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La variation cognitive

1. De quels cadres théorique disposons-nous actuellement pour parler de variation cognitive, ou encore de différents types d’intelligences ?

Les premiers psychologues à avoir tenté d’évaluer l’intelligence, il y a maintenant plus d’un siècle, l’ont envisagée comme une caractéristique globale de la conduite d’un individu.
Ce fut le cas de Binet, qui eut l’idée de construire une échelle de mesure du développement de l’intelligence en sélectionnant, pour chaque âge, des tâches intellectuelles variées qui puissent être considérées comme représentatives de ce qu’un enfant de cet âge est normalement capable de réussir (cf. Binet et Simon, 1908). Plus précisément, une tâche était considérée comme représentative d’un âge si elle était réussie par la plupart des enfants de cet âge, mais encore échouée par la plupart des enfants d’âges inférieurs. Ainsi, un enfant de dix ans d’âge chronologique réussissant les tâches représentatives de l’âge de 12 ans était crédité d’un âge « mental » de 12ans et donc considéré comme en avance dans le développement intellectuel. On a plus tard proposé de quantifier le degré d’avance ou de retard en rapportant l’âge mental à l’âge chronologique. Ce rapport a été baptisé « Quotient intellectuel » ou plus brièvement QI (dans notre exemple, QI = 12/10 = 1,2 et en multipliant par 100 pour éviter les décimales, QI=120). Ce test, le Binet-Simon, a été élaboré pour permettre d’évaluer aussi objectivement que possible les cas de retard intellectuel et il a effectivement rempli cet objectif. Mais le QI est une caractérisation du développement intellectuel trop grossière et trop globale pour être utilisée à d’autres fins. Les items de l’échelle étaient, on l’a dit, des tâches intellectuelles très variées, de mémoire, de raisonnement, de vocabulaire, de représentation spatiale, etc. et l’âge mental de l’enfant était calculé en additionnant indistinctement les points des réussites sans prendre en compte les éventuelles hétérogénéités entre domaines. C’est un point sur lequel nous reviendrons.

Cette caractérisation globale de l’intelligence découlait aussi des travaux de Spearman (1904) qui, à peu près à la même époque que Binet, cherchait à mesurer l’intelligence mais employait pour cela d’autres méthodes. Il faisait lui aussi passer aux enfants des tâches intellectuelles variées, calculait les corrélations entre les scores atteints dans ces différentes épreuves, puis procédait à une analyse mathématique des corrélations pour rechercher d’éventuels facteurs communs de variation entre les performances des enfants dans les différents tâches. Il a, ce faisant, inventé le principe de l’analyse factorielle et, avec la méthode qu’il utilisait, il trouvait un seul facteur commun de variation, qu’il a appelé le facteur général d’intelligence (souvent désigné comme le facteur g). Chez Spearman comme chez Binet, donc, l’intelligence était conçue comme une caractéristique globale, unidimensionnelle, sur laquelle les différences entre les individus étaient uniquement de type quantitatif : on avait plus ou moins d’intelligence.
Dans le siècle qui nous sépare des travaux de ces pionniers, l’approche de l’intelligence est devenue plus analytique et le concept est devenu multidimensionnel. On peut distinguer trois grands courants de recherche qui, par des voies différentes, ont tous mis en question la conception unidimensionnelle qui vient d’être évoquée.
Le premier courant est celui qui s’est appuyé sur les méthodes d’analyse factorielle pour étudier la structure des différences individuelles de performance dans les tests d’intelligence. En développant de nouvelles méthodes d’analyse factorielle, certains chercheurs ont, dès les années trente, trouvé plusieurs facteurs de l’intelligence, en d’autres termes, plusieurs sources de variation des performances dans les tests d’intelligence. Certains, comme Thurstone (1938), pensaient même que ces différents facteurs étaient indépendants et mettaient ainsi en question l’existence même du facteur général trouvé par Spearman. Après une période de vives controverses entre les disciples de Spearman et ceux de Thurstone, c’est à dire entre ceux qui pensaient que l’on pouvait parler de l’intelligence au singulier et ceux qui pensaient qu’il fallait parler d’intelligences au pluriel, l’utilisation de modèles factoriels hiérarchiques a montré que ces positions étaient toutes en partie correctes et en partie erronées. Un relatif consensus existe maintenant autour du modèle factoriel hiérarchique de Carroll (1993). Cet auteur a montré, en réanalysant les données de toutes les analyses factorielles effectuées sur des ensembles variés de tests d’intelligence, qu’elles sont toutes compatibles avec une même structure factorielle hiérarchique comportant trois étages emboîtés de facteurs de l’intelligence. Au sommet de cette pyramide se trouve un facteur général, rendant compte de la variance qui est commune à l’ensemble des tests. Une fois la variance de ce facteur général retirée, la variance restante est expliquée par huit ou neuf facteurs larges, dont chacun rend compte de la variance commune aux tests d’un même domaine. Enfin, une fois la variance de ces facteurs larges retirée, la variance restante se partage entre une quarantaine de facteurs