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La belle aventure du remplacement

Être remplaçant est un « choix assumé » découvert lors d’une première expérience dans le XXe arrondissement de Paris. « Cela m’a épanoui vraiment, a redynamisé mon enthousiasme pour ce travail, un enthousiasme un peu perdu par la routine que ça peut engendrer. » La routine, pourtant, il s’employait à la chasser en s’imposant, par exemple, de changer de niveau tous les trois ans. Il inventait sans cesse aussi de nouveaux projets, saisissant l’arrivée d’Internet comme une source inépuisable d’activités. Il se passionne alors pour les réseaux, ouvre très tôt dans sa classe la fenêtre du Net grâce à l’accès dont il dispose dans une association. Il créé un site Internet pour l’école et un journal numérique.

Sa classe participe à un programme initié par la NASA autour de l’observation des nuages. L’idée est de confronter l’image du satellite et l’œil humain, mobilisant ainsi des connaissance sur l’observation scientifique, la géographie du globe ou encore les mathématiques. Il est encore question de réseau puisque de multiples classes dans le monde sont associées au projet pour mener des observations lorsque le satellite passe au dessus d’elles. La sienne accueille un ingénieur, part en classe transplantée aux États-Unis. « C’était une époque bénie », dit-il. Des enseignants étrangers viennent le voir, intrigués par ses multiples projets et orientés par l’inspecteur de circonscription spécialisé dans les langues vivantes. Des postes d’instituteurs-formateurs-informatique-pédagogique s’ouvrent à Paris. Il postule en pensant la cause acquise, au vu des initiatives qu’il a développées et partagées, et n’est pas retenu. Alors, plutôt que de succomber aux élans amers de la frustration, il décide de lever le pied, de passer à autre chose et choisit de devenir remplaçant.

Des journées particulières

Il le fait dans un premier temps à Paris, prend un poste de directeur d’école maternelle ensuite à Nice, pour se rapprocher d’une nature accessible et ensoleillée, puis revient au remplacement. « L’inconvénient de la fonction c’est de ne pas pouvoir mener de projet. Mais les avantages sont plus importants avec une liberté énorme quand j’arrive dans une classe pour une journée ou plus. » Il laisse, heureux, les contingences administratives qui « aujourd’hui ne me conviendraient plus du tout » et a le sentiment d’avoir à chaque fois « la possibilité de mener une journée particulière ».

L’an passé, il s’est auto-formé sur les robots et les drones et a constitué un petit parc de matériel. Il a travaillé avec des cycles 3, en visitant au passage la lecture avec les modes d’emploi et la didactique de la programmation. Il a découvert la classe inversée il y a quatre ans, lorsqu’avec une classe de CE2-CM1, il a eu l’impression de gesticuler au tableau sans réelle efficacité dans le réinvestissement des élèves. Il a commencé à concevoir des vidéos pour que les élèves les voient chez eux et arrivent en classe avec un bagage collectif et commun pour approfondir les notions. Il constate l’effet positif et, comme son remplacement dure deux mois, il persévère. Depuis, il poursuit la production de petites vidéos, les utilise lorsque l’occasion s’y prête et les partage sur un site. « J’ai la chance d’avoir des retours de nombreux collègues en France et à l’étranger qui les utilisent, et ces retours me donnent envie de développer de nouveaux sujets. »

Il goûte ces partages qu’il a commencé sur des forums d’enseignants et poursuit désormais sur Twitter. Pour chacune de ses initiatives, il veille à leur cohérence avec les programmes. Il s’intéresse en particulier à la production des écrits au quotidien, sensible aussi à son positionnement dans la circonscription historique de Freinet, tout prêt de la colline de Vence où le pédagogue avait construit l’école de ses propres mains et celles de ses élèves.

