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La classe « à côté »

Au départ, il s’est dirigé vers la recherche, par curiosité. Puis, il a donné des cours en fac où le cours magistral n’était pas sa tasse de thé mais aussi au secondaire où, nous dit-il, « je m’amusais plus avec des “petits” qu’avec des étudiants ». Lorsqu’il est devenu enseignant à plein temps dans un collège, il s’est appuyé sur la formation en informatique suivie en complément de ses études en sciences pour créer un site internet.

C’était à l’orée des années 2000. Ses applications invitaient Gaston Lagaffe pour interpeller les élèves, les questionner, les guider dans les activités. C’était l’occasion aussi de revenir vers son goût du dessin, de la bande dessinée, et de commencer à se mettre en retrait, « à se placer à côté de l’élève ». Le droit à l’image se rappelle à lui et les autorisations sont trop difficiles à obtenir pour continuer à afficher la complicité des héros de BD. Le site reste en jachère tandis qu’il développe de nouveaux outils pour mettre en place des évaluations par compétences et des cartographies associées.

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Le numérique évolue, plus simple à utiliser. Il crée une nouvelle plateforme en 2011 avec des ressources que les élèves peuvent consulter aussi chez eux. « J’ai entendu parler des flipped classrooms, je suis allé voir et je me suis aperçu que c’était ce que je mettais en place, une sorte d’enseignement hybride ». L’expérience voit le jour avec une classe de 3e à qui il annonce qu’il n’écrira plus au tableau, qu’ils travailleront en petits groupes à partir de ressources. Son initiative est repérée, en pleine vogue pour la classe inversée. « En septembre, je bricole mon initiative, en octobre, je passe à la télé ». Chercheur dans l’âme, Pascal Bihouée observe un nécessaire recul pour rire de cet engouement lié à une mode et regarder ce qu’il se passe dans sa classe, essayer, évaluer, faire évoluer.

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L’année suivante, il améliore le système pour l’étendre. Il rencontre aussi des obstacles matériels. Pour travailler en petits groupes, les tables sont installées en ilots. A chaque heure de cours, il lui faut aménager la salle puis la remettre dans son ordre initial. Dans son labo, les paillasses étaient fixées au sol, il a scié les pieds pour plus de liberté dans l’agencement. Dans son collège, petit établissement privé, le public est hétérogène. Tous les élèves n’ont pas un ordinateur ni une connexion à la maison. Son initiative ne risque-t-elle pas de renforcer les inégalités ? Il laisse la possibilité de consulter les ressources sur des ordinateurs mis à disposition, mais sans contrainte, sans obligation.

A l’occasion d’une rencontre sur le numérique, une représentante de Microsoft lui propose le prêt d’une trentaine de tablettes. Il accepte, les met à disposition de l’ensemble de l’équipe pédagogique et en profite pour changer son organisation. Désormais, il ne demande plus aux élèves de consulter les ressources à la maison. Les tablettes, rassemblées par six ou huit dans un bac, sont alimentées au fur à mesure des besoins par des applications. Elles servent à plusieurs classes, gardent les traces écrites et s’enrichissent des productions des uns et des autres. Une expérience sur l’électricité sera prise en photos et racontée dans un compte rendu. La consultation d’une vidéo sera commentée. Les cahiers deviennent numériques et se partagent. « Je ne sais pas si je suis dans la classe inversée mais je suis un prof qui se balade à côté de ses élèves qui produisent. »