étroits, trop spécifiques pour nous intéresser ici. En conclusion, l’analyse factorielle des différences individuelles de performance dans les tests d’intelligence a montré que la structure des ces différences était multidimensionnelle. Il existe bien un facteur général, donc une source de variation des performances qui est commune à l’ensemble des tests d’intelligence, mais contrairement à ce que pensait Spearman, ce facteur g ne suffit pas à rendre compte des variations des performance dans les tests d’intelligence. Il existe aussi des facteurs larges, dont chacun correspond à une forme d’intelligence spécifique à un ensemble particulier de tâches cognitives. Pour ne citer que les plus importants de ces facteurs larges, on distingue ceux correspondant à l’intelligence fluide (en jeu dans les tâches d’induction, de raisonnement, de logique), l’intelligence cristallisée (en jeu dans les tâches verbales, dans les tâches faisant appel à la richesse et à la structuration de la mémoire sémantique), la représentation visuo-spatiale (en jeu dans les tâches de visualisation, de structuration de l’espace), la représentation auditive (en jeu dans la mémoire des sons, la discrimination auditive, le jugement musical), la mémoire, la vitesse de traitement. Une présentation plus détaillée des différents facteurs de l’intelligence pourra être trouvée ailleurs (Huteau et Lautrey, 2006). En somme, il existe certes une tendance à ce que les personnes ayant de bonnes performances dans une de ces formes d’intelligence aient aussi de bonnes performances dans les autres, c’est ce dont rend compte le facteur général, mais il ne s’agit que d’une tendance statistique. Cette homogénéité du niveau de performance n’a rien de nécessaire puisqu’on trouve aussi de nombreux cas de personnes performantes dans telle ou telle de ces formes d’intelligence sans l’être pour autant dans les autres, c’est ce dont rendent compte les facteurs larges de la seconde strate du modèle factoriel hiérarchique de Carroll. L’évaluation des capacités intellectuelles d’un individu ne doit donc pas se limiter à un indice global de performance tel que le QI, mais doit caractériser son profil de développement en caractérisant sa position sur chacune des différentes dimensions de l’intelligence. Les différences individuelles sont alors tout autant des différences qualitatives (différences dans la forme du profil) que quantitatives (différences dans l’altitude des profils lorsque ceux-ci sont suffisamment homogènes pour que la comparaison ait un sens).
Un second courant de recherche ayant contribué à mettre la conception unidimensionnelle de l’intelligence en question est celui qui s’est appuyé sur les données de la neuropsychologie, en particulier sur les données suggérant une relative localisation cérébrale de certains processus cognitifs. On peut ranger les travaux de Howard Gardner (1996) dans ce courant, bien que sa théorie des intelligences multiples prenne en compte d’autres considérations que les données de la neuropsychologie. Gardner considère qu’il existe une multiplicité de formes d’intelligence et a proposé un certain nombre de critères pour les distinguer. Au premier rang des critères que doit remplir une forme d’intelligence, est précisément l’existence de localisations cérébrales qui lui sont spécifiques. D’autres critères sont, par exemple, l’existence de créateurs géniaux ayant fait des contributions exceptionnelles dans le domaine considéré, ou l’existence de cas dits « d’idiots savants », c’est-à-dire de sujets qui manifestent des capacités extraordinaires dans le domaine considéré, mais médiocres dans les autres domaines. En s’appuyant sur un certain nombre de critères de ce genre, Gardner a pensé pouvoir distinguer sept intelligences : logico-mathématique, langagière, spatiale, musicale, kinesthésique, interpersonnelle, et intrapersonnelle. Il conteste l’existence d’un facteur général et considère ces différentes intelligences comme indépendantes les unes des autres. Ce dernier point n’a jusqu’ici pas été démontré et a peu de chances de l’être dans la mesure où Gardner refuse toute forme de mesure standardisée de ces formes d’intelligence. Néanmoins, si l’on s’en tient à la nature des distinctions proposées, on peut voir une ressemblance assez forte entre les quatre premières de ces formes d’intelligence et les quatre facteurs qui, dans l’approche factorielle, ont été respectivement dénommées intelligence fluide, intelligence cristallisée, représentation visuo-spatiale et représentation auditive. Quant aux trois autres, elles ne pouvaient figurer dans les facteurs isolés par l’approche factorielle de l’intelligence, car aucune étude n’a inclus dans les batteries de tests analysées, de tâches de type kinesthésique (par ex. la danse) ou interpersonnelles (par ex. la capacité à influencer autrui) ou intrapersonnelles (par ex. la compréhension et le contrôle de ses propres émotions). Certains chercheurs ont tenté d’élaborer des instruments d’évaluation de ces formes d’intelligence, notamment pour ce que l’on a appelé l’intelligence sociale et l’intelligence émotionnelle, mais ce sont des formes d’intelligence beaucoup plus difficiles à évaluer que celles dont il a été question plus haut et il n’y a pas pour l’instant de consensus sur leur éventuelle spécificité ni sur la façon de les évaluer.
