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« Le CDI n’est pas une perm’ ! »

Dans notre académie, des journées associant personnels de direction, d’éducation et de documentation sont proposés sur des objets de travail commun, comme, en 2009, les pratiques numériques des jeunes et leur prise en compte pédagogique et éducative. Figurent également dans le plan académique de formation des dispositifs ouverts aux CPE et professeurs documentalistes sur la mise en œuvre du socle commun, l’accompagnement éducatif, l’orientation, les partenariats. Lors des visites d’inspection en établissement, un temps de travail commun entre direction, CPE et documentalistes permet de faire le point sur la contribution des responsables du service de la vie scolaire et du CDI à la politique pédagogique et éducative de l’établissement.
Par delà la formation proprement dite, le travail en réseau interprofessionnel est impulsé à l’échelle des bassins de formation : deux fois par an, les professeurs documentalistes et CPE correspondants de bassin sont réunis par leurs inspecteurs afin de procéder ensemble à un bilan des actions entreprises, à l’évaluation des besoins de formation et d’accompagnement, à l’examen des thèmes de travail à venir.
Comme référent académique éducation aux médias, j’ai d’autre part, avec le CLEMI[[Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information]], constitué un réseau de référents de bassin dans lequel coopèrent personnels de direction, enseignants de disciplines, professeurs documentalistes et CPE.

Une remise en cause du fonctionnement établi ?

Cette visée stratégique dérange des habitus professionnels adossés aux cloisonnements entre CDI, vie scolaire et disciplines d’enseignement. Certains redoutent une fusion de professionnalités distinctes dans un informe magma, sous l’étiquette « vie scolaire ». D’autres et les mêmes en appellent à une inspection spécifique, avec, sur le modèle des disciplines d’enseignement, des inspecteurs et des agrégations d’éducation d’une part, de documentation d’autre part. D’autres encore, sans redouter l’uniformisation, s’interrogent sur le bienfondé de cette démarche.
Il s’agit de partir d’une idée simple : il ne peut y avoir qu’une seule politique d’établissement centrée sur les apprentissages des élèves. Les actions conduites par les uns et les autres sans concertation ni cohérence manquent de lisibilité. Ce mode de fonctionnement libéral a pu donner satisfaction quand la contrainte scolaire était assez forte sur les élèves et les parents. Aujourd’hui, la contrainte doit être relayée par une motivation fondée sur une organisation qui donne du sens à ce que l’on apprend en classe, au CDI, et dans le cadre de l’établissement.
Quel sens a pour les élèves, l’intervention d’un brigadier de gendarmerie qui vient leur parler de prévention, en classe, alors que le cours de français a déjà commencé ? Il en irait différemment, si, au CDI, étaient mises en valeur les ressources périodiques, documentaires et fictionnelles, physiques et en ligne, relatives au thème de l’intervention, si, à l’initiative du service de la vie scolaire, une action de sensibilisation et de mobilisation des élèves sur la question était organisée, si, dans le cadre de l’éducation civique, cette question était abordée.
Par leur rôle dans l’établissement, leur place au sein du conseil pédagogique et du CESC[[Comité d’éducation à la santé et la citoyenneté]], CPE et documentalistes ont une responsabilité particulière à l’égard du sens donné aux apprentissages par une politique pédagogique et éducative dont la cohérence s’exprime dans le projet d’établissement. C’est ce que mes collègues exposent ici : dans la formation commune et le travail concerté, l’identité professionnelle de chacun s’affirme et s’enrichit.

Jean-Pierre Véran
Inspecteur d’Académie, Inspecteur pédagogique régional Établissements et vie scolaire dans l’académie de Montpellier


