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La formation des enseignants sur le terrain

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Douze contributions abordent la formation des enseignants sur le terrain avec un regard nouveau dans cet ouvrage collectif. Quatre grandes parties le structurent sans que vraiment une distinction nette sur les analyses des auteurs, sur les concepts avancés ne différencient les chapitres «Préparer le terrain», «Construire des compétences», «Former des formateurs» et «Retour au terrain». En effet de nombreux points communs apparaissent dans les différentes approches, ils se font écho d’une contribution à l’autre et tissent une cohérence générale qui donne du poids à cet ensemble de productions que l’on considérera plus comme une réflexion collective et structurée que comme une somme d’apports divers. Bien sûr si des convictions éducatives communes animent les auteurs, ces derniers éclairent leur propos de spécificités, d’éléments d’analyse ou de propositions qui reflètent une position personnelle.

C’est pourquoi, si l’on veut restituer ici l’originalité et la richesse de l’ouvrage, on ne peut se satisfaire de comptes rendus synthétiques et chronologiques des contributions. Aussi rapporterons-nous dans un premier temps les grandes lignes de la formation sur le terrain tant au niveau des constats, des analyses que des propositions ; ensuite nous illustrerons les apports particuliers de chaque auteur ou de groupes d’entre eux lorsqu’ils se sont fait écho à quelques chapitres de distance.

Une convergence de points de vue
La formation de terrain ne peut avoir lieu que par le travail de formateurs de terrain ; elle est le plus souvent présentée comme un contrepoids, un complément à la formation en institution. Les approches pratiques et théoriques sont attachées à ces différents lieux d’exercice et à ces formateurs. Sur ces concepts de formation, de formateurs de terrain, d’articulation théorie-pratique et d’alternance, une indéniable convergence de points de vue apparaît dans l’ensemble des contributions.
– La formation des enseignants a basculé du modèle transmissif, de la fonction miroir (Obin-Bouvier) à un dispositif dont un des principes directeurs est la pratique réfléchie (D.A. Schön).
Il y a consensus sur ce basculement que l’on décèle aisément sous des formulations voisines : «un renversement de perspective» pour Richard Étienne, «le passage d’un modèle cumulatif à celui d’une pratique réfléchie» pour Michel Develay, «un changement de paradigme autour des notions de professionnalisation et de pratique «réflexive» pour Philippe Perrenoud.
– Les deux types de formateurs, de terrain et de centre de formation, ne jouissent pas de la même reconnaissance.
De la lecture de l’ensemble des interventions surgit un appel à une reconnaissance du formateur de terrain, de son rôle, à la mise en place d’un véritable statut. Qu’on les nomme formateurs de terrain, comme J.-P. Euzet, ou formateur-praticien (F. Clerc), ici on déplore  » une hiérarchie entre formateurs de centre et de terrain qu’il conviendrait d’abolir  » (L. Bélair), là on appelle à leur  » participation au Plan de Formation  » (J.-P. Euzet), ailleurs on préconise un  » resserrement entre formateurs de terrain et en IUFM  » (D. Millet). F. Clerc met en avant la proximité du stagiaire et du praticien-formateur qui confère à ce dernier une grande efficacité, ce qui ne lui vaut pourtant pas une grande reconnaissance de la part de l’institution.
– L’articulation théorie-pratique est développée sur une trame commune mais connaît des prolongements spécifiques selon les auteurs.
Unanimement, les dispositifs de juxtaposition sont rejetés parce que la  » formation de compétences n’est pas réductible à la confrontation des savoirs pratiques et théoriques  » (J.-P. Obin). L’alternance des lieux ne garantit pas la formation, elle est nécessaire mais loin d’être suffisante. F. Clerc souhaite voir émerger entre théorie et pratique,  » un troisième pôle réflexif centré sur l’analyse des pratiques « . L. Bélair, rejetant également la juxtaposition, appelle de ses vux une formation qui serait  » un processus systémique au centre duquel se trouve le stagiaire « . Elle se rapproche ainsi de M. Bois qui évoque le réseau de formateurs MAFPEN et l’organisation matricielle de la formation de formateurs.  » La démarche d’alternance fait interagir pratique et théorie « , écrit J.-P. Euzet.