Un troisième courant de recherche allant dans le même sens est issu de la psychologie développementale. C’est une sous-discipline de la psychologie qui a longtemps été dominée par la théorie de Piaget qui faisait reposer la construction des structures cognitives de l’enfant sur un processus d’équilibration s’appliquant de la même manière à tous les domaines de la connaissance. Selon cette théorie, lorsque l’enfant achevait la construction d’une nouvelle structure cognitive, par exemple la structure opératoire concrète, il était supposé parvenir à un nouveau stade de développement cognitif et était alors censé mettre en œuvre la forme de raisonnement caractéristique de cette nouvelle structure opératoire dans tous les domaines de la connaissance. Les faits n’ont pas corroboré cet aspect de la théorie. Dans le développement, les asynchronismes sont la règle et c’est plutôt le synchronisme qui est l’exception. En outre, même si certains processus cognitifs sont à l’œuvre dans tous les domaines de la connaissance, les recherches actuelles montrent que le développement prend une forme spécifique dans chaque domaine. Le monde des objets, celui êtres vivants, celui de l’esprit, celui des nombres, celui du langage, etc. obéissent à des principes de causalité différents. Pour comprendre le comportement des objets, leurs mouvements par exemple, il faut élaborer des notions comme celles de choc, de poussée, de force. Pour comprendre le comportement des personnes, il faut élaborer des notions comme celle d’intention, d’état mental. Il semble que certaines prédispositions à l’appréhension des principes qui régissent chacun des domaines soient en place très tôt chez l’enfant. Il existe des divergences importantes entre les chercheurs quant à la nature de ces prédispositions et quant à leur degré d’innéïté : modules précablés, préconceptions, théories naïves, etc., mais il y a accord sur le fait que ces premiers noyaux de connaissance sont spécifiques à un domaine et contraignent l’acquisition des connaissances suivantes. D’où il résulte que le développement cognitif est plus spécifique à chacun des domaines que ne le prévoyait la théorie de Piaget (cf. par exemple Wellman et Gelman, 1997).
Pour conclure sur ce premier point, des courants de recherche qui ont abordé la cognition avec des problématiques aussi différentes que l’étude de la structure des différences individuelles, l’étude des bases neurobiologiques de la cognition, ou l’étude du développement, ont tous convergé vers une conception multidimensionnelle du développement et du fonctionnement cognitifs. Cette évolution implique que l’on n’en reste pas à la prise en compte de variations globales de l’intelligence, telles que celles évaluées par le QI ou le facteur g, mais que l’on soit davantage attentif aux différences qualitatives qui tiennent à la singularité du cheminement suivi par le développement de chacun.

2. Quelles seraient les assises théoriques actuelles (psychocognitives) pour parler de la nécessité d’une pédagogie différenciée ?

Lorsqu’on s’intéresse à la pédagogie, l’échelle de temps dans laquelle on se situe n’est plus celle du développement mais celle de l’apprentissage. Néanmoins le développement contraint l’apprentissage, donc certaines des variations dans les apprentissages trouvent leur origine dans les variations du développement. Sans perdre de vue pour autant que l’apprentissage, à son tour, participe au développement, de telle sorte que certaines des variations dans le développement peuvent trouver leur origine dans des variations de l’apprentissage.
Il y a au moins trois sortes de variabilité cognitive que la pédagogie doit prendre en compte. La première tient aux différences dans le rythme global de développement. Cette forme de variation correspond aux différences qui ont été appelées quantitatives un peu plus haut. Lorsque ces différences sont modérées, elles peuvent être prises en compte en permettant que le programme d’apprentissage soit parcouru dans un temps un peu plus long ou un peu plus court. L’organisation de l’enseignement primaire en cycles, dont il est dit explicitement dans les textes qu’ils peuvent être parcourus en un peu plus ou un peu moins de temps, donne en principe cette souplesse. Lorsque les différences globales de développement sont plus importantes, elles relèvent, lorsqu’il s’agit de retard, de l’enseignement spécial. Lorsqu’il s’agit d’avance, le cas est plus délicat et, jusqu’à une date récente, n’était pas explicitement prévu dans les textes qui organisent le système d’enseignement, nous y reviendrons plus loin.
La seconde forme de variabilité à prendre en compte est celle qui tient aux différences de développement qui ont été qualifiées plus haut de qualitatives. Elle se traduit par l’hétérogénéité du niveau atteint par un même enfant dans les différentes dimensions du développement cognitif. Elle peut entraîner une hétérogénéité de ses rythmes d’apprentissages selon les matières. Cette forme de variabilité est plus compliquée à prendre en compte. Lorsqu’elle est modérée, elle suppose que des groupes de niveau soient envisagés dans les matières concernées et qu’un même enfant puisse être dans des groupes de niveau différents selon les matières. Lorsqu’elle est de grande ampleur, elle suppose que le système ait une souplesse suffisante pour que les groupes de niveau traversent les frontières des classes, ce qui suppose une organisation plus compliquée dans laquelle la classe d’âge éclate par moments pour que puissent être formés, dans une matière donnée, des groupes constitués indépendamment de la classe d’âge mais sur la base du niveau dans la matière considérée.
