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La MGI, une structure de seconde chance

Les attributions de la MGI sont de trois ordres :
– identifier les décrocheurs,
– coordonner localement les actions,
« offrir des solutions individualisées […] pour les jeunes de plus de 16 ans n’ayant pas le niveau de qualification reconnu », et plus généralement accompagner ces jeunes.

Une Mission méconnue, voire ignorée

La portée de la tâche confiée à la MGI contraste avec la méconnaissance qu’en ont les acteurs du système éducatif. J’ai eu l’occasion de le vérifier lors d’une enquête de terrain sur le devenir des jeunes passés par ce dispositif. Comme me le confiait une coordonnatrice de la MGI d’une région de l’ouest de la France[[Les extraits proviennent d’entretiens réalisés en 2008. Les coordonnateurs sont des personnels spécifiques des MGI.]] :
« On existe, ils le savent ou pas. La majorité, ce sont ceux qui ne nous connaissent pas, quand même. Les enseignants nous connaissent assez peu, les chefs d’établissement sont pas forcément au courant. […] De moins en moins je pense parce qu’il y a un travail de fait dans ce sens-là, bon, mais il y en a certains, ils ont entendu parler de la MGI, mais savoir ce qu’on fait… je crois que c’est très loin pour eux. »

Cette méconnaissance est partagée par une bonne part de celles et de ceux qui sont les premiers concernés. Lors d’une enquête auprès des jeunes passés par la MGI, nous avons été confrontés à un problème inattendu : non seulement de nombre d’entre eux ne connaissaient pas le sigle MGI – les responsables du dispositif nous avaient mis en garde –, mais, plus étonnant encore, un certain nombre ignoraient même qu’ils avaient été inscrits dans un dispositif particulier. Les entretiens ont pu apporter des éclaircissements sur ce point : orientations vers des mesures réalisées souvent sans véritable implication de l’élève lui-même, et résultant plutôt d’une prise en charge par la famille, ou par l’établissement ; forte personnalisation de l’expérience d’accompagnement qui met de côté la dimension institutionnelle du dispositif ; complexité des structures où la MGI est peu identifiée par les jeunes, à la différence par exemple des Missions locales.

L’Éducation nationale dédouanée

Pour expliquer cette situation paradoxale il faut revenir à l’histoire de la MGI, en elle-même exemplaire de l’histoire du traitement des ruptures scolaires par le système éducatif, et, plus largement par les pouvoirs publics. Les sorties précoces du système éducatif ont été longtemps considérées en France dans les termes de la « non-qualification », ou de « l’insertion ». Les jeunes en difficulté sont dans ce contexte les « jeunes non qualifiés », ou « à bas niveau de qualification ».

L’importance initiale donnée à la question de l’insertion professionnelle et de la qualification se retrouve dans les dispositifs progressivement mis en place pour traiter la question des sorties précoces du système éducatif. Certes, les premières actions destinées aux laissés pour compte du système scolaire sont expérimentées au sein de l’Éducation nationale dès 1971. Mais le ministère abandonne assez rapidement ce type de programme, pris en charge dans le milieu des années 1970 par des administrations qui relèvent plutôt du Travail et de l’emploi. En 1981, le rapport Schwartz joue un rôle fondateur en proposant un ensemble de mesures en direction des jeunes non qualifiés, tout en dédouanant le système éducatif de la responsabilité de leur prise en charge. Les actions et les structures mises en place à partir de cette date structurent fondamentalement la question des jeunes en difficulté du côté de la qualification, de l’insertion professionnelle et sociale, et de fait la placent en dehors de l’école. Les Missions locales pour l’insertion des jeunes, issues du rapport Schwartz, sont effectivement devenues les lieux d’accueil et de prise en charge des sortants non qualifiés, ou non diplômés du système éducatif des années 1980 jusqu’à aujourd’hui.

L’insertion dans le marché du travail

Les politiques éducatives des années 1980 prolongent cette thématique de l’insertion. Depuis les premières structures dites JED (« jeunes en difficulté ») en 1981 jusqu’à la création du DIJEN (dispositif d’insertion des jeunes de l’Éducation nationale) en 1986, en passant par le plan « 60 000 jeunes » en 1985, l’objectif affiché est de permettre à des jeunes en rupture scolaire d’accéder à une qualification puis au marché du travail par d’autres voies que celles que prévoit le système éducatif ordinaire. La préoccupation commune à ces politiques de la jeunesse est l’insertion, dans un contexte de forte croissance du chômage et de risque d’exclusion pour une partie de la jeunesse. Cette conception se renforce progressivement avec le rôle dévolu à l’éducation dans la compétition économique par les politiques, tant au niveau national (l’objectif de 80 % d’une génération au niveau bac de Jean-Pierre Chevènement en 1985, repris dans la loi d’orientation de 1989) qu’à un niveau supranational (le livre blanc sur l’éducation et la formation présenté au sommet des chefs d’État de l’Union européenne en 1995 à Madrid, intitulé Enseigner et apprendre : vers la société cognitive). Le contexte politique est alors favorable pour l’attribution au système scolaire d’une mission d’insertion. Inscrite dans la loi d’orientation de 1989, elle se concrétise à travers une note de service de la direction des lycées et collèges du 16 mars 1995. La Mission générale d’insertion de l’Éducation nationale est née, et elle est censée être intégrée aux établissements d’enseignement secondaire.

