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La loi des couloirs

Ici les parois en carton vibrent à chaque passage de groupes d’élèves. Les salles de permanence débordent régulièrement. Les portes s’ouvrent toutes seules et l’on entend des gloussements victorieux qui s’éloignent. Un élève dit à la conseillère principale d’éducation : « Vous m’avez manqué de respect : j’attends des excuses. »

Vous ne reconnaissez plus vos élèves : si polis en classe, ils vous lancent des regards méprisants dans les couloirs, comme si vous n’aviez rien à faire ici, comme si vous étiez sur leur territoire. Manifestement, les règles ne sont pas les mêmes, mais vous n’êtes pas au parfum. Et si vous vous permettez une remarque, gare à vous, le bras de fer vous attend. À quoi bon ? Vous ne comprenez pas : ça se passe plutôt bien dans vos cours, et vous n’êtes pas un cas isolé.

Comme on parle de la loi de la rue, il y a la loi des couloirs dans ce collège ordinaire : un espace avec ses stars, ses épreuves, ses cachettes, ses flics, ses heures, son allure de monde parallèle qui se construit à coups de SMS, plus réel que la réalité, plus intense et plus désespéré.

Vous vous surprenez à éviter le hall pour rejoindre la salle des professeurs. Ça crie, ça s’excite, ça défie, ça court, ça s’échappe, ça répond, ça provoque, ça nargue. Un midi, vous tournez la clé dans la serrure de votre salle de classe avec un sentiment d’absurdité.

Assez ! Mais qu’est-ce que je fous là ? Le collège n’est pas un terrain de jeu : jouer au chat et à la souris n’a plus rien d’éducatif. Comment grandir quand on met son intelligence à échapper à la règle ou à ceux qui s’évertuent à la faire respecter ?
Cinq exclusions avant les vacances de Noël. Résultat : un des exclus revient faire les 400 coups. Il faut croire que le collège lui manque. Porosité des limites. Qui est dedans ? Qui est dehors ? Comment reprendre la main, inverser le cours de la spirale ? Les adultes s’épuisent à lutter pour maintenir la loi dans leur espace, qui se réduit de jour en jour, dans leur salle de classe, dans leur heure de cours, à invoquer les génies de la culture pour allumer l’étincelle dans des yeux dubitatifs. Parfois ça marche, mais pour combien de temps ? À quel prix ?

Un climat scolaire, ça ne s’explique pas facilement, mais ça se sent très bien. Quand il est mauvais, il émousse l’énergie, vide de leur sens les actions les plus compétentes et ouvre la voie à la souffrance, peut-être parce que personne ne sait très bien comment s’y prendre et que ça fait peur. Et si la loi des couloirs était liée à ce vide laissé par les adultes de l’établissement, voire les autorités scolaires à tous les niveaux, au refus de faire de la politique, de s’occuper de la chose commune, par exemple en débattant, en légiférant, en définissant des rôles et des responsabilités, en s’organisant collectivement ?

Agnès Berthe est professeure de français en collège