La troisième forme de variabilité à prendre en compte est celle qui tient aux différences qui se manifestent à l’échelle de temps de l’apprentissage, c’est-à-dire aux différences de cheminement dans l’apprentissage d’une même notion. Le développement de la psychologie cognitive, qui va au-delà de l’observation des performances et cherche à modéliser les processus mentaux par lesquels ces performances sont atteintes, montre que la même performance peut être atteinte par des processus différents. Ceci peut être illustré avec un exemple pris dans le domaine de l’apprentissage de la lecture. Un des premiers apprentissages, qui conditionne les suivants, est l’identification des mots. On considère généralement qu’à partir du moment où les enfants ont compris que les lettres correspondent à des sons, ils passent d’abord par le stade de l’identification du mot par « assemblage »e avant d’arriver au stade de l’identification par « adressage ». L’identification par assemblage consiste à appliquer les règles de correspondance entre les graphèmes et les phonèmes pour aboutir, par l’assemblage des phonèmes, à la représentation phonologique du mot. L’identification par adressage s’appuie sur la représentation orthographique des mots (la façon dont ils s’écrivent) pour les reconnaître directement, sans avoir à passer par l’assemblage. Les études dans lesquelles on s’est donné la peine d’identifier les processus effectivement mis en œuvre par les enfants au moment de l’apprentissage de la lecture ont montré que l’utilisation de ces deux processus ne suit pas strictement l’ordre indiqué plus haut chez tous les enfants. Certains ont tendance à s’appuyer préférentiellement sur le processus d’assemblage pour identifier les mots tandis que d’autres, certes moins nombreux, s’appuient préférentiellement sur le processus d’adressage (voir Rieben, 1995 pour une revue). Cela se voit notamment au fait que les premiers se trompent sélectivement dans l’identification des mots irréguliers, c’est à dire les mots qui ne se prononcent pas comme ils s’écrivent (par ex. clef, fils, monsieur), tandis que les seconds se trompent sélectivement dans la lecture des pseudo-mots, c’est à dire les assemblages de lettres qui respectent les règles de la langue mais ne sont pas des mots réels et ne peuvent donc pas avoir été déjà rencontrés (par exemple turo, retou, mainta). Il semble donc que ces deux processus soient en partie vicariants, au moins dans une certaine phase de l’apprentissage, c’est à dire qu’ils peuvent être substitués l’un à l’autre pour remplir la même fonction (ici, l’identification des mots). On pourra trouver ailleurs (Lautrey, 2006), d’autres exemples de ce genre. Ils montrent que dans tous les apprentissages tant soit peu complexes, plusieurs cheminements sont possibles pour parvenir à la maîtrise d’une même habileté et tous les enfants ne suivent pas le même. De ce fait, la méthode qui est la plus efficace avec les uns n’est pas nécessairement la plus efficace avec les autres. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il faille connaître le mode de fonctionnement préférentiel de chaque enfant pour savoir quel mode d’apprentissage lui proposer. Les différents cheminements possibles dans l’acquisition d’une notion ne sont en général pas très nombreux, deux dans l’exemple ci-dessus. Une fois connus, et une fois trouvée la forme d’apprentissage qui s’adapte le mieux à chacun, il suffit de varier les formes d’apprentissage de telle sorte que chaque enfant trouve, dans l’un ou l’autre des modes de présentation possibles de l’information, celui qui lui convient.
Revenons maintenant à la question posée, à savoir celle des assises théoriques sur lesquelles pourrait se fonder une pédagogie différenciée. En se centrant sur l’analyse des processus cognitifs, la psychologie cognitive a mis en évidence une variété de cheminements plus importante que prévu, tant à l’échelle du développement cognitif qu’à l’échelle de l’apprentissage. Une meilleure connaissance de ces différences de cheminement pourrait aider à une meilleure différenciation de la pédagogie en fonction des caractéristiques des élèves.

3. La catégorie EIP (enfants intellectuellement précoces) peut-être elle considérée comme valide ?

On convient en général de parler de précocité lorsqu’un enfant a un QI supérieur à 130. Compte tenu des caractéristiques de la distribution des QI , un QI de 130 se trouve à deux écarts-types de la moyenne (qui est de 100) et le pourcentage d’enfants dépassant cette valeur est, dans chaque classe d’âge, de 2,2% . La limite de 130 est purement conventionnelle. Il va de soi que l’on pourrait tout aussi bien la mettre à 125, ou à 135, ou à 150, selon le degré d’avance que l’on décide de qualifier de précocité. Les controverses sur le nombre d’enfants précoces n’ont donc aucun sens puisque ce nombre dépend de la convention adoptée. Si on adopte la convention de 130, alors ce nombre correspond, par définition, à 2,2 % de la classe d’âge considérée.
