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La refondation :
« en cours d’acquisition »

Pour notre mouvement pédagogique, après dix-huit mois de ministère Peillon, le bilan est (inévitablement ?) en demi-teinte. Non, les fruits ne passent pas la promesse des fleurs, on est bien loin de ce à quoi rêvent les pédagogues, mais regardons de plus près et nuançons. Réunis en un week-end de travail, le conseil d’administration et le comité de rédaction du CRAP-Cahiers pédagogiques ont repris les « douze mesures pour le changement » que nous proposions avant l’élection présidentielle, suite à nos Assises de la pédagogie d’octobre 2011. Ces mesures, visant le court terme pour certaines ou se situant à l’échelle du quinquennat pour d’autres, avaient été élaborées collectivement et nous paraissaient, et nous paraissent toujours, des leviers importants pour ne pas laisser passer la chance de transformation de l’école.

On avance

Sur certains points, il y a eu avancée et on peut espérer que nous sommes dans la phase « en cours de validation ».

Le conseil supérieur des programmes se met en place et il doit normalement mettre ces programmes en conformité avec un socle commun qui va être réécrit et qui s’est imposé dans la loi de refondation, ce qui n’était pas évident au départ. Mais saura-t-il résister aux lobbys disciplinaires ? Sera-t-il suffisamment audacieux pour substituer à une simple logique de programmes cumulatifs une logique de curriculum, de parcours d’apprentissage ?

Une formation initiale digne de ce nom se remet en place, certes avec beaucoup d’errances et d’insuffisances, mais laissons leur chance aux ESPÉ ! On peut avoir davantage d’optimisme pour ce qui concerne la formation premier degré que dans le secondaire où la pédagogie risque de passer au second plan, selon les bonnes traditions universitaires françaises.

Sur les évolutions du métier et des services enseignants, cela reste encore un chantier à peine ouvert, même si la nouvelle organisation de l’école primaire laisse davantage de temps à la concertation et au travail d’équipe.

L’ouverture de l’école a avancé de manière chaotique, mais intéressante à l’école primaire, avec la réforme des rythmes qui incite à un travail commun avec les collectivités territoriales.

Notons aussi que certaines mesures prises par le ministère, et qui ne figurent pas dans nos propositions de 2012, sont à saluer : reconnaissance du rôle des AVS (auxiliaire de vie scolaire), mesures sur le handicap, meilleure liaison école-collège. On ne sait pas encore ce que donnera l’enseignement laïque de la morale, mais une certaine orientation vers l’éducatif et l’interdisciplinarité est plutôt un signe positif.

Mal engagé

Mais sur d’autres points, on n’en est au mieux qu’au stade des intentions, et c’est parfois bien mal parti !

On peut craindre le manque de courage politique pour réformer le bac, pour changer vraiment le service dans le second degré, pour réformer profondément l’inspection.

La formation continue est toujours le parent pauvre, et elle est renvoyée à la fin du quinquennat, ce qui nous parait une erreur sérieuse. Et il ne faudrait pas que la formation à distance efface l’indispensable présentiel. Il aurait été pourtant simple de consacrer une partie des nouveaux moyens à des dispositifs d’accompagnement du changement. Nous persistons à réclamer le « devoir de se former » comme une composante du métier d’enseignant.

S’il est proclamé, comme d’ailleurs avec la majorité précédente, que les innovations sont essentielles, leur laisse-t-on vraiment des marges de manœuvre importantes (organisation du temps, notamment dans le second degré) ? Les mouvements pédagogiques, s’ils sont un peu plus écoutés, restent marginalisés, avec une aide ministérielle qui diminue, malgré les promesses. Les déclarations qui soulignent que les innovations doivent en priorité être au service de la réussite des plus fragiles sont cependant bienvenues.

À la croisée des chemins

En un an et demi, on aurait aimé voir les choses avancer bien plus vite. La logique du compromis et des petits arrangements en coulisse avec les « forces qui comptent » prend trop souvent le dessus sur la transparence et sur la consultation démocratique.

Mais on sait aussi qu’il est de bon ton aujourd’hui d’afficher déception et amertume, dès que des changements se mettent en place. On souligne les effets pervers, ou on prétend qu’au fond, rien ne change, et on rejoue l’éternel remake du feuilleton des illusions perdues. Argumentations souvent hypocrites qui masquent des résistances corporatistes et une manifestation de cette société de défiance, toujours prompte à dénoncer, à souligner tout ce qui ne va pas, à dénigrer ceux qui s’engagent dans le positif (on a un peu soupé de l’expression devenue stéréotype facile de « Bisounours ») ? On attendait sans doute plus de la loi pour la refondation, mais comment par exemple ne pas saluer le retour de la pédagogie comme devant être au centre de l’action transformatrice de l’école ?

Reste que l’essentiel est la mise en œuvre concrète, l’utilisation optimale de points d’appui que peuvent laisser de nouvelles dispositions règlementaires qui seront en partie ce que nous en ferons. En 1945, les classes nouvelles, à l’origine des Cahiers pédagogiques, ont réinventé des manières de travailler dans l’enseignement secondaire qui restent novatrices. En 1963, il y a cinquante ans, les CRAP se constituaient autour d’un manifeste prônant d’autres pratiques qui allaient se développer dans les années qui suivirent. Aujourd’hui encore, il faut à la fois pousser le ministère à l’audace et au courage politique, bousculer les conservatismes sans ignorer les problèmes complexes à résoudre dès lors qu’on ne se contente pas d’innover dans des ilots protégés et qu’on considère les choses à une échelle de masse, et en même temps commencer à agir, continuer à agir, à explorer ce « champ des possibles » dont les Cahiers parlaient dans le numéro de rentrée de 1981, à une époque aussi où on s’impatientait devant les lenteurs des changements. Tant pis si pour les uns, dans l’institution, nous pratiquons trop notre devoir d’impertinence, tant pis si pour les autres, nous serions trop bienveillants et trop positifs. La question n’est pas là, mais bien de ne pas s’enfermer dans la résignation ou dans le commentaire. Qu’on nous permette de reprendre la formule que nous avons utilisée plusieurs fois depuis 2012 : « On s’y met tous ! »