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L’école de La Neuville, c’était d’abord un projet de jeunes, notre réponse aux événements de Mai 68 et au manque d’ouverture des pouvoirs publics.
Ce projet prit la forme « d’un lieu où il y aurait de l’école », comme le dit plus tard Michel Plon. Et, particularité rare à l’époque, les débutants que nous étions voulaient prendre en compte les innovations existantes – celles qui avaient fait leur preuve mais restaient « nouvelles » comme les Techniques Freinet (elles avaient cinquante ans), la Pédagogie Institutionnelle de Fernand Oury (elle en avait une quinzaine), les travaux de Françoise Dolto (ils remontaient à deux ou trois décennies mais faisaient alors partie de l’actualité). Nous nous en sommes expliqués à F. Oury et F. Dolto. Ils nous encouragèrent aussitôt à persévérer, alors que presque toutes les autres personnes consultées, compétentes ou pas, avaient dit que ce projet n’était rien moins qu’une utopie. Avec leur soutien, il s’avéra assez vite que ça n’en était pas une, puisque le projet prit vie à La Neuville-du-Bosc en novembre 1973.
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Sur ce socle furent posées les bases de l’entreprise neuvilloise. Mais ce qui fit de cette école un milieu ouvert à la pédagogie vivante, c’est que, d’abord, nous nous préoccupions de trouver ce qui marcherait bien au quotidien, avec ces enfants-là, les premiers qu’on nous ait confiés, sans faire d’entorse à nos principes de départ.

Des idées partout

Pour faire l’école, nous avons pris des idées partout : dans la vie de tous les jours, dans les livres, dans d’autres école. Nous nous sommes spontanément servis de notre intérêt commun pour les choses du cinéma, afin d’amener dans cet espace une ambiance qui ressemblerait à celle des films que nous aimions. Nous avons emprunté beaucoup aux différentes corporations, aux sports, aux sciences humaines, en effet si le métier de faire l’école en était un, alors, il devait être comme une mosaïque des compétences nécessaires à l’infinité de métiers réclamée par une école vivante.
Il fallut admettre jour après jour que les dysfonctionnements n’étaient pas des ratés du projet, mais d’innombrables occasions d’expliquer à nos élèves les raisons d’être des règles, de montrer que la loi était là au service de tous, et qu’elle n’avait pas été créée pour contraindre mais d’abord pour protéger.

On n’y fait semblant de rien

Nous avons passé ainsi une bonne dizaine d’années, un peu isolés dans le laboratoire neuvillois, avant de revenir dans la région parisienne, pour nous ouvrir à une nouvelle génération.

Dans cette école qui commençait à se découvrir un savoir-faire, la scolarité se déroulait, tous les matins, dans des classes à niveaux multiples où, « le désir retrouvé », chaque enfant pouvait travailler « à son niveau et à son rythme, suivant ses capacités actuelles », tout en tenant compte des nécessités et des apports du collectif. Cet apprentissage se poursuivait sous les formes les plus diverses, tout au long des journées et des semaines, porté par d’innombrables éléments culturels (repas, ateliers, journaux, sports, voyages, films, spectacles) repris suivant les règles, avec du vrai matériel -malgré notre précarité financière- pour montrer aux enfants que, sans l’ombre d’un doute, nous ne prenions pas leur investissement à la légère.
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À La Neuville on ne fait semblant de rien. C’est aux adultes que revient la tâche de s’occuper de l’école. La part de travail matériel qui revient aux enfants est réelle et les responsabilités qui leurs sont confiées aussi : sans leur participation le projet commun ne pourrait être mené à bien. Ils le savent. Ils savent aussi que c’est en participant qu’ils ont le plus de chance que l’école ressemble à ce qu’ils souhaitent.
Par l’effet de tous ces processus institutionnels croisés, l’école devint un lieu de solidarité et d’échanges. Cela permit aux enfants de s’approprier un langage et un style de vie, qu’ils pouvaient revendiquer et transmettre à leurs pairs, même, et surtout, si leur environnement ne les y avait pas préparés.
Aucune pratique n’étant en soit essentielle, exceptées les Réunions, espaces où chacun pouvait prendre la parole et être entendu, dès lors que « la pédagogie est la préoccupation de tous, et l’école affaire de gestion en commun ».

En somme, faire l’école de La Neuville, c’est se donner les moyens de mettre en œuvre un jeu de propositions autour de ce qui reste un projet, et plus encore peut-être, après quarante année de pratiques : les adultes qui y travaillent le redéfinissent en permanence ; les enfants y sont plus qu’associés. Ils constituent, ensemble, l’équipe pédagogique qui doit mener ce projet à bien dans un lieu où tous enseignent aux autres ce qu’ils savent (ou « intuitionnent », comme disait Françoise Dolto, en ce qui concerne les enfants).

Cette originalité fait que « le groupe s’autorise », suivant le mot de Fernand Oury, à trouver les solutions pédagogiques les plus efficaces, les plus personnelles parfois, parce que les imaginations sont libérées. Les limites de ce que l’on peut entreprendre dans une école s’en trouvent profondément bouleversées.

L’équilibre individuel qui pour tous accompagne une telle réussite collective, fait que de toute cette entreprise, nous devons rendre compte à la Société.
Dés lors elle ne pourra ignorer qu’une autre façon de faire l’école est possible…

Fabienne d’Ortoli & Michel Amram,
fondateurs de l’école.
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