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La bienveillance plutôt que la passion

Je dois avouer qu’en réalité, je n’ai pas choisi le métier d’enseignant. Mon ancien métier de facteur me convenait, car il me permettait de vivre lessentiel pour moi : être indépendant, ne pas avoir de chef sur le dos, ne pas avoir de comptes à rendre, du moment où le travail accompli l’était correctement. Des ennuis de santé m’ont amené à devoir envisager une reconversion. Si, bien sûr, il y a eu choix entre plusieurs possibilités de reconversion, ce choix a été avant tout un choix par défaut.

C’est pourquoi, plus tard, de façon insidieuse, s’est imposée la question de ma légitimité à être enseignant. D’un point de vue intime tout d’abord. Car n’ayant ni la vocation, ni la passion d’enseigner, ni même une simple attirance pour l’école, comment pouvais-je imaginer être un jour un bon enseignant ? Mais aussi du point de vue de mes collègues, lorsque lors d’un stage, une directrice m’a demandé pourquoi je n’étais pas resté à La Poste au lieu de venir à l’Éducation nationale. Pour une qui l’avait dit, combien pouvaient le penser ?

Le recul et l’expérience m’ont permis d’être maintenant totalement à l’aise avec ces interrogations. Car la passion tout d’abord ne me semble en rien nécessaire pour être enseignant. Pour ma part, je lui préfère la notion de bienveillance envers les enfants, qui est sans conteste un engagement qui me parait beaucoup plus réaliste, professionnel, efficient. Même s’il est symboliquement moins fort.

Et s’il devait y avoir une légitimité à vouloir et à pouvoir intégrer l’Éducation nationale, je peux dire, après avoir repris des études à l’âge de 35 ans, m’être lourdement endetté, que je suis sans doute tout aussi méritant que de nombreux enseignants, en particulier ceux qui sont passés directement du confort douillet du nid familial à la sécurité statutaire et matérielle offerte par l’Éducation nationale.

Jacques Fraschini