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L’intégration du handicap à l’école maternelle

Le cadre donné par la loi

La scolarisation de tout enfant handicapé s’impose maintenant à l’école. Néanmoins il revient à chaque professionnel, selon son territoire d’action, d’évaluer régulièrement le projet, à l’épreuve des faits consignés afin de revoir les modalités de l’accueil. L’identification des contraintes et la recherche concertée de solutions acceptables par tous, en particulier par les parents qui sont membres de l’équipe de suivi de scolarisation (ESS) relève de responsabilités assumées individuellement.
Que la famille ait droit à scolariser son enfant dans l’école de référence ne signifie pas que l’accueil soit automatique et banalisé. L’équipe pédagogique a pour obligation d’en étudier les conditions de réalisation. L’étude va comprendre toutes les conséquences pour l’école et son projet, et pour toute la communauté. La réponse est apportée sous la forme d’une série de questions, de conditions, de préalables, d’assurances et de garanties, de recherche des moyens nécessaires. L’étude est une réflexion collective qui permet de mettre à plat la faisabilité, d’en mettre à jour les aspects problématiques ou que les instances compétentes[[Saisie de la MDPH via l’ESS, information à l’inspecteur de circonscription…]] soient saisies. Il est important que la réflexion soit réaliste, pragmatique, que les limites du rôle spécifique de l’école soient compréhensibles pour la famille. Le projet a valeur de contrat sincère.
La mobilisation des équipes et de tous les personnels de l’école est déterminante, mais sans recours à l’affectivité ni à la morale. Pour les enseignants, ce n’est plus « Il faut les aimer ! » ces enfants porteurs d’une anomalie, mais reconnaître leurs compétences et penser « Ils nous intéressent ! » parce qu’ils nous permettent d’évoluer professionnellement et collectivement.

Dans le quotidien de la classe

Dans le collectif de vie et d’apprentissages qu’est la classe, un seul enfant est différent et ce sont les habitudes relationnelles et de travail qu’il faut revoir, réévaluer et adapter : les représentations et le regard des uns et des autres, la remise en cause des seuils de tolérance, la modification des manières de travailler, les aménagements matériels, pédagogiques, l’adaptation des temps et des rythmes…la prise en charge de l’enfant doit être personnalisée tout en assurant le travail spécifique de cohésion de la communauté propre au « vivre ensemble » de l’école maternelle.
Les enseignants expriment des craintes dans leur capacité à faire face avec efficacité à une tâche pour laquelle ils ne sont pas formés, ils ont peur d’être seuls et démunis. Leur demande est celle d’un soutien, de la mise à disposition d’outils de travail pour se doter de savoir-faire face au handicap ; c’est une véritable demande de professionnalisation. Il faut reconnaître que les handicaps « invisibles », psychiques et mentaux, soulèvent à l’école des problèmes plus complexes que les handicaps physiques ou les déficiences sensorielles qui ne remettent pas en cause fondamentalement le cadre et la nature de la communication pédagogique.

Les possibles avancées

Les diverses études menées[[Voir Petite enfance et handicap, sous la direction d’E Plaisance, Dossier d’étude N°66, CAF, mars 2005. ]] mettent en évidence que les facteurs de réussite de l’intégration tiennent tout autant à l’enfant lui-même, à l’école d’accueil, à la famille et aux soutiens spécialisés apportés. Sachant cela, voici un résumé des actions possibles à mettre en place.

