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La République du certificat d’études. Histoire et anthropologie d’un examen

Après avoir lu ce livre érudit (558 notes, renvoyées de façon peu commode à la fin du volume, et parfois décalées) d’une très bonne collection, on n’ignore plus rien de ce « baccalauréat des modestes », emblématique de la IIIe République.
C’est en effet en 1880 que le certificat d‘études primaires est doté d’une réglementation nationale. De même que le baccalauréat est nécessaire pour entrer à l’université, le certificat d’études primaires (CEP) est nécessaire pour entrer à l’école primaire supérieure ou au cours complémentaire.
Les variations du certif démentent sa réputation de stabilité, et s’accompagnent d’affrontements. L’âge minimal oscille entre onze et quatorze, mais, quand la gratuité semble ouvrir le collège ou le lycée aux élèves de la communale, on institue un examen d’entrée en 6e, très sélectif, qui a fonctionné de 1933 à 1957, et dont les élèves des petits lycées étaient dispensés.
La question de la valeur du CEP nourrit aujourd’hui les diatribes sur le niveau des élèves. En 1993, on a délivré 8,3 baccalauréats pour 1 000 habitants ; en 1937, 8,4 certificats d’études. Autour de 1900, ce sont entre 11 et 13 % d’une classe d’âge qui se présentent à l’examen, et 9 à 12 % qui sont reçus (en 1965 seulement, on arrivera à 54 % de la génération), le taux de réussite étant de 80 à 90 % en moyenne. Ce taux élevé est-il marque de laxisme ? Non, « on ne se présente pas au certificat : on y est présenté » par l’instituteur, des enquêtes partielles montrant que les présentés viennent plutôt des milieux employés, fonctionnaires, artisans et ouvriers qualifiés que des milieux cadres moyens ou surtout ouvriers non qualifiés. Il s’agit aussi d‘anthropologie. Le certif explique des trajectoires sociales, dans cet « espace tautologique » de l’école qui veut faire de ses meilleurs élèves des enseignants comme le curé détecte une vocation chez le meilleur du catéchisme. P. Cabanel examine les savoirs que sanctionne le certificat, et, là encore, leur évolution, pour vérifier le maximum de savoirs par un nombre limité d’épreuves, mais aussi pour faire qu’aucune matière ne soit négligée faute d’être présente à l’examen car, comme le constate un inspecteur général vers 1890 : « Les maîtres n’enseignent et les élèves n’apprennent bien que ce qui sera ou pourra être demandé à l’examen. » On trouvera de savoureuses données sur les différentes matières, le poids de l’orthographe et la répugnance à simplifier celle-ci, « la dictée, rituel laïque », la création d’un français primaire, « latin de république », et ces problèmes de robinets ou de trains qui se croisent posés à des enfants dont beaucoup n’ont pas de robinets chez eux ou n’ont jamais pris le train.
Le livre décrit ce « rite républicain », « le sacerdoce du jeudi », où les instituteurs, bien au-delà de leurs obligations, chauffent leurs poulains, les affres des candidats le jour venu, les sentiments de ceux qui n’ont pas été présentés, le livret de caisse d’épargne (de 15 à 80 € d’aujourd’hui) offert aux lauréats, les récompenses ou les primes données aux instituteurs qui auront formé les meilleurs (des exemples de 60 à 300 € !), les débats sur la présence ou non de notables (délégués cantonaux, juge de paix) dans les jurys.
Le développement de la scolarisation postprimaire après la Seconde Guerre a fait décroître lentement le nombre des candidats et l’intérêt du diplôme. Sa suppression en 1989 n’a pas entraîné de remous. Mais sa mémoire, très idéalisée, survit, et elle alimente un débat récurrent sur le niveau des élèves. P. Cabanel rappelle les différentes enquêtes et expériences – quand on fait passer aujourd’hui des épreuves données au CEP il y a plus ou moins longtemps – et il en montre les difficultés méthodologiques : les élèves de 1870 ne sont pas ceux de 1920. Entre temps, la France a appris l’orthographe, une orthographe qui n’est pas la même selon qu’on la mesure par une dictée ou dans une composition française. Les résultats ne sont pas les mêmes dans toutes les matières, ni dans toutes les parties de ces matières. On ne trouve pas une conclusion nette, en oui ou non, comme on pourrait le souhaiter, même si P. Cabanel penche plutôt vers un pessimisme nuancé, sans catastrophisme. Il faudra se reporter à ce chapitre si on veut utiliser ces enquêtes dans une discussion sur le niveau. Mais une telle discussion est-elle possible sans a priori ? Est-elle d’ailleurs souhaitable ?

Jacques George