Des repères théoriques qui se font écho
Après avoir lu et entendu chacun des acteurs de cette élaboration collective, le lecteur aura pris possession de quelques repères fondamentaux sur la formation des futurs enseignants. Sans approfondir l’un ou l’autre des riches apports de l’ouvrage, nous pouvons tracer à gros traits les grands axes qui forment l’ossature de la formation.
La formation professionnalisante est une mise en rapport dialectique de savoirs et de pratiques. Elle suppose une prise de conscience et une réflexivité. Le terrain de formation doit être le lieu d’émergence de problèmes à résoudre (J.-P. Euzet) ; l’élaboration d’hypothèses est le moment capital de la problématisation de la pratique, leur vérification se fait par une observation construite. L’analyse des pratiques, quel que soit le dispositif dans lequel elle est mise en place, n’est efficace que si un travail de décontextualisation rétrospectif et projectif est accompli (F. Clerc). L’identification d’incidents critiques peut en être la première étape. Une approche constructiviste du conseil de formation (M. Mante), de la formation de formateurs à Lyon (L. Bélair) a pour effet de faire changer les représentations des formés comme des formateurs.

Le rôle des formateurs
La qualité de la formation dépend de la compétence et de l’implication du formateur de terrain. Outre la nécessité d’une reconnaissance de son rôle par l’institut de formation et ses formateurs, les relations qu’il entretient avec les formés sont déterminantes pour la formation. Le formateur de terrain ne doit pas être un simple auxiliaire qui prête sa classe, ni un expert qui donne à voir un modèle d’enseignement ; L. Bélair suggère qu’il crée l’événement pour faire réfléchir le stagiaire et P. Perrenoud souhaite que la logique du cours soit rompue et que la réflexion porte sur les situations-problèmes. Le travail du formateur prend en compte la complexité des situations, il devient révélateur de problèmes, facilitateur d’analyse pour le formé. La formation est caractérisée par un souci d’individualisation et prend la forme d’un compagnonnage entre formé et formateur. Ce dernier est à la fois gestionnaire et animateur. Il est également médiateur lorsqu’il facilite le regard du stagiaire sur sa pratique, lorsqu’il accompagne les restructurations successives de son analyse.
Le formateur aide le stagiaire dans la construction de son identité professionnelle (D. Millet), dans l’acquisition de compétences sociales (L. Bélair).

Des spécificités parmi les contributions
R. Etienne fait entrer l’écriture dans la question de la formation. Pourquoi faire écrire un mémoire aux futurs enseignants ? C’est d’abord, écrit-il, une occasion pour le futur enseignant de faire fléchir une seconde fois – ré/fléchir – sa pratique par la médiation de l’écriture. C’est s’inscrire dans une gestion stratégique du temps, les effets formateurs de l’élaboration écrite étant ultérieurs à l’écriture même : la réflexion et les compétences réflexives ne sont qu’engagées. C’est surtout un travail métacognitif qui vise à l’acquisition de métacompétences et nous retrouvons là l’analyse des situations, leur problématisation et leur transfert.
Ces compétences ont été l’objet d’une réflexion de J.-P. Obin pour qui elles proviennent soit d’acquisition soit d’une imprégnation culturelle. Parmi les premières, il distingue celles acquises sur un pôle conceptuel, les savoirs théoriques, et d’autres sur un pôle fonctionnel, les savoir-faire pratiques. Les compétences d’imprégnation sont, soit sur un volet personnel, la personnalité, soit sur un volet identitaire, l’identité professionnelle. La formation de compétences est fondée sur une recherche de sens dans la mise en relation des quatre pôles de compétences, d’où sa proposition de dépasser l’alternance dans un dispositif plus complexe qui permet que le sens prenne corps.
L’on ne peut espérer une formation de qualité si les formateurs eux-mêmes ne sont pas formés. Les propositions le plus souvent avancées vont dans le sens d’une coformation où les formateurs seraient dans des dispositifs où ils travaillent ensemble (P. Perrenoud) ; l’idée d’une organisation de formateurs en une communauté scientifique permettant de croiser les compétences et leur dialectique est défendue par A. Bouvier. Plus généralement, la construction d’une culture commune de formation semble nécessaire pour une égale dignité des formateurs.

Note finale
Qu’il s’agisse de présenter l’intérêt du compagnonnage, l’importance d’une démarche clinique de formation, l’alternance souhaitable entre deux postures de réflexion (dans, puis sur l’action, cf. Schön), l’ouvrage est empreint de la foi de chercheurs engagés qui ne prônent pas une théorie artificielle mais qui étayent leur propos de nombreuses illustrations de terrain dont nous n’avons pu rendre compte ici. Leur subjectivité, la nôtre également au cours de cette critique, pourraient faire douter de la validité des arguments énoncés s’il n’y avait, en arrière-fond de ces présentations, des principes éthiques forts. C’est à M. Bois que nous laissons le soin de clore en ce sens notre travail :
 » Des convictions fortes animent les formateurs […], des règles éthiques donnent du poids à ces convictions : un souci de cohérence, la croyance au progrès, le respect absolu des personnes, le primat de l’élève et le devoir pour l’école d’éduquer à la citoyenneté, à la civilité, à la responsabilité.  »

Daniel Comte


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