Travailler en équipe, agir en réseau
Accueillir un enfant « à besoins spécifiques » dans une classe maternelle c’est travailler « autrement », en partage d’expériences et de compétences. Un certain nombre de conditions doivent être réunies pour donner corps et sens à ce principe, dans les activités quotidiennes de la classe, en définissant des objectifs d’apprentissage adaptés, en concevant les « plans inclinés » pédagogiques pour rendre les savoirs accessibles dans tous les lieux de l’école. Le travail de réflexion pédagogique doit être précisé dans le projet d’école ; ce qui se crée autour de la singularité des situations doit être mutualisé pour enrichir les pratiques de tous les enseignants. La directrice (ou le directeur) joue un rôle essentiel d’animation, de « gestion » de tous les adultes présents à l’école, de vigilance quant à la prise en compte des disponibilités et des temporalités spécifiques de chacun.
Le travail en complémentarité de compétences est souvent signalé comme un moyen, sinon d’alléger les responsabilités, du moins de les rendre autrement supportables en objectivant les caractéristiques et les limites de l’action de chacun, en prenant appui sur des enseignants spécialisés du réseau d’aide, sur l’avis du médecin de PMI, sur l’expérience de la psychomotricienne, celle du CAMSP[[CAMSP : ils sont présents dans tous les départements, d’accès libre et direct pour la famille. Le partenariat avec l’école se traduit par un partage d’informations, la recherche des meilleures solutions d’aide.]]…. De nombreuses études reconnaissent le rôle central et pivot des Centre d’action Médico-Sociale Précoce. Ils ont permis le développement important des intégrations. Les services de soins, SESSAD[[SESSAD : Service d’Education Spéciale et de Soins A Domicile rattaché à un établissement spécialisé.]] peuvent aussi accompagner le processus de scolarisation.
L’intégration d’enfants en situation de handicap ou en graves difficultés est faite prioritairement de manière individuelle, selon les objectifs écrits définis en équipe dans le Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS). Les CLIS[[CLIS : Classes d’Intégration Scolaire, circulaire 2002-113 du 30 avril 2002.]], dispositifs d’intégration collective spécialisés pour des enfants présentant une déficience auditive, visuelle ou motrice, fonctionnent avec des moyens renforcés (enseignant spécialisé, effectif réduit) au sein d’écoles ordinaires. Ces classes visent à abolir les frontières qui définissent habituellement les lieux réservés aux élèves handicapés et les lieux pour les élèves « normaux ». L’intégration n’est pas une fin mais un moyen. Elle offre le cadre aménagé pour permettre aux enfants d’ajuster leurs actions, leurs comportements dans un environnement d’apprentissage normal, et de développer des relations au sein du groupe ; chez les jeunes enfants des interactions incessantes avec un environnement « ordinaire » sont déterminantes pour mettre en place des repères. L’accompagnement de cette conquête d’autonomie peut être facilité par un auxiliaire de vie scolaire (AVS)[[L’Auxiliaire de Vie Scolaire aide à l’intégration, c’est vraisemblablement un nouveau métier de service à la personne.]], dont la quotité de temps de présence est évaluée selon les besoins de l’enfant par l’Equipe Pluridisciplinaire d’Evaluation (EPE)[[L’EPE de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) travaille en appui sur les observations collectées au sein de l’école en Equipe de Suivi de la Scolarisation (ESS).]]. L’auxiliaire coordonne son action avec celle de l’enseignant dans la classe et de l’ATSEM, selon des interventions qui sont décrites dans le projet de l’enfant (assistance dans les gestes quotidiens, aide technique, mise en confiance, autonomie…). L’ensemble de ces mesures particulières vise à sécuriser l’enfant et sa famille dans la première expérience d’école ; cela permet aux partenaires du projet d’apprendre à harmoniser leur travail en fonction de l’évolution de l’enfant.
La loi de 2005 introduit un nouvel acteur central dans l’accompagnement du travail des équipes, c’est l’enseignant-référent. Nouveau métier, nouvelles missions, essentiellement de mise en lien, de mise en relation, d’explicitation. Cet enseignant spécialisé est mandaté par la MDPH[[Elle est sous compétence essentielle du Conseil Général ; la Commission des Droits et de l’Autonomie (qui remplace la CDES) propose des orientations « spécialisées » à l’enfant et sa famille.]] pour suivre le projet de l’enfant, de sa première scolarisation à son entrée dans la vie active. Il ne prend pas les décisions, n’agit pas directement mais va être l’interlocuteur unique de l’ensemble des intervenants. Il incarne un peu l’idée de guichet unique, proche de l’usager, qu’instaure la loi. Il est évidemment une ressource pour les équipes enseignantes.