L’identification des cas de précocité se fait généralement en administrant une échelle de développement de l’intelligence. Les échelles les plus utilisées en France, mais aussi dans le monde, sont celles de Wechsler, la WPPSI (Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence) pour les enfants d’âge préscolaire, la WISC (Wechler Intelligence Scale for Children) pour ceux de 6 à 16 ans. Comme leur nom l’indique, ces échelles sont d’origine américaine et ont été adaptées à la population française. Comme le Binet-Simon, dont elles se sont inspirées, elles permettent de calculer un QI global, mais aussi de calculer séparément un QI verbal (évalué en ne prenant en compte que les épreuves verbales de l’échelle) et un QI de performance (évalué en ne prenant en compte que les épreuves ne faisant pas appel au langage).
Dans la pratique, on l’a dit, le critère d’identification est le plus souvent un QI global supérieur à 130. Cette pratique est critiquable de plusieurs points de vue. Tout d’abord, l’utilisation du QI global repose sur l’hypothèse de multipotentialité, c’est à dire sur l’idée que la précocité est générale, que le potentiel intellectuel est du même ordre dans les multiples aspects de l’intelligence. Or, comme cela a été argumenté plus haut, l’intelligence est multidimensionnelle et lorsque le développement cognitif est précoce, il ne l’est pas nécessairement sur toutes les dimensions de l’intelligence à la fois. Les rares études disponibles sur la question montrent qu’au contraire, le développement des enfants précoces est plus hétérogène que celui des autres enfants (cf. Pereira-Fradin, 2004). Par conséquent, il serait avisé d’avoir une approche plus analytique du diagnostic de la précocité et de caractériser le degré de développement des enfants sur chacune des grandes dimensions de l’intelligence évaluées par les tests. En outre, les échelles de QI ne cernent que certains aspects de l’intelligence, ceux qui sont les plus valorisés par l’école, mais il n’y a aucune raison de penser qu’on ne trouve pas aussi des cas de précocité dans les aspects de l’intelligence que ces échelles laissent de côté. C’est notamment le cas de la créativité, qui est une composante cruciale pour qu’un haut potentiel intellectuel ne reste pas à l’état de potentiel mais se transforme en talent créateur. Renzulli (1986), par exemple, fait entrer trois composantes essentielles dans la définition de ce qu’il appelle la « giftedness »[[Il n’existe pas de terme français correspondant à giftedness, mais on pourrait le traduire par le terme québecois de « douance »]] : aptitude intellectuelle élevée, créativité, et engagement. Une aptitude élevée peut être identifiée soit par une performance élevée dans un test d’intelligence générale (QI ou facteur g), soit par une performance élevée dans un domaine spécifique (par ex. mathématique ou littéraire ou artistique). La créativité est une combinaison de caractéristiques comme la flexibilité, l’originalité, la curiosité, qui est évaluée par la performance dans des tests de créativité. L’engagement est une forte motivation dirigée vers un domaine de connaissance particulier (beaucoup d’enfants précoces ont ce type d’engagement, par exemple pour l’étude des dinosaures, de l’Egypte du temps des pharaons, de l’espace, etc.). Selon Renzulli, la conjonction de ces trois composantes est nécessaire pour réaliser des productions intellectuelles exceptionnelles. En résumé, l’identification d’un haut potentiel intellectuel est une question complexe qui est encore mal résolue (pour une analyse plus complète de l’état actuel de la question, voir Lautrey, 2004a). Le critère du QI supérieur à 130, qui correspond à la pratique actuelle dans la très grande majorité des cas, est très réducteur.
Les enfants intellectuellement précoces constituent-ils une catégorie homogène ? Au plan du développement cognitif, nous venons de voir que peu d’entre eux ont une précocité intellectuelle générale et que les profils d’avances et de retards relatifs sont variés. Qu’en est-il au plan de la personnalité et du comportement à l’école ? Beaucoup de psychologues, de parents, d’enseignants, font état d’une fréquence élevée d’enfants précoces en difficulté scolaire, s’ennuyant en classe, isolés dans les activités sociales, mal à l’aise dans les relations avec les autres enfants. Il est clair que de tels cas existent. Il est par contre difficile d’en évaluer la fréquence dans la population générale et de savoir si ce type de difficulté est plus fréquent chez les enfants précoces que chez ceux qui ne le sont pas. Les enfants qui sont adressés aux psychologues pour un diagnostic de précocité, ou dont la précocité est découverte à l’occasion d’un examen psychologique, sont en effet la plupart du temps des enfants qui ont rencontré une forme ou une autre de problème. Ce biais d’échantillonnage peut faire apparaître ces problèmes comme plus fréquents qu’ils ne le seraient dans un échantillon représentatif des enfants précoces. Pour le savoir, il faudrait pouvoir comparer sur ces différents points un échantillon représentatif de la population des enfants précoces avec un échantillon représentatif de la population des enfants qui ne le sont pas. A notre connaissance, aucune étude de ce genre n’a été entreprise. Une des raisons tient sans doute à la difficulté qu’il y a à constituer un échantillon d’enfants précoces qui soit à la fois représentatif et de taille suffisante pour que la comparaison soit fiable. Avec le critère indiqué plus haut, ces enfants ne constituent en effet que 2,2 % d’une classe d’âge. Pour avoir quelque chance d’obtenir un échantillon représentatif de l’ordre de 220 enfants ayant un QI