Des dispositifs très divers pour élèves en difficulté

Pourtant, le bilan de son action est assez éloigné de cette logique d’intégration. Tout d’abord parce que cette mission, loin de devenir une orientation commune des équipes éducatives, est restée ce qu’était le DIJEN dès le départ : un dispositif pour élèves en difficulté. C’est fondamentalement un ensemble de mesures destinées aux élèves de 16 ans et plus, visant surtout un retour en formation ou l’accès à un diplôme. Les deux mesures les plus structurées (CIPPA, cycle d’insertion professionnelle par alternance, et MOREA, module de repréparation à l’examen par alternance) accueillent des publics très différents : élèves sans solution d’affectation à l’issue du collège dans le premier cas, repréparation d’un examen terminal de second cycle (CAP, BEP ou baccalauréat) dans le second cas.

D’autres pratiques relèvent de l’accompagnement et des parcours « à la carte ». À la fin des années quatre-vingt-dix, la MGI profite d’une impulsion dans le cadre du programme Nouvelles Chances et des apports financiers du Fonds social européen. Elle devient également une politique régionale, sous l’impulsion du recteur. Cette structuration particulière explique la grande diversité des pratiques d’une académie à l’autre, y compris dans la dénomination des mesures jusque-là définies à un niveau national. La baisse des financements européens depuis 2004 explique également une relative mise en sommeil de la MGI dans certaines académies. Malgré tout 50 000 à 70 000 jeunes sont repérés chaque année par la MGI dans les années 2000. Ce chiffre reste toutefois faible au regard de celui des sorties sans diplôme sur cette même période, soit 130 000 personnes par an, ou de celui des flux d’accueil par les Missions locales, aux alentours de 500 000 jeunes en premier entretien par an.

Des Missions peu évaluées

Paradoxalement, aucune évaluation nationale de la MGI n’a à ce jour été réalisée. Le suivi de cohorte réalisé par l’équipe du Centre de Recherche en Éducation de Nantes en est d’autant plus instructif, bien qu’il ne porte que sur une académie, aux caractéristiques scolaires particulières (moins d’échecs scolaires que la moyenne nationale, et une offre de formation plus diversifiée qu’ailleurs). Les parcours de 1313 jeunes ont pu ainsi être observés sur une période de trois ans après le passage par la MGI, entre 2001 et 2007 selon les cohortes interrogées. L’étude menée a permis de caractériser tout à la fois la population concernée et les parcours suivis. Elle donne également une indication sur la perception qu’ont eue les jeunes du suivi du dispositif. Enfin, un modèle statistique a permis d’isoler l’effet du passage par le dispositif, en comparant avec un ensemble de jeunes repérés par la MGI, mais n’ayant pas suivi de mesures[[Les résultats sont disponibles dans le rapport de recherche « Les trajectoires d’insertion des élèves du second degré en situation de décrochage » consultable en ligne à l’adresse suivante : http://www.cren-nantes.net/IMG/pdf/RAPPORT_FINAL_MGI-2.pdf.]]

Trois types de résultats

Tout d’abord la grande diversité des publics passés par la MGI. Loin de l’image stéréotypée du jeune prédélinquant trainant dans la rue, cette enquête dresse le portrait d’une jeunesse très diverse, même si elle a en commun une certaine forme de marginalisation scolaire : diversité sociale, même si la majorité des jeunes en rupture scolaire viennent de milieux populaires, mais également, et c’est plus surprenant, diversité scolaire. Les chemins qui mènent au décrochage sont divers, de la grande difficulté scolaire précoce à l’orientation subie, et surtout ces chemins peuvent être relativement « silencieux », parfois difficiles à repérer en amont.

Le deuxième résultat porte sur l’appréciation que portent les jeunes sur le dispositif, tout au moins pour ceux qui ont suivi de manière régulière une mesure. Les questionnaires révèlent un taux de satisfaction plutôt élevé. Comme l’exprime une jeune fille interrogée en entretien, « ils apprenaient différemment je trouve. Les profs étaient vraiment différents […] c’était plus individuel et là au moins il n’y avait pas de notes. […] ça m’a encouragé et, à partir de là, j’ai commencé à apprécier les cours parce que je voyais que j’y arrivais. »

Les derniers résultats portent sur les effets des dispositifs. Ces effets sont assez contrastés selon le niveau de formation atteint au moment du repérage. Comme on l’a dit plus haut, il y a une forte hétérogénéité des publics sur ce plan, le décrochage pouvant se manifester au niveau du collège, ou à l’autre extrémité en fin de section générale de lycée. Pour les jeunes les moins qualifiés scolairement, le suivi de mesure ne semble avoir aucun effet significatif sur le parcours postérieur. Pour les autres, l’effet des mesures est surtout un effet de raccrochage en formation, scolaire ou en apprentissage.

