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L’utilisation du numérique dans l’apprentissage du français

Le Ministère francophone de l’Education de Belgique a initié en 2015 un travail collaboratif qui a abouti à la création du Pacte pour un enseignement d’excellence. Son développement repose sur cinq piliers : enseigner les savoirs et les compétences du 21e siècle ; réorganiser la filière qualifiante ; autonomie et responsabilité pour les acteurs de l’enseignement ; développer une école inclusive ; rendre l’école plus accessible et adaptée au bienêtre des élèves. Il s’agit d’une réforme majeure qui s’appuie sur différentes recherches-actions visant la mise à disposition d’outils disciplinaires et notamment numériques pour les équipes éducatives. Exemples de dispositifs spécifiquement numériques issus de retours d’expériences d’enseignants.

Le numérique bouleverse notre façon de travailler, de lire et de penser. C’est pourquoi, dans l’objectif de faire acquérir aux élèves les compétences nécessaires à l’intégration sociale et au développement personnel dans un univers technologique complexe, le recours au numérique à l’école devient de plus en plus indispensable, qu’il s’intègre dans la pratique de l’enseignant (communication avec les élèves, parcours individualisé, préparation et présentation de cours, évaluation en direct de l’activité de l’élève, etc.) ou qu’il soit susceptible de soutenir les activités de l’élève (prise de notes, recherche d’informations, ludification de la tâche, motivation, etc.)

Néanmoins les outils numériques, en modifiant les tâches utilisées par l’élève – par exemple, passer de la rédaction d’un texte avec un crayon et du papier, à la rédaction sur un ordinateur via un logiciel de traitement de texte – induit inévitablement des transformations d’ordre pédagogique et méthodologique. L’important est donc bien d’avoir une réflexion sur ces transformations.

Le partage de pratiques

Pour encourager les enseignants novices dans cette démarche, il semble opportun d’analyser les pratiques d’enseignants expérimentés concernant ces pratiques numériques et de les diffuser au sein du monde éducatif. En effet, même si les retours d’expérience d’autres enseignants ne sont pas adaptables tels quels dans tout environnement de classe, ils constituent néanmoins une source réflexive et créative pour le développement professionnel des enseignants. Ces expériences peuvent, ainsi, offrir des pistes, être le point de départ d’un questionnement ou encore consolider des pratiques existantes.

Afin de proposer une vision raisonnée des retours d’expériences d’enseignants sur leur intégration du numérique, il est intéressant de se pencher sur une catégorisation qui articule à la fois la posture et l’activité cognitive de l’élève lors de la réalisation d’activités.

Des modèles centrés sur l’apprenant

Quatre attitudes permettent de caractériser la posture de l’apprenant dans la tâche selon son niveau d’engagement :

  • Passif : l’élève reçoit l’information et est focalisé sur les explications données ;
  • Actif : l’élève manipule des objets, opère des sélections. On le voit être en activité ;
  • Constructif : l’élève génère des hypothèses, découvre par lui-même ;
  • Interactif : plusieurs élèves collaborent, confrontent leurs hypothèses/découvertes…

Six types d’actions définissent les processus cognitifs d’apprentissage, du plus simple au plus élaboré :

  • Se rappeler : reconnaitre, écouter, nommer, mener une recherche, gérer des favoris…
  • Comprendre : résumer, comparer, classer, tenir un journal ou blog, annoter, exemplifier…
  • Appliquer : mettre en pratique, mettre en ligne, partager, éditer, jouer…
  • Analyser : valider, créer des extraits de médias, faire un compte-rendu…
  • Évaluer : poser une hypothèse, critiquer, expérimenter, commenter, travailler en réseau, reprogrammer un logiciel…
  • Créer : concevoir, programmer, ajouter du contenu, réaliser (vidéos, podcast)

Ainsi, les tableaux suivants synthétisent quelques descriptions de dispositifs numériques pour l’apprentissage du français, croisant ces deux caractérisations. Exemples issus d’une démarche de veille pédagogique sur le réseau internet (twitter, scoop it, blog d’enseignants, etc).