supérieur à 130, ce qui n’est pas énorme pour une étude comparative longitudinale, il faudrait donc en examiner 10 000 au départ. C’est pourquoi dans la quasi totalité des études portant sur les enfants précoces ceux-ci ont été recrutés dans l’un des endroits où ils ont déjà été identifiés, par exemple dans les classes spéciales lorsqu’elles existent, ou parmi les cas examinés par les psychologues. En conséquence, le biais d’échantillonnage varie, mais il y en a toujours un. A titre d’exemple, la grande enquête longitudinale sur le devenir des enfants « gifted », qui a été commencée par Terman en 1925 aux Etats-Unis et qui est toujours citée dans la littérature sur la question, a été réalisée sur un échantillon de 1500 sujets, un nombre impressionnant compte tenu de la difficulté signalée plus haut. Mais pour réunir un échantillon de taille aussi importante de façon économique, Terman a demandé aux enseignants de signaler les cas d’élèves ayant une réussite scolaire exceptionnelle et n’a fait passer les tests d’intelligence qu’à ceux-là. Il a ensuite retenu, parmi ceux qui avaient été ainsi présélectionnés, ceux qui avaient un QI supérieur à 130. Les parcours de vie des « gifted » suivis dans l’étude de Terman ne sont donc représentatifs que de la population des enfants précoces qui sont également d’excellents élèves, ce qui introduit une autre sorte de biais d’échantillonnage. Cette difficulté fait que, dans l’état actuel des choses, il est difficile d’évaluer le degré de validité des caractérisations souvent avancées pour décrire la personnalité et le comportement des enfants précoces.

4. En matière de scolarisation des EIP, quels seraient les acquis actuels de la recherche ?

Les EIP apprennent plus vite — parfois beaucoup plus vite — que les autres enfants de leur âge. A titre d’exemple, certains enfants apprennent à lire dès quatre ans sans que personne leur ait enseigné, juste en observant le texte qui accompagne les images dans les livres qu’on leur lit, c’est d’ailleurs un des indices de la précocité intellectuelle. Dans un système scolaire organisé par classes d’âge, dans lequel l’enseignement s’adresse en général à l’enfant moyen de la classe d’âge considérée, les cas d’avance de ce genre posent évidemment problème. Mettre un enfant qui sait lire depuis l’âge de 4 ans dans la situation de suivre le même apprentissage de la lecture que ses condisciples lorsqu’il entre à l’école élémentaire à 6 ans n’est évidemment pas une solution satisfaisante. Ce problème n’est pas de nature différente de celui que pose la prise en compte des différences, de toutes les différences, dans l’organisation du système d’enseignement. Le problème soulevé par les cas de retard du développement intellectuel a commencé à préoccuper les responsables du système éducatif il y a plus d’un siècle. Dès 1904 une commission ministérielle, la commission Bourgeois, a été formée pour réfléchir à l’adaptation l’enseignement à ces enfants et elle a chargé Binet de proposer des solutions pour le diagnostic du retard intellectuel. Il est curieux qu’il ait fallu un siècle de plus pour qu’apparaisse une préoccupation analogue du Ministère de l’Education Nationale pour les problèmes que pose la précocité intellectuelle. A notre connaissance, la première initiative en ce sens est la création en 2000 par Jack Lang, à l’époque Ministre de l’Education Nationale, d’une commission présidée par un inspecteur d’académie, Jean-Pierre Delaubier, chargée de proposer des solutions pour la scolarisation des enfants précoces. Le rapport de cette commission est consultable et téléchargeable sur le site du M.E.N.(cf. Delaubier 2002).
Pourquoi un tel décalage, dans l’organisation du système d’enseignement, entre la prise en compte du retard et celle de la précocité ? Sans doute parce que l’on a longtemps considéré, à tort, que les enfants précoces n’avaient pas de problèmes d’adaptation scolaire, en vertu de l’adage selon lequel qui peut le plus peut le moins. Probablement aussi parce que, au moins en France, l’intérêt pour cette question était suspecté d’être motivé par des vues élitistes de l’enseignement. Ces réticences paraissent maintenant surmontées, en partie grâce à l’action des associations de parents d’enfants précoces qui ont milité pour sensibiliser l’opinion et les responsables du système d’enseignement aux problèmes qu’ils rencontrent. Quelques expériences pédagogiques ont été entreprises en France, à la marge du système d’enseignement. On pourra en trouver une présentation ailleurs (Lautrey et Vrignaud, 2006). Malheureusement, aucune de ces expériences n’a donné lieu à une évaluation scientifique des effets des aménagements apportés à l’organisation scolaire et/ou aux programmes d’enseignement. L’évaluation objective de ce type d’expérimentation exige en effet une méthodologie rigoureuse dans laquelle les résultats obtenus par un groupe d’enfants précoces qui ont suivi un programme x (le groupe expérimental) sont comparés aux résultats obtenus par un groupe contrôle, c’est à dire un groupe d’enfants comparables du point de vue de la précocité, mais qui n’ont pas suivi le programme en question. Seules les comparaisons remplissant cette condition méthodologique minimale peuvent permettre d’analyser les effets réels des innovations pédagogiques. Aucune des expériences réalisées en France ne remplit ces conditions, mais on en trouve quelques unes dans la littérature scientifique internationale, pour la plupart effectuées aux Etats-Unis. Nous en résumons ci-dessous les caractéristiques et les résultats principaux de ces expériences, dont on pourra trouver ailleurs une présentation plus détaillée (Lautrey, 2004 ; Lautrey et Vrignaud, 2006).