L’enseignement qu’on peut en tirer est que la MGI, plus qu’une institution d’insertion à proprement parler, est d’abord une structure de seconde chance permettant le retour en formation d’élèves ayant connu une rupture dans leur parcours, sans que cette rupture ne s’ancre dans des difficultés scolaires précoces. Pour ces élèves, l’action spécifique et réparatrice des mesures donne des indications sur les orientations possibles pour les pratiques professionnelles dans l’ensemble du système éducatif, dans une perspective plus structurelle de prévention du décrochage scolaire. Pour les élèves le plus en difficulté, les résultats mitigés de l’action de la MGI signalent le rôle décisif des premiers apprentissages, et soulignent les enjeux autour des pratiques pédagogiques dans l’enseignement élémentaire.

Pierre-Yves Bernard
Enseignant-chercheur à l’université de Nantes.


Un partenariat naissant dans une commune du Val d’Oise

Dans le cadre des orientations de la Politique de la Ville et de l’Education nationale, de nombreux dispositifs sont expérimentés par les établissements scolaires ou dans les territoires où interviennent les associations telles que la Ligue de l’enseignement par exemple… Ansi les communes devraient pouvoir répondre aux besoins de partenariat des établissements, et co-construire des « projets » pour lutter ou prévenir le décrochage scolaire.

Mais dans les faits, ce partenariat n’est pas aisé et dépend de la nature des requêtes des d’établissements.

Certaines zones prioritaires, où l’échec scolaire sévit le plus, se caractérisent par des taux élevés de décrochage précoce dû entre autres à une perte d’intérêt pour l’école, à une incompréhension des objectifs scolaires, à la perte de repères, à des résultats faibles, à des exclusions temporaires ou définitives plus nombreuses… On y applique des plans[[Dans le cadre du dispositif national « Espoir banlieues », 215 quartiers ont été retenus par le conseil interministériel de la Ville pour bénéficier d’un soutien afin de financer des projets expérimentaux éducatifs.]] visant à soutenir les expérimentations locales de prévention et de traitement de ces sorties précoces de la formation initiale. Des ces zones où la lutte contre le décrochage scolaire est inscrite dans une politique locale soutenue, la mobilisation et le travail de l’ensemble des partenaires locaux susceptibles d’intervenir dans un projet global de soutien, est facilitée par des aides financières.

Dans les établissements situés en des zones où l’échec scolaire frappe également, mais non inclus dans les zones d’expérimentations avec des dispositifs spécifiques, la gestion et la coordination entre l’Education nationale et la Politique de la ville est plus difficile et manque bien souvent de moyens. La question des responsabilités des actions est souvent un sujet de débats et in fine génère des blocages de mise en œuvre.

En tant que chargée de coordinations des projets éducation-jeunesse dans une commune du Val d’Oise, j’observe depuis quelques temps déjà ce phénomène.

Les requêtes des établissements auprès des acteurs extérieurs diffèrent selon le type de décrochage qui frappe les élèves.

Au lycée, la question de l’orientation des élèves dans des « voies de garages » ou des lycées de mauvaise réputation, génère de la part de l’équipe pédagogique qui veut remotiver ses élèves, une démarche d’ouverture vers l’extérieur (associations, services communaux…).

Au collège, le problème des exclusions amène la direction et les CPE à proposer à la commune la cogestion des élèves exclus, en partenariat avec le service jeunesse notamment. Mais ce qui bloque pour cette cogestion, ce sont les questions de compétences adéquates, de moyens, et de dispositifs en doublons sur la ville. Le collège justifie sa requête en faisant observer que les exclusions de l’établissement posent des problèmes socio-éducatives auxquels la commune doit également trouver des solutions : l’errance des jeunes dans les rues, les vols dans les magasins, etc. La commune reconnaît la nécessité d’un travail en partenariat, mais elle n’a pas les moyens de participer dans l’immédiat au volet éducatif de l’action. La prise en charge des exclus par le service Jeunesse appelle une mise en œuvre spécifique qui requiert des compétences pédagogiques dont la commune ne dispose pas.

Dans la perspective d’un travail sur la parentalité, engagé en lien avec les actions éducatives sur la commune, il a été précisé qu’il était prioritaire d’impliquer les parents contre le décrochage. La commune travaille déjà dans le cadre du PRE (programme de réussite éducative), sur des actions d’accompagnement à la scolarité et à la parentalité, Les PRE proposent en effet du soutien éducatif de prévention contre le décrochage scolaire jusqu’au CM2, ainsi qu’un accompagnement des parents dans les difficultés rencontrées avec leurs enfants.

Mais aucune coordination éducative centralisée n’est encore effective entre les différentes actions menées pour pouvoir répondre aux demandes des établissements.

Aujourd’hui, les réflexions sont en cours dans la commune…

Florianne Voisin
Chargée de projets jeunesse-éducation.


Références

  • Pierre-Yves Bernard & Christophe Michaut, « La place de la certification dans le traitement du décrochage scolaire. L’exemple de la Mission générale d’insertion de l’Education nationale », Education et Sociétés, n° 24, 2009.
  • Pierre-Yves Bernard, Le décrochage scolaire, Presses Universitaires de France, 2011.