Instaurer des liens de confiance avec l’enfant et sa famille
Mme Nonnon, présidente de GEIST 21, maman d’une enfant trisomique dit :« Etre parent d’enfant handicapé, c’est un combat de tous les jours. Etre un enfant handicapé c’est devoir prouver tous les jours qu’on est capable de… »[[Table ronde – Congrès de l’AGIEM, Charleville-Mézières, juillet 2006, sur le site agiem.fr ]].

La relation des équipes d’école aux parents demande attention et disponibilité. Au niveau le plus banal, mais essentiel, figure un dialogue continu avec ces parents, mais aussi avec les parents des autres enfants ; ces derniers doivent être rassurés, il s’agit de dédramatiser et de transformer leur regard sur le handicap. Au cours des échanges, les parents peuvent être confortés sur leurs propres compétences ; ils sont souvent initiateurs de pratiques de prise en charge liées au handicap de leur enfant, comment communiquer et réagir face à certains comportements.
La question de la révélation du handicap est assurément complexe. C’est en soi un « événement traumatique qui bouleverse complètement le fonctionnement psychique des parents. »[[HERROU (C.), KORFF-SAUSSE (S.), Intégration collective de jeunes handicapés, ERES, 1999.]] Trois phases sont repérables : une phase de douleur intense où les parents sont avant tout centrés sur le diagnostic et moins sur l’enfant ; une phase d’espoir qui est celle où l’enfant reprend « du terrain », est valorisé dans ce qu’il parvient à faire ; une phase où l’enfant et son handicap sont remis ensemble.
Beaucoup de parents entendent bien s’affirmer comme acteurs engagés. Les chercheurs américains désignent sous le nom de « coping » cet ensemble d’actions et de stratégies adaptatives utilisées pour éliminer le stress physique ou psychique lié à une situation de tension et pour lutter contre l’angoisse. Différents domaines sont plus particulièrement investis : la connaissance des éléments influant sur les prises de décision qui peuvent affecter les conditions d’accueil à l’école ; les contacts nombreux avec divers interlocuteurs, dont le rôle vis-à-vis de l’enfant peut être important ; l’élaboration d’un système d’alliance pour pouvoir négocier en position favorable ; la vigilance sur les décisions de l’école dans le sens souhaité et la négociation permanente pour des aménagements de situation ; l’instauration d’un réseau de solidarité.

Certaines attitudes sont ainsi développées : oser s’exprimer et argumenter dans des contextes de réunions ou de commissions intimidants, se montrer pugnace à l’occasion, être persévérant sans émotion pour atteindre le but poursuivi, s’efforcer d’être lucide, évaluer le seuil de pression à ne pas dépasser auprès des enseignants, savoir céder sur certains points. Cet investissement, en temps, en énergie, ce capital de connaissances et de relations ainsi engrangé est certes plus accessible aux familles les plus aisées. Il appartient à l’école maternelle d’être attentive aux familles plus précaires, la pauvreté apportant souvent un poids supplémentaire à la maladie invalidante ou au handicap.

Si, à l’école « l’anormalité » de l’enfant n’est plus vécue comme une situation exceptionnelle, mais inscrite comme une donnée du fonctionnement, se met en place très tôt la culture du multiple et du singulier. De cette diversité intégrée peuvent émerger des valeurs sociales plus ouvertes à l’autre, selon sa singularité et les richesses qu’elle contient. L’école maternelle est bien là dans son rôle d’école première, initiatrice de comportements d’acceptation lucide et non pas de tolérance. En posant les bases d’apprentissages fondamentaux construits au sein du collectif scolaire elle assure individuellement le socle des compétences et connaissances nécessaire pour que chacun, selon son droit, réalise son projet de vie. C’est alors la société tout entière qui progresse.

Eve Leleu-Galland, Inspectrice de l’Education Nationale ASH – Beauvais (60) Adaptation Scolaire et Scolarisation des Enfants handicapés.


Lire dans la revue le témoignage de Marie Caquineau
Peut-on prendre en charge toutes les différences ? (p.35)