Se rappeler
Elève passif Savoir lire : Mobilisation de stratégies pendant l’activité lecture
Pour avoir facilement recours aux différentes stratégies à utiliser lors d’une lecture, l’enseignant s’enregistre en train de verbaliser à haute voix la mise en pratique de la stratégie et rend accessible cette capsule vidéo aux élèves. L’apprenant peut ainsi, s’il en a besoin, écouter et se rappeler les stratégies à mettre en place pour, par exemple : gérer les informations implicites, survoler la première et la quatrième de couverture, faire des prédictions, retrouver la signification d’un mot difficile…
Elève actif Savoir écrire : Dictée autonome
L’enseignant prépare au préalable l’enregistrement vocal des dictées. De manière autonome, l’élève recherche sa dictée dans le fichier de la classe. Il l’écoute autant de fois qu’il le souhaite avec la possibilité de mettre sur pause et de revenir en arrière. Il écrit la dictée dans son cahier au fur et à mesure qu’il l’entend.
L’enseignant prévoit des niveaux d’avancement différents pour chacun des élèves (longueur, difficulté, nombre…)
Comprendre
Elève constructif Savoir lire : Compréhension de texte ; utilisation du logiciel TACIT
TACIT comporte 1000 exercices (textes suivis de questions de compréhension) classés en 10 niveaux de difficultés croissantes. Chaque élève entre dans le logiciel par une évaluation diagnostique. Celle-ci permet à l’enseignant de le répartir dans un des paliers d’exercices.
En fonction du niveau de départ, les apprenants débouchent sur des programmes d’exercices adaptés.
L’entrainement peut se faire :
– en autonomie : l’élève réalise seul les exercices et progresse dans son programme.
– en mode « tutoré » : dans le cadre d’activités différenciées de soutien en petit groupe d’élèves.
Elève interactif Savoir lire/écrire : Etude d’une œuvre littéraire avec les réseaux sociaux
Dans le cadre de l’étude d’une œuvre, les élèves créent des comptes sur un réseau social en empruntant le nom d’un des principaux personnages de la pièce (répartition aléatoire).
Ils participent ainsi à un jeu de rôles au fil de la lecture de l’œuvre : « Qu’aurait dit, fait ou publié le personnage s’il avait vécu en 2017 ? ». Les élèves lisent l’œuvre de manière autonome et, parallèlement, ils construisent leur profil, ajoutent des commentaires sur leur journal, insèrent des images… En classe, les différents points importants de l’œuvre sont abordés afin d’engendrer des discussions d’interprétations.
Appliquer
Elève actif Savoir lire : Garder une trace de ses lectures sur tablette
Après un temps de lecture libre, l’élève verbalise, avec l’aide d’un pair, ses réflexions à partir de l’ouvrage lu sur la tablette en utilisant photos, pointeurs, émoticônes… pour attirer l’attention vers une partie des images durant l’enregistrement. Celui-ci est partagé sur les réseaux sociaux afin que tous (parents, élèves, enseignants) puissent prendre connaissance de cette production et y réagir.
Elève constructif Savoir écrire : Ecrire une dissertation
L’enseignant donne accès à un tableur partagé à l’ensemble de ses élèves. (canevas de dissertation). Chaque élève effectue ses recherches, individuellement et de manière autonome, avec une copie partagée avec l’enseignant. Dans chacune des cases du tableur, l’enseignant a la possibilité d’y ajouter des commentaires, des feedbacks, des aides afin de faciliter la compréhension de la tâche pour l’élève et ainsi améliorer son travail. Le tableur en ligne permet également à l’élève de bénéficier d’espaces de discussion et de collaboration.
Analyser
Elève constructif Savoir parler : Apprentissage autonome d’une poésie
L’élève choisit sur un blog la poésie qu’il souhaite travailler. Sur le blog, les poésies sont écrites, illustrées et interprétées par des narrateurs. Avec un ordinateur ou une tablette, l’élève s’entraîne, s’enregistre et s’écoute (auto-évaluation) en suivant un guide d’apprentissage (étapes à suivre). La production est ensuite écoutée par un pair pour une validation de sa part.
Elève interactif Savoir écrire : Correspondance scolaire
Après la découverte du livre Clément Aplati, les élèves créent des « Clément » (personnage en papier) et les envoient dans des classes d’accueil. Ils utilisent les réseaux sociaux comme moyen de communication pendant la durée du voyage des « Clément » : explication des activités réalisées et prise de nouvelles.
Evaluer
Elève constructif Savoir écrire : Lettre d’autoévaluation
Chaque semestre, il est demandé aux élèves de rédiger et d’envoyer une lettre d’auto-évaluation à l’enseignant en utilisant un logiciel de traitement de texte. Les élèves travaillent en autonomie et bénéficient d’aides (consignes informatisées, exemple de lettre et d’une structure-type).
L’enseignant répond aux élèves par des commentaires (feedback, relances, questions) sur la lettre auto-évaluative.
Elève interactif Savoir écrire : Ecrire un récit collaboratif
En binôme et à partir d’une ou plusieurs photos (projet artistique), l’enseignant demande d’écrire un texte collaboratif. Après avoir discuté la structure narrative, les élèves utilisent un logiciel qui permet l’écriture collaborative (chacun sur son ordinateur mais à plusieurs sur le même document+ une messagerie en direct pour confronter et discuter)
L’enseignant peut donc délivrer des feedbacks, des commentaires, des aides spécifiques à chaque groupe.
Créer
Elève constructif Savoir parler/écrire : Création d’un audioguide
Après une visite dans le quartier et la prise en photo de différents lieux remarquables, les élèves recherchent et écrivent une description historique de ceux-ci. Chacune des descriptions est, ensuite, enregistrée par les élèves afin de produire des podcasts qui seront mis en ligne. Ceux-ci permettent de présenter le projet réalisé et de publier différents parcours audibles du quartier.