CPE et professeurs documentalistes : sortir d’une professionnalité assignée

Deux éléments frappent le formateur lorsqu’il anime une formation commune CPE/professeurs documentalistes. Le premier concerne la relative bonne connaissance que chaque partie a des missions qui incombent à l’autre. Le deuxième est relatif à un point que CPE et professeurs documentalistes semblent partager, souvent malgré eux, à savoir la méconnaissance par les autres membres de la communauté éducative, notamment les enseignants de discipline, de leurs fonctions ainsi que de l’organisation et du fonctionnement des espaces vie scolaire/CDI. C’est ce deuxième élément qui va retenir ici notre attention. Je vais en effet essayer de montrer comment CPE et professeurs documentalistes peuvent, grâce à une formation et une action qui les rassemblent, affirmer positivement leur professionnalité tout en contribuant à la politique éducative et pédagogique de leur établissement.
Lors des formations communes, les exemples et les anecdotes foisonnent pour illustrer la méconnaissance que je viens d’évoquer. Tel collègue CPE raconte par exemple comment il a vu arriver dans son bureau un élève qu’un enseignant lui avait envoyé pour chercher un tournevis ! Tel collègue documentaliste explique que dans son collège le CDI est envisagé essentiellement comme un lieu de relégation. Le CDI serait alors comme la cire chaude qui ne doit sa forme qu’à l’objet qu’une main extérieure imprime sur elle !
Une fois ces doléances entendues, il reste au formateur à convaincre les uns et les autres de passer d’une professionnalité assignée à une professionnalité construite positivement. Comme l’écrivent les auteurs de l’étude du CEREQ, il est nécessaire pour cela de faire des choix, de coopérer autrement avec les autres professionnels et d’inscrire ces choix et ces coopérations dans un ou des projets.
Les temps de formation commune, comme les autres moments de rencontre impulsés par les IA/IPR EVS de l’académie de Montpellier, doivent être l’occasion pour les CPE et les professeurs documentalistes de mieux connaitre ce qui différencie leurs missions pour mieux appréhender ce en quoi elles convergent.
La meilleure façon de parvenir à déterminer ces points de convergence consiste à les rechercher à l’intérieur de thématiques et de problématiques que CPE et professeurs documentalistes partagent. Qu’il s’agisse d’éducation à l’orientation, de mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences, d’éducation à la citoyenneté, de réflexion critique sur le rôle et l’impact des médias et des nouvelles technologies, d’organisation des lieux d’accueil que sont la vie scolaire et le CDI, nous avons là autant de domaines dans lesquels les compétences spécifiques des uns et des autres peuvent venir en appui des apprentissages disciplinaires, soit en amont, soit en aval.
L’important consistant, grâce à des actions conduites en concertation, à donner une cohérence et du sens aux apprentissages dans et hors la classe.
La formation commune doit permettre de passer d’une collaboration informelle basée sur la bonne volonté des deux parties, à une « collaboration étroite […] particulièrement élaborée, car elle constitue un élément déterminant de la dynamique de la vie scolaire »[[Circulaire 82-482 du 28 octobre 1982]]. On pourra par exemple travailler sur la construction de référentiels communs en fonction des thématiques et problématiques citées plus haut avec pour objectif d’aboutir à la rédaction d’un projet commun service vie scolaire/CDI. Ce projet sera ensuite largement diffusé au sein de la communauté éducative.
L’enjeu, pour les CPE et les professeurs documentalistes, sera de « prendre la main » et de montrer à la communauté éducative quelle contribution ils peuvent apporter à la politique éducative et pédagogique de leur établissement, tant dans son élaboration que dans sa mise en œuvre.
Le temps de l’assignation pourra ainsi être dépassé et CPE et professeurs documentalistes seront à même de construire positivement leur professionnalité.

Christophe Barbier
Conseiller principal d’éducation en lycée à Perpignan – IUFM Montpellier


« Le CDI n’est pas une perm ! »

Les usages des différents lieux qui composent un établissement scolaire sont souvent perçus différemment selon que l’on soit enseignant, chef d’établissement, conseiller principal d’éducation, professeur-documentaliste ou élève. Les attributions de chacun de ces lieux parfois divergent. Les relations entre le service de la Vie scolaire et celui de la Documentation souffrent souvent de ces malentendus.
Le CDI, espace « différent », ni salle de classe, ni salle de permanence, ni foyer, cristallise souvent ces tensions. En effet, aux yeux des élèves il revêt une place particulière, espace de découverte, non coercitif où les règles paraissaient si différentes à leurs yeux de celle de la classe. Le chef d’établissement, le CPE, eux, selon les contraintes des emplois du temps, les enseignants absents, les salles de permanences surchargées y voient un lieu supplémentaire pour y « garder » les élèves.