Les modifications du système d’enseignement ont porté essentiellement sur le mode de regroupement des élèves et/ou sur le programme d’enseignement. Du point de vue du mode de regroupement, les principales formules expérimentées ont été le regroupement en classes de niveaux (donc le regroupement des enfants précoces dans une classe spéciale), la formation de groupes de niveau au sein de la classe (donc en conservant une certaine hétérogénéité dans le groupe classe et en constituant au sein de la classe un groupe d’enfants précoces), ou la formation de groupes de niveau qui traversent les frontières de la classe (la classe éclate à certains moments de la journée ou de la semaine pour certaines activités et chacun rejoint à ce moment là un groupe de niveau indépendant de la classe qu’il fréquente). Les modification du programme d’enseignement entrent dans deux grandes catégories : l’accélération et l’enrichissement.
L’accélération consiste à faire le même cursus dans un temps plus court, soit par un saut de classe (ces sauts de classe sont parfois préparés par un enseignement accéléré du programme de l’année que l’on se prépare à sauter, par exemple au cours d’une école d’été ou en suivant un cours accéléré par correspondance ou sur internet), soit en suivant un cursus aménagé permettant de parcourir, par exemple, en 2 ans un cursus qui est normalement suivi en 3 ans.
L’enrichissement consiste à utiliser le temps gagné grâce à la rapidité d’apprentissage des enfants précoces non pas pour parcourir le programme plus vite, mais pour enrichir l’enseignement par des activités variées. Une des formules consiste à compacter le programme en en retirant tout ce qui a déjà été vu les années précédentes et tout ce qui relève de la consolidation des acquisitions antérieures. Ce travail de compactage peut aboutir à supprimer jusqu’à 50% du programme, ce pourcentage étant adapté à chaque enfant. Le temps ainsi gagné est consacré à d’autres activités, variables selon les expériences: approfondissement des notions au programme, développement de la créativité, développement de la socialisation, réalisation d’un projet personnel, etc.
Dans les expériences où ces différents aménagements pédagogiques ont été essayés, les élèves du groupe expérimental et ceux du groupe contrôle (rappelons que ceux du groupe contrôle sont aussi des enfants précoces mais qui suivent la scolarité traditionnelle) passent des épreuves standardisées de connaissances au début et à la fin de l’expérience. On vérifie que les scores du groupe expérimental et du groupe contrôle sont comparables au début de l’expérimentation et la comparaison porte sur les scores obtenus par les deux groupes à la fin de l’expérimentation. Les méta-analyses réalisées sur l’ensemble des expériences de ce type tendent à montrer que le mode de regroupement des élèves n’a, en lui-même (c’est à dire lorsqu’il ne s’accompagne pas de modification des programmes), que peu d’effet. L’effet du regroupement en classes de niveau est insignifiant. L’effet des regroupements en groupes de niveau au sein de la classe ou entre classes est faible (différences de l’ordre d’un quart d’écart-type, à l’avantage du groupe expérimental, entre les scores des deux groupes dans les épreuves de connaissances).
Les modifications des programmes produisent des effets plus conséquents. L’enrichissement a un effet de taille modérée (de l’ordre d’un demi écart-type), mais c’est un résultat intéressant sachant que les EIP ayant bénéficié de ce type d’aménagement n’ont en général suivi qu’une version compactée du programme sur lequel porte l’évaluation en fin d’expérience. Le fait qu’ils aient néanmoins un niveau de connaissance de ce programme un peu meilleur que celui de leurs camarades qui ont suivi le programme normal montre que le compactage ne leur a pas été préjudiciable et que les activités d’enrichissement ont apporté un plus. L’origine de ce plus est cependant difficile à identifier car la méta-analyse mêle les différentes formes d’enrichissement, ce qui ne permet pas de savoir si l’avantage est dû aux activités d’approfondissement du programme, ce qui ne serait pas très surprenant, ou à l’effet d’activités plus éloignées des apprentissages scolaires, comme l’entraînement à la créativité ou la réalisation d’un projet personnel, ce qui serait plus intéressant car relèverait alors d’un transfert d’apprentissages nettement plus éloignés.