Qu’il s’agisse d’offrir à tous les élèves un apprentissage plus attractif, plus personnalisé, plus collaboratif ou plus en phase avec notre société, le potentiel pédagogique des technologies s’avère vaste et croissant de jours en jours. Il est, de ce fait, du ressort de l’enseignant de profiter de cette offre afin de la mettre à disposition des élèves dans des contextes aussi variés que possible.

Le partage de pratiques, la constitution de communautés réflexives et la veille pédagogique sont autant de moyen de diffuser ces nouvelles pratiques. Certains enseignants partagent d’ailleurs spontanément leurs expériences à travers les réseaux sociaux. Ces descriptions d’usages pédagogiques initient l’enseignant à une réflexion sur la manière d’intégrer l’outil numérique au sein de sa pratique pédagogique.

Le Pacte d’excellence vise également à cette diffusion de scénarios pédagogiques. En effet, un des objectifs à long terme est la mise en place d’une dynamique de mutualisation et d’expérimentation des pratiques pour et par les enseignants via le développement d’une plateforme en ligne. Un exemple à suivre.

Bruno De Lievre
Chef de service, université de Mons, département des sciences et de la technologie de l’éducation, service de pédagogie générale et des médias éducatifs

Gaëtan Temperman
Assistant, université de Mons, département des sciences et de la technologie de l’éducation, service de pédagogie générale et des médias éducatifs

Audrey Kumps
Assistante de recherche, université de Mons, département des sciences et de la technologie de l’éducation, service de pédagogie générale et des médias éducatifs


L’actualité de la recherche – N° 514, Pédagogie et numérique, Rémi Thibert

les chroniques de Nipédu, par exemple
La chronique de Nipédu du n° 533, Pédagogie et numérique : envoyez le matos !, Régis Forgione, Fabien Hobart

N° 518 – Enseigner, former : écrire, Une pédagogie numérique à dimension humaine, Entretien avec Michel Guillou

N° 506 – À l’école de la bande dessinée, Enseigner la narration à l’ère numérique, Julien Falgas

HSN n° 42, « Littérature et numérique » Les littératures numériques pour donner du pouvoir sur le monde : une interview des coordonnateurs, Yaël Boublil et Jacques Crinon