Production d’écrits

« Arriver dans une classe en remplacement c’est comme une rentrée scolaire à chaque fois avec la nécessité de créer une dynamique de groupe pour mettre la classe en activité. » Il veille à mettre les élèves en production d’écrits dès les premiers instants. Il utilise plusieurs outils, dont des cartes qu’il fabrique avec des situations, des phrases incomplètes. « J’ai plus besoin de les freiner que de les stimuler. Je leur dis d’écrire cinq ou dix lignes, de se relire, d’améliorer leur écrit en mobilisant les notions d’orthographe ou de grammaire qu’ils ont déjà vus. »

Lorsqu’il reste plusieurs jours, il peut explorer la correction en profondeur en prenant en photographie chaque texte puis en les reprenant en collectif grâce à un tableau interactif. Il stocke les ressources, les exercices dans un classeur virtuel organisé par compétences et par cycles qu’il produit ou qu’il glane par la mutualisation ou les découvertes dans les classes où il remplace. Il n’imprime rien à l’avance, s’adaptant à chaque fois. Il amène avec lui son matériel, une tablette, des enceintes, une clé de gestion de réseau. Il compte juste sur un vidéoprojecteur et une imprimante dans l’école qui l’accueille.

Le bon équipement, il s’y est habitué depuis longtemps, depuis que pionnier de l’usage des nouvelles technologies en éducation, il récupérait facilement du matériel auprès des fabricants. Aujourd’hui, il s’équipe avec ses propres deniers. Il note la différence avec les écoles publiques qu’il a visitées dans l’Ohio et le Michigan, bien équipées et où les enseignants étaient mieux payés. Il apprécie d’observer d’autres systèmes éducatifs. Il a vu fonctionner des écoles scandinaves où les effectifs sont limités à quinze, ou au-delà bénéficient de deux professeurs.

Partager les idées intéressantes

Il apprécie tout autant de constater le foisonnement d’idées développées dans les écoles où il effectue des remplacements. Avec le compte Twitter @VuEnRemplacemt, il met « un coup de projecteur sur les choses qui fonctionnent bien avec une présentation bienveillante de ce qu’on voit. C’est pensé pour montrer des choses intéressantes qui peuvent être reproduites dans d’autres classes, qui enrichissent notre propre pratique. »

Il s’attarde souvent sur l’organisation de la classe, sur la diversité du fonctionnement qu’elle induit, sur les règles mises en place pour le passage entre les activités, l’utilisation du matériel partagé. Il se souvient de choses ingénieuses, de cette institutrice de CP qui utilise des vinyles découpés en secteurs pour ventiler les ateliers, d’une autre en maternelle qui prend comme support une maison à clés pour mettre en place un escape game renouvelé chaque jour avec des énigmes à résoudre pour progresser en solo ou en équipe. Il a retenu aussi une porte des écrits composée de poches qui contenaient des déclencheurs d’écrits, des cartes avec des lieux ou des listes de personnages, des figurines aussi, Les élèves reçoivent des consignes par groupe pour aller chercher un ou plusieurs éléments. « Un vrai déclencheur d’inspiration évolutif, un système pertinent où la recherche d’inspiration devient concrète. »
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Porte des écrits

 

Les initiatives décrites ne sont pas forcément spectaculaires mais toujours judicieuses comme cette organisation des ateliers de motricité en maternelle où l’équipe chargée de l’installation est munie de cartes contenant des indices. « L’installation devient une activité en soi qui débouche sur quelque chose de didactique avec des maths, du vocabulaire. » Dans une classe de CP, il repère des étiquettes de porte-manteau ornées de dessin. Là, le professeur avait demandé aux enfants de dessiner le métier qu’ils aimeraient exercer adultes. « On sentait que ça avait fait l’objet d’une activité qui avait pris un certain temps pour réaliser quelque chose de concret. »

Christophe Salomé aime sa fonction de remplaçant pour la remise en question incessante qu’elle impose. « Parfois, au petit déjeuner, on ne sait pas quel type de classe, quels profils d’enfants on va avoir. Il y a des gens que cela insupporte, pour moi c’est un stress positif car cela génère un côté challenge, une excitation positive. » Il songe pourtant à reprendre une classe en titre, voyant les circonscriptions s’agrandir, les vacataires plus nombreux arriver et se questionnant sur le devenir des titulaires remplaçants. Ce sera alors pour lui une autre aventure, une autre façon d’investir la vivacité de son métier.

Monique Royer

Le compte Twitter @VuEnRemplacemt

Les capsules de Christophe Salomé