L’accélération a l’effet le plus important (de l’ordre de un écart-type). A la fin de l’expérience, les EIP qui ont suivi un enseignement accéléré ont un niveau de connaissances supérieur au niveau atteint par ceux qui ont suivi le cursus normal, mais ceci n’a rien de surprenant puisque ces derniers n’ont pas encore terminé le cursus : si, par exemple, le groupe expérimental a parcouru en deux ans un cursus dont la durée normale est de trois ans, il n’est pas surprenant qu’au bout de deux ans, le groupe expérimental ait, du point de vue des connaissances, un an d’avance sur le groupe contrôle, et c’est bien ce qu’on observe. Néanmoins, lorsque le niveau atteint par le groupe expérimental au bout de deux ans est comparé non pas au niveau atteint par le groupe contrôle au même moment mais au niveau que ce groupe atteint bout de trois ans, c’est à dire au moment où celui-ci parvient lui aussi à la fin du cursus considéré, on ne trouve plus de différence significative. Il y a donc deux aspects à relever dans ce résultat. Le premier est que l’accélération n’a pas porté préjudice au groupe expérimental puisque celui-ci parvient, en un temps plus court, au même niveau de connaissance que le groupe contrôle. Le second est que de suivre le cursus normal n’a pas porté préjudice au groupe contrôle puisqu’à la fin du cursus, celui-ci atteint le même niveau de connaissances que le groupe expérimental. A première vue, l’avantage des EIP qui ont pris un an d’avance semble donc se résumer à avoir un an d’avance… Avoir un an d’avance sert-il à autre chose qu’à avoir un an d’avance ? Pour le savoir, il faudrait disposer d’études longitudinales dans lesquelles le groupe expérimental et le groupe contrôle aient été suivis au-delà de leur sortie du système scolaire. Ceux qui ont accéléré leur cursus en ont-ils retiré d’autres avantages que d’avoir terminé leurs études plus tôt ? Ont-ils eu un déroulement de carrière plus rapide ? une meilleure réussite professionnelle? Une vie personnelle plus satisfaisante ? Nous ne connaissons aucune étude qui donne ce type d’information. Encore un mot pour prévenir toute interprétation simpliste de ces résultats. Pour des raisons évidentes de déontologie, les enfants ne sont pas répartis au hasard entre le groupe expérimental et le groupe contrôle. Les EIP qui ont suivi un programme d’accélération ont en général choisi (eux et/ou leurs parents) de le faire, et ceux qui n’ont pas suivi de programme de ce genre n’ont en général pas vu d’inconvénient à suivre le cursus normal. Rien ne permet de dire les premiers auraient aussi bien réussi si on les avait contraints à suivre le cursus normal et, réciproquement, rien ne permet de dire que les seconds auraient aussi bien réussi si on les avait contraints à suivre un programme accéléré. En d’autres termes, il est possible que l’accélération convienne à certains EIP, par exemple à ceux qui s’ennuient en classe, et ne convienne pas à d’autres, par exemple ceux qui privilégient les relations avec des camarades de leur âge. Les expériences comme celles qui viennent d’être rapportées ne disent rien non plus sur ce point.
Quelle est la latitude dont disposent les enseignants pour adapter la nature et le rythme des apprentissages à la précocité de l’enfant ?. Nous avons dit que, jusqu’à une date récente, la prise en compte de la spécificité des EIP n’était pas explicitement prévue dans l’organisation du système éducatif. Il existe sur ce point une évolution qui s’est traduite récemment dans les textes. On peut en effet lire dans la loi d’orientation et de programme sur l’avenir de l’école de 2005[[Loi n° 2005-380 du 23.04/2005, art. L 321-4, JO du 24/04/2005)]] « Des aménagements appropriés sont prévus au profit des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières, afin de leur permettre de développer pleinement leurs potentialités. La scolarité peut être accélérée en fonction du rythme d’apprentissage de l’élève. ». Le rapport Delaubier (2002) estime que les possibilités de modulation prévues dans les textes (possibilité de dérogation sur l’âge d’entrée en CP, organisation de l’enseignement élémentaire en cycles pouvant être parcourus plus rapidement) devraient suffire, si elles étaient plus largement utilisées, pour adapter le rythme des apprentissages aux spécificités des EIP dans le cadre du système éducatif général. Nous partageons ce point de vue. Si ces possibilités sont trop peu utilisées c’est sans doute parce qu’une prise en compte éclairée des particularités de ces enfants supposerait que les différents acteurs du système éducatif y aient été sensibilisés. Or, dans l’état actuel des choses, l’information sur les particularités des EIP et sur les diverses manières de leur adapter l’enseignement est absente aussi bien de la formation des enseignants que de celle des psychologues. L’introduction d’une sensibilisation à cette forme de différence dans la formation est donc une des premières mesures à prendre. Il faut aussi, dans le même mouvement, encourager la recherche sur la précocité intellectuelle, en particulier sur les effets à long terme des différentes modalités de scolarisation qui ont été jusqu’ici essayées car c’est un domaine dans lequel, nous venons de le voir, les connaissances scientifiques font cruellement défaut.


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Télécharger le rapport sur le site du ministère de l’Education nationale

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