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La formation des enseignants, un levier pour faire évoluer la profession

Le ministère de l’Éducation nationale se comporte comme un employeur sans grande ambition pour ses personnels : frilosité à l’égard des concours figés dans des formes inadaptées aux nouvelles exigences des professions, carrières sans grandes perspectives autres que l’avancement au choix, formations initiales et continues délibérément déstabilisées par la suppression successive des MAFPEN et des IUFM, par le tarissement du réservoir de formateurs et l’appauvrissement des modalités de formation qui en ont résulté. On se prend à rêver avec un rien de nostalgie au rapport de Peretti (1982) qui, sur la forme (mise en réseau des ressources formatives) autant que sur le fond (formation commune aux professions de l’éducation, préparation effective à l’exercice professionnel, suivi des débuts de carrière par une formation récurrente, etc.), projetait une véritable politique de formation en lien direct avec les besoins de l’éducation. Les pesanteurs du système, les coups de boutoir de la droite, la faible conviction de la gauche sur ces questions de formation ont abouti à ce paradoxe : tout en élevant formellement le niveau de formation des enseignants, le politique a réussi à détricoter les modestes avancées de la professionnalisation.

La création des ESPÉ ne lève pas l’ambigüité des choix en ce domaine. La formation des enseignants n’est pas un master comme les autres puisque le recrutement intervient toujours à mi-parcours et que l’Éducation nationale reste maitre des conditions d’acquisition de la culture et de l’expérience professionnelles. Ce n’est pas non plus une école professionnelle comme les écoles d’ingénieurs qui disposent d’une autonomie par rapport aux employeurs. Elles ont la maitrise de leurs projets de formation, disposent de formateurs propres, tout en associant les partenaires économiques à leurs structures (conseil d’administration) et à la conception et au suivi des stages. Quant à la formation continue, elle s’est perdue dans une gestion à la petite semaine des demandes des établissements. L’État ne s’appliquant pas à lui-même les accords conclus par les partenaires sociaux en 2013, les enseignants — comme tous les fonctionnaires d’ailleurs — ne pourront pas bénéficier de l’avancée que représente le compte personnel de formation.

Les formes du recrutement déterminent rétroactivement les contenus de formation et l’investissement des acteurs, formateurs et étudiants. La conception des concours doit répondre à un certain nombre d’exigences : valoriser les aspects non disciplinaires des missions, comporter des éléments communs à l’ensemble de la profession, évaluer les capacités d’adaptation et de mobilité des candidats plus que leur conformité avec un modèle destiné à évoluer. Il faudrait qu’une part des épreuves permette aussi de valoriser, par un portefeuille de compétences et un entretien avec le jury, les particularités d’un itinéraire personnel en réponse à des besoins spécifiques du système (par exemple : valoriser une expérience acquise dans l’animation socioéducative, auprès de populations migrantes, dans un domaine artistique, etc.).

L’enseignement n’offre pas de carrière au sens propre du terme : toute évolution autre que la simple progression dans les échelons suppose de choisir un autre métier parmi ceux qui constituent la famille professionnelle de l’éducation. Avec l’accroissement du niveau universitaire requis pour les concours, il est urgent que l’État, en tant qu’employeur, définisse des progressions de carrières en rapport avec ce niveau, en termes d’expérience (compétences reconnues), de responsabilités croissantes et de possibilités d’une mobilité autre que géographique. La reconnaissance de fonctions intermédiaires dans l’établissement, une formation spécifique pour les personnes concernées sont indispensables pour faire des établissements non pas des échelons d’une pyramide, mais de véritables organisations collectives fonctionnelles. Il est nécessaire que les débuts de carrière ne soient plus pénalisés par des affectations dans des zones considérées comme difficiles. Pour qu’ils fassent l’objet d’un choix positif, l’attribution d’indemnités ou de points n’est pas suffisante : une meilleure intégration dans les établissements, la reconnaissance dans la suite de la carrière, des compétences spécifiques acquises seraient des incitations tout aussi valables.

La formation initiale joue un rôle majeur dans la construction d’une identité professionnelle : connaissance des repères nécessaires pour orienter le travail pédagogique et construction des compétences par la conjugaison de l’expérience et de son analyse réflexive. Elle est donc concernée au premier chef par l’évolution de la profession. Sans entrer dans les détails, nous pouvons cependant affirmer qu’elle peut se donner trois priorités :

1. Apprendre à travailler dans des collectifs variés (pluri catégoriels, pluri professionnels, avec des partenaires et les familles).

