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En géologie, ce sont les failles qui révèlent les fonctionnements des couches qu’on ne voit pas dans un paysage ordinaire et familier. Dans le système éducatif, s’intéresser à des dispositifs hors de la machinerie ordinaire comme les classes d’accueil, c’est explorer les fondements mêmes de notre école : ce qui fait qu’on est élève, ce qui fait qu’on est enseignant, ce que l’on fait ensemble dans une classe.

Brigitte Cervoni[[Dont on a pu lire l’article « La langue au service de la création » dans le dossier du n° 473 des Cahiers pédagogiques, « Enfants d’ailleurs, élèves en France ».]] a accueilli une année durant Julie Bertuccelli et sa caméra dans la classe où elle accompagne des adolescents de tous les continents dans leur apprentissage de la langue française. Ils arrivent de Libye, de Chine, d’Ukraine, du Chili, de Serbie, de Mauritanie, d’Irlande, de Guinée. Leurs parents sont venus en France à la recherche d’une meilleure situation économique, ou bien d’une protection politique, ou bien ne sont pas là, ayant confié leur enfant au réseau familial. Dans leur français hésitant, ils racontent leur dernier jour au pays, avant le départ, plus de tristesse que d’espoir. L’un joue du violoncelle, l’autre chante (remarquablement), certains n’ont jamais plongé dans une piscine, certains sont très à la peine en mathématiques, d’autres beaucoup plus à l’aise, moins gênés par la barrière de la langue pour manipuler des nombres. Lorsqu’ils apportent à la demande de leur enseignante un objet personnel, c’est le monde des croyances qui s’invite en classe, et une question finale : « on ne sait même pas si dieu il existe! »
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Ce film montre ces adolescents de tous les continents à qui l’on demande de devenir élève dans un collège français, qui s’y efforcent, tendus vers le jour où l’enseignante leur annoncera, enfin, leur prochaine intégration dans une classe ordinaire. Ils intègrent rapidement bien des codes et des exigences, fortement motivés par la perspective de réussite scolaire qu’on leur propose, désespérés à la perspective de redoubler, très soucieux des commentaires du bulletin que l’enseignante remet à leurs parents. Mais ils ne peuvent pas être que des élèves dans une salle de classe, tant ils portent avec eux les souvenirs de leur trajectoire de vie complexe, des conditions de vie souvent difficiles. Leurs relations sont particulièrement fortes, étroites quand ils partagent une langue d’origine et se soutiennent pour communiquer, pleines de curiosité devant l’étrangeté de la culture des autres, qui s’étale au tableau lorsque chacun écrit « bonjour » dans des langues à la graphie si différente. Ils peuvent être très seuls, comme cette jeune Chinoise quasi mutique, et au final très solidaires, lorsque l’une d’entre eux les quitte en cours d’année parce que sa mère a obtenu un logement quelque part en France en attendant le traitement de son dossier de demande d’asile.
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Dans une telle classe, que peut une enseignante ? Elle leur enseigne des connaissances, le passé composé, la présentation d’un roman, l’expression orale. Mais elle fait aussi à la fois beaucoup moins et beaucoup plus : le film montre bien à quel point c’est au travers d’échanges entre pairs, au travers toutes les situations de communication quotidienne que les élèves progressent dans leur maitrise de la langue, et le font de façon impressionnante, autant qu’en se coltinant des exercices systématiques ; il montre bien également que son rôle est de les accueillir, au sens le plus fort du mot, de leur permettre de vivre côte à côte dans ce pays qui les reçoit, d’avancer dans leur parcours de vie cabossé, sans remplacer pour autant la famille, les services sociaux ou les animateurs culturels, mais en étant un peu tout cela aussi, tout de même.

Un moment fort du film est la remise d’un prix lors du festival du film scolaire de Chartres pour un film réalisé par la classe : une œuvre collective qui réussit à montrer à la fois ce qu’est le groupe, dans sa diversité d’origine, et ce qu’ils apprennent ensemble, dans la maitrise de la langue. On oublie alors les mesquineries du collège à la française : les notes, les bulletins scolaires, les convocations chez le principal, l’orientation qui, menaçante, se profile à l’horizon. On en retient qu’il peut se produire dans les murs de notre école des miracles éducatifs : des enfants si divers, qui apprennent en quelques mois à cheminer ensemble dans un monde nouveau.

Patrice Bride

A consulter : le dossier pédagogique rédigé par deux enseignants de collège, l’un d’histoire-géographe, l’autre de CLA. Il propose des pistes pour étudier le film en classe avec des élèves.