« Le CDI n’est pas qu’une bibliothèque ! »

Bref, les relations entre ces deux services, vie scolaire et documentation, se jouent souvent d’abord à ce niveau, celui de la « gestion des flux d’élèves » hors temps de classe. On dira en termes convenus, « d’accueil des élèves au CDI ». Mais quel accueil ? Et pour quoi faire ? Cette question déstabilise beaucoup de professeurs-documentalistes fraichement détenteurs du CAPES, peu préparés à cet aspect du métier. Elle ne doit pas être éludée. On peut la poser en ces termes : comment penser l’organisation de l’accès au CDI pour qu’il soit ouvert à tous et dans le même temps qu’il préserve des règles de conduite des élèves respectueuses d’une forme particulière de travail scolaire, la recherche documentaire et la lecture silencieuse par « tradition » attachées à ce lieu ?
Le CPE, garant du bon fonctionnement de la vie scolaire, est donc l’interlocuteur le mieux placé pour répondre à cette question d’organisation. Mais il n’a pas toutes les réponses. Une collaboration constructive est donc nécessaire particulièrement en ces temps de restriction de personnel : la pression du quotidien est forte pour les personnels de la vie scolaire (gestion des retards, des absences, des mesures disciplinaires de collègues enseignants peu attentifs aux conséquences de leurs décisions sur la bonne marche du service), et avec peu de moyens humains, ils essaient d’y pallier au mieux. Pourquoi, alors, le documentaliste, et par là, le lieu dont il a la charge ne participerait-il pas à l’amélioration de l’accueil des élèves ?

« Le documentaliste n’est pas qu’un prof ! »

L’histoire, récente, de ce métier est fondée sur une revendication, confirmée par l’institution lors de la création du CAPES de documentation en 1989, celle d’être un enseignant à part entière : le professeur-documentaliste est le garant de la formation des élèves à la maitrise de l’information. Les différents référentiels professionnels existants lui donnent la matière de son enseignement même s’il n’est pas encore reconnu dans les programmes. Je crois que cette posture d’enseignant est désormais dominante chez les documentalistes. Cependant, au même titre que nos collègues de discipline, nous contribuons aussi à l’éducation des élèves[[Circulaire n°97-123 du 23/05/1997 : « Sa mission est tout à la fois d’instruire les jeunes qui lui sont confiés, de contribuer à leur éducation et de les former en vue de leur insertion sociale et professionnelle. » Voir aussi l’article 2 de la loi d’orientation du 23 avril 2005 et l’arrêté de décembre 2006 relatif au cahier des charges de la formation des maitres.]]. Il est donc de notre devoir de tenir compte de ce versant du métier au risque de tomber dans la caricature de l’enseignant « freelance », insensible à la vie de l’établissement hors de sa classe, se renfermant dans un espace cloisonné (ineptie pour un CDI !) à mille lieues de la vocation même qu’il porte depuis 1986 (circulaire de mission du documentaliste). Cette attitude individualiste est incompatible avec le métier d’enseignant. Il ne peut se dédouaner de ses responsabilités en termes éducatifs.[[Voir à ce sujet les remarques de Jean-Paul Delahaye « Les CPE ont une expertise, une qualification en matière éducative qui est indispensable à tous » sur le Café pédagogiques du 23/06/2009.]]

Des compétences différentes pour des projets communs

Les compétences propres au documentaliste et au CPE peuvent trouver des points de convergence par exemple s’agissant de l’éducation à l’orientation. Sans omettre le rôle primordial que jouent le conseiller d’orientation psychologue et le professeur principal dans cette éducation, celle-ci trouve un ancrage intéressant pour le documentaliste lors des recherches d’informations sur les métiers et les formations, et pour le CPE, lors du suivi personnel des élèves et des relations avec les familles. On peut aussi citer l’éducation aux médias ou l’accompagnement éducatif. Donc, tout en affirmant les compétences liées à leur fonction, documentalistes et CPE peuvent concevoir des projets communs qui revêtent une valeur ajoutée éducative et pédagogique. Ils sont malheureusement trop rares.
C’est en cela que je rejoins Jean-Pierre Véran. Le professeur-documentaliste contribue à « donner du sens à l’organisation de la vie dans l’établissement ». La cohérence éducative au sein de l’établissement particulièrement entre documentaliste et CPE est nécessaire pour que l’élève y trouve ses repères. L’articulation « vie scolaire » / « documentation » doit être pensée en amont, autour d’un projet commun favorisant ainsi et le climat scolaire et la réussite des élèves.

Denis Tuchais
Professeur documentaliste en lycée à Montpellier – IUFM Montpellier