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La bande dessinée

C’est en 1982 que les Cahiers pédagogiques consacraient un premier dossier à la bande dessinée : intitulé  » La BD, une potion magique ?  » (n° 203). Il s’interrogeait déjà sur l’intérêt d’étudier et de faire créer des BD à l’école. Depuis, la bande dessinée est entrée officiellement dans les programmes (depuis 1995, avec les nouveaux programmes de 6e et, depuis, à tous les niveaux du collège ; en revanche, rien dans les programmes de lycée). Les manuels ne se contentent plus d’en faire un simple  » appât  » pour faire passer quelques notions grammaticales, mais certains présentent des chapitres sérieux et intéressants, incitant à un véritable travail d’analyse et de création, dans le cadre de l’étude de l’image fixe.

On pourrait penser que la BD n’est plus considérée avec méfiance, voire mépris, mais qu’elle est étudiée comme un genre à part entière.

Les résistances demeurent cependant [[Comme on le voit dans ce numéro avec le point de vue de Jacques George et la réponse (anticipée) de Philippe Lecarme.]], dues à des préjugés culturels, à une méconnaissance du genre et de ses richesses de la part des enseignants, au genre lui-même, encore à ses débuts, offrant le pire comme le meilleur (mais n’est-ce pas le cas de toute production artistique ?), à sa complexité : à la fois image et texte, la BD a du mal à se situer dans les programmes et les pratiques : les programmes officiels la rangent dans le champ disciplinaire du français, pas dans celui des arts plastiques : cela pose problème aux enseignants de lettres qui ne se sentent pas toujours armés pour aborder le côté graphique et plastique. Peut-être est-ce pour cette raison que nous avons eu plus de facilité pour trouver des enseignants du premier degré qui font de la BD en classe. Le travail n’y est pas cloisonné comme dans le secondaire, le temps n’y est pas non plus géré de la même façon. Car étudier et faire créer des BD suppose une organisation particulière de la classe, qui en fait justement son intérêt : travailler en équipe, prendre du temps, accepter, de la part des élèves comme des adultes, un gros investissement en recherche, lecture, travail.

On trouvera dans ce numéro des échos de ces créations collectives, mais aussi des productions individuelles d’élèves, primés au fameux concours d’Angoulême [[Le Centre national de la bande dessinée nous a d’ailleurs bien aidés à réaliser ce numéro.]].

Si on ne veut pas forcément faire un travail d’analyse et création, on peut utiliser la bande dessinée comme support pédagogique : on verra que le cours d’histoire se prête particulièrement bien à l’utilisation de cet outil. En français, une planche de bande dessinée peut parfaitement trouver sa place dans un groupement de textes, ou un album peut être choisi comme objet de lecture d’une  » uvre intégrale « . La seconde partie de notre dossier présente un panorama d’activités diverses dans les différents degrés de l’enseignement. Panorama non exhaustif, bien sûr. Les disciplines scientifiques sont quasiment absentes [[Rappelons l’existence de la savoureuse La Hulotte, une revue scientifique particulièrement originale, puisqu’elle présente deux fois par an des numéros consacrés à la vie des animaux pouvant servir à l’enseignement de la biologie : les auteurs font passer de nombreuses connaissances par des petites bandes dessinées très agréables graphiquement et qui peuvent intéresser les élèves du primaire et de 6e-5e. (La Hulotte, 08 240 Boult-aux-Bois, 90 F l’abonnement).]]. Dans le domaine des langues, des travaux sur les traductions d’albums en langues étrangères ou en latin pourraient certainement trouver leur place. Le FLE, français langue étrangère, utilise souvent la BD pour travailler sur la langue et aussi sur les représentations et les stéréotypes.

La dernière partie du dossier présente divers témoignages qui montrent la richesse de ses utilisations possibles. Nous avons aussi donné la parole à des créateurs et à des diffuseurs. Les divers outils bibliographiques qui suivent seront, nous l’espérons, utiles pour ceux qui veulent se lancer dans l’aventure.

Certes, la bande dessinée a encore du chemin à faire pour trouver sa place à l’école, non comme sous-genre destiné à meubler les dernières heures avant les vacances (rôle encore trop souvent dévolu aussi au film), ou facile à faire passer auprès d’élèves en difficulté. C’est un média à part entière, qui a aussi sa place à l’Université [[Voir l’article de C. Moncelet, décryptant pour ses étudiants Le Chat.]] et dans la formation, qui fait partie de notre culture, et qui peut contribuer à la formation (esprit critique, autonomie du lecteur), sans pour autant faire perdre le plaisir de la lecture. Mieux connaître et mieux comprendre, savoir critiquer, choisir et défendre ses choix : l’introduction du livre de jeunesse en classe n’a pas empêché les élèves de continuer à lire et aimer cette littérature. Il faut combattre l’idée que la  » scolarisation  » d’un genre en dégoûte forcément les jeunes : que resterait-il d’ailleurs à étudier si l’on mettait de côté la poésie, le roman policier, le fantastique, tous genres qui se prêtent à des travaux passionnants sans pour autant en détourner les enfants et adolescents : cela provoque plutôt en général une demande forte en lecture, écriture By Jove, mille sabords et par Toutatis, que place soit faite à la BD à l’école !

Mireille Carton, Professeur de français, Collège de l’Oradou, Clermont-Ferrand.