennent à l’esprit) ont eu lieu au cours de cette période. Les premières ont entraîné surtout des bris de vitres et de matériel. Il y a eu cependant une blessée assez grave. C’étaient essentiellement des jeunes venant des lycées professionnels voisins et des quartiers proches.
Un stade a été franchi, le jeudi 23 mars. Le lycée a été « attaqué » pour la quatrième fois en une semaine. Il faut dire qu’il s’agit d’un château et que dans l’imaginaire de certains jeunes de cette région, c’est un symbole. Une sorte de « Bastille » à prendre. Le lycée des « bourgeois ». Près de 200 jeunes ont tenté d’entrer en forçant les grilles. Il y a eu de violents affrontements avec la police arrivée assez vite. J’ai pu assister à tout cela dans la fumée des lacrymogènes et les tirs de flash-balls…
Sentiment d’être assiégé, sidération devant la violence gratuite et surtout beaucoup de questionnement sur l’évolution de notre société. Revanche sociale, expression d’un malaise toujours présent, situation anomique, tout cela peut expliquer ces évènements. On était loin en tout cas de la revendication contre le CPE, on assistait plutôt à une réédition de novembre, qui avait déjà été très chaud dans notre banlieue. Les braises sont loin d’être éteintes…
Les débats dans la salle des profs étaient peut-être différents de ceux d’autres établissements. Ici, il ne s’agissait pas seulement de savoir comment s’organiser pour la manifestation et le lien à faire avec les quelques élèves grévistes. Le débat principal durant les AG portait sur la sécurité : « faut-il demander la fermeture du lycée ? », « peut-on revendiquer le droit de retrait ? ».
Le lycée a finalement été fermé le 28 mars, jour d’une des grandes manifestations parisiennes. Des informations laissaient craindre de nouvelles violences devant le lycée. Le défi qui circulait dans les messages échangés (par MSN ou par SMS) était de « faire tomber le lycée ».
Ce même jour, j’étais dans la manifestation avec d’autres collègues. Nous avions proposé aux élèves désireux de manifester, de les accompagner pour prévenir les violences par notre présence. Nous avons pu éviter ainsi plusieurs petits incidents. Vers la fin de la manifestation, nous avons été dépassés par une bande d’une centaine de jeunes qui couraient vers la place de la République et qui dépouillaient et frappaient, au passage, ceux qui se trouvaient sur leur chemin. J’ai été impressionné par la grande jeunesse de ces gamins âgés d’à peine quatorze ans et par la présence non négligeable de filles parmi eux. Là aussi, c’était la violence qui prévalait plus qu’une quelconque revendication.
On a pu lire dans la presse certains commentateurs qui faisaient le lien entre les émeutes urbaines de novembre 2005 et le mouvement anti-CPE de mars 2006. La question de la précarité et de l’avenir de la jeunesse est en effet centrale dans les deux évènements, mais on ne peut pas dire pour autant qu’elle soit vécue de la même façon par les jeunes les plus défavorisés et les autres lycéens et étudiants.
Plutôt que l’image idyllique d’une jeunesse unie, le mois de mars 2006 me donne surtout à voir celle d’une cassure entre deux jeunesses. Au-delà du sentiment d’amertume, je me demande surtout comment recréer du lien entre eux et leur redonner de l’espoir. Sacré défi…

Philippe Watrelot, lycée de Savigny-sur-Orge.