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L’adhésion des élèves sur le principe est réelle. Dans sa traduction concrète, les réactions sont plus nuancées. Dans une classe de 27, on peut ne pas écouter, ne pas comprendre sans attirer l’attention. Là, la proximité peut déranger. Elle est pourtant intéressante pour voir la réalité du travail, répondre aux questions, expliquer ce qui n’a pas été compris. Au « je préférais avant, quand j’étais au fond de la classe. Maintenant, vous êtes toujours derrière mon dos, à discuter avec moi » qu’induit la mise en activité permanente, l’enseignant répond par l’idée qui motive l’expérience : « pouvoir raccrocher des élèves qui ont des difficultés et qui peuvent maintenant me solliciter. » Les élèves brillants sont parfois réticents à entrer dans la dimension coopérative et les échanges nécessaire pour le travail en petit groupe. Et puis, l’organisation de la classe, différente, avec la possibilité de se lever, d’aller questionner un autre élève, de parler sans autorisation, peut déranger en contraste avec ce qu’il se passe d’ordinaire dans une salle de cours. « Ils apprennent aussi à faire la part des choses, à savoir ce qu’ils peuvent faire ou non en fonction du cours. » C’est cela aussi qu’il regarde, évalue, la capacité à travailler ensemble, à coopérer, à savoir s’adapter à la situation. La validation des compétences se fait par badges. « Je réfléchis sur les évaluations, en France on passe trop de temps à évaluer, à calculer les moyennes ». Les activités, leur observation, leurs traces écrites sont autant de moyens de prendre en compte les progrès, les acquis.

Le collège Sainte-Marie est composé de deux sites avec chacun deux classes par niveau et une ULIS. Les origines sociales sont variées, les nationalités aussi avec certains parents allophones. « C’est un petit collège habitué à innover avec la nécessité d’adapter les cours pour intégrer tous les élèves, y compris ceux de la classe ULIS ». L’écho médiatique sur sa classe inversée a fait débat. Là aussi, dans la salle des profs, le principe était compris mais la mise en application paraissait difficile, supposée sujette à une maitrise des outils numériques. Un frein feint à un moment où l’informatique n’est plus réservée aux bidouilleurs ? Pour Pascal Bihouée, l’important n’est pas là. « On peut faire de la mauvaise classe inversée et du bon cours magistral. La question est plutôt celle de la posture de l’enseignant apte à favoriser la réussite des élèves ». Il partage avec ses collègues cette recherche d’une pédagogie adaptée à tous.

Pour la deuxième année, les conseils de classe s’exonèrent des notes. Les bulletins sont distribués avant, sans appréciation générale. Auparavant, les élèves se sont auto-évalués. Pendant le conseil, les enseignants partagent leur bilan, comparent leurs évaluations avec les auto-évaluations et préconisent des dispositifs pour favoriser des améliorations dans les domaines où les résultats sont faibles. Des demi journées sont organisées pour des projets pluridisciplinaires menés en co-animation où, par exemple, la classe inversée peut se multiplier ouvrant les espaces, les salles, les couloirs, le CDI pour que les élèves réalisent leur activité. « Ce jour là, on aurait cru une école finlandaise avec des petits groupes installés un peu partout ». Cette dynamique collective est précieuse aux yeux de Pascal Bihouée. « Il ne faut pas risquer de décalage entre deux ou trois qui vont trop vite et le reste de l’équipe ». Les initiatives se font jour dans l’intérêt des élèves. « On invente des trucs avec nos moyens. On se forme beaucoup nous-mêmes, on bricole et si l’expérience marche, on l’étend ». Avec ses trois cents collégiens, l’échelle de l’établissement semble idéale pour favoriser l’émulation et la recherche commune de solutions à des situations avant qu’elles ne deviennent des problèmes.

« Je me plais bien à côté des élèves », Pascal Bihouée, bricoleur pédagogique, énonce ainsi le plaisir à exercer son métier. Au fur et à mesure de sa progression, de ses inventions, il mesure les paramètres qui favorisent l’activité, la coopération, la réussite des élèves mais ceux aussi qui bloquent le déploiement des initiatives. Dans la première catégorie, on trouve la dimension collective, la dynamique d’établissement, dans la seconde les emplois du temps cloisonnés et l’aménagement des locaux. Classe inversée ou pas, l’enseignant emprunte une démarche de chercheur sur le chemin en constante construction de sa pratique professionnelle.

Monique Royer

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Une séquence de co-animation racontée en vidéo:
https://www.youtube.com/watch?v=xTbmrh6Dj1I&feature=youtu.be