2. Préparer la prise en charge de la formation des compétences des élèves et de leur accompagnement personnalisé

  • Ouverture sur des champs multidisciplinaires et des problématiques pluridisciplinaires (Pour prendre un exemple, les enseignements d’exploration posent des questions intéressantes : qu’est-ce qu’une spécialité scientifique dans la formation du lycée, plus tard à l’Université ?)
  • Ouverture sur des problématiques complexes liées aux compétences (par exemple, la construction des compétences langagières touche au contrôle des émotions, à l’élaboration de la pensée, à l’acquisition des raisonnements, au rapport entre langue première et langues secondes…)

Ces aspects nécessitent la mise en œuvre de moments de formation particuliers:

  • un travail en pluridisciplinarité et avec d’autres catégories professionnelles, notamment sur l’analyse des fonctionnements institutionnels et la connaissance des enfants et des jeunes,
  • des complémentaires de dominante (par exemple prendre en compte l’évolution des formes de la polyvalence dans le premier degré ; penser sa discipline au sein d’un champ : quels liens entre les sciences de l’homme, histoire, géographie, SES ?),
  • un travail sur l’épistémologie, le rapport au savoir, le rapport à la vérité en jeu dans tous les savoirs,
  • un travail sur des formes d’évaluation alternatives à l’évaluation sommative et normative (évaluations diagnostique, formative, formatrice), susceptibles d’être partagées avec les autres professionnels de l’éducation (et les élèves et les familles bien sûr) dans le cadre des parcours d’élèves.

3. Mettre en place une réelle alternance intégrative et progressive

  • Découverte de la profession et réflexion sur le choix, nécessaire avant de s’engager dans un master enseignement éducation,
  • Construction réflexive de ressources à partir des expériences des stages avec l’intervention conjointe des maitres de stages, des formateurs institutionnels et des enseignants-chercheurs
  • Accompagnement des néo titulaires : avec une durée et une forme différenciées selon les besoins, par les pairs dans l’école ou l’établissement, les cadres intermédiaires pour l’intégration dans l’institution, par l’université pour des compléments scientifiques en rapport avec l’expérience de terrain (cf. la formation récurrente du rapport de Peretti).

Dans tout ce processus, l’institution, par le biais de ses représentants, se trouve être juge et partie, formateur et employeur, maitre d’ouvrage et tutelle. Il lui faut choisir sa posture. Comme dans toute formation professionnelle, la formation des personnels d’éducation aurait intérêt à s’inscrire dans un véritable cadre contractuel par un cahier des charges de la formation, et à reconnaitre l’initiative du maitre d’œuvre dans la conception, la conduite et l’évaluation de la formation. Le rôle de l’employeur serait alors clairement distinct de celui du formateur, pour le plus grand bien de la formation.

La formation continue fait normalement partie d’un véritable plan de carrière. Le droit de la formation de la fonction publique a besoin d’évoluer progressivement vers l’ouverture d’un compte personnel de formation analogue à celui qui a été négocié pour le secteur privé. Il est inconcevable qu’une profession au cœur des enjeux politiques, sociaux et économiques ne bénéficie pas de possibilités de ressourcement et d’évolution personnelle importantes : congés pour reprise d’études, pour reconversion ou tout simplement bilan de compétences. Toutes ces dispositions sont à penser en complémentarité des entretiens de progrès menés par les chefs d’établissements en vue de créer une véritable gestion des ressources humaines décentralisée (gestion des carrières, gestion prévisionnelle des emplois et de l’évolution des compétences, formation, etc.). Il est nécessaire que la formation soit prise en compte pour la promotion, pour préparer une éventuelle mobilité à l’intérieur des professions de l’éducation, pour faciliter des ajustements professionnels. Elle constitue un atout pour favoriser la mobilité entre les métiers de l’éducation, préparer la prise en charge de la coordination de dispositifs, la responsabilité d’une équipe. Considérée dans l’accord de février 2014 comme de simples tâches à ajouter au cours, il s’agit au contraire de nouvelles fonctions intermédiaires à pérenniser au sein des établissements. Elle pourrait s’organiser pour porter des projets inter-degré ou inter-catégoriels et s’ouvrir à des partenaires. Bien sûr, le métier de formateur est une des composantes de la profession qui mérite une véritable spécialisation avec une identification de compétences nouvelles, qui doit être reconnu comme un des éléments constitutifs de la carrière.

Professionnaliser le travail des enseignants tout en se gardant des dérives autoritaires et centralisatrices comme de la tentation libérale n’est pas une mince affaire. Une « réforme » n’est assurément pas la bonne réponse, pas plus d’ailleurs que la négociation au niveau national dont on ne peut espérer qu’elle sorte des sentiers battus. C’est l’ensemble du système qui est concerné, ainsi que l’ensemble des professions de l’éducation. Il faut se donner du temps, prendre la peine de faire le bilan des expériences, redonner du crédit aux initiatives, reconnaitre aux établissements un pouvoir d’organisation, cesser de se cacher derrière de frileux acquis dont nous savons qu’ils sont source d’injustice parmi les professionnels et de l’inadéquation de l’école aux besoins des élèves.

Françoise Clerc
Professeure en sciences de l’éducation