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L’inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie

Marie Duru-Bellat, Éditions du Seuil, 2006.

Ce livre est agaçant. Et utile.
Il est agaçant car pour beaucoup de ceux qui ont déjà lu des ouvrages de sociologie de l’éducation, il donnera l’impression, au premier abord, de ne rien apprendre. Mais, dans un deuxième temps, on se rend compte qu’avec son style polémique, il appuie « là où ça fait mal », c’est encore plus agaçant, c’est aussi pour cela qu’il est utile. Même si on peut lui porter quelques critiques.
Aujourd’hui près de 70 % des jeunes d’une classe d’âge accèdent au niveau du bac, contre 5 % en 1950. 40 % des élèves sortent avec un diplôme Bac +2 contre 15 % il y a vingt ans. Mais, alors que le dogme est que l’allongement des études est un facteur de progrès économique, social, culturel et la garantie d’une meilleure cohésion sociale, l’auteure affirme qu’élever sans cesse le niveau scolaire n’est pas forcément un bien pour le pays.

Commençons par la massification. Marie Duru-Bellat nous montre qu’elle n’est pas forcément une « démocratisation » ou alors il faut peut-être parler, avec Pierre Merle, de « démocratisation ségrégative ». Certes, il y a un accès plus grand au niveau bac mais tout le monde ne fait pas le même bac. Près de la moitié des enfants de cadres (et d’enseignants…) sont en section S contre 20 % des enfants d’ouvriers non qualifiés. « C’est de moins en moins le fait d’être bachelier qui fait la différence, mais bien plus la nature du baccalauréat obtenu. » Il y a bien une augmentation quantitative, il n’y a pas pour autant de baisse des inégalités. On peut même parler d’accroissement des inégalités dans la période récente.

Et la massification engendre la dévalorisation des diplômes, d’où le titre du livre. Le phénomène est renforcé par un décalage important entre la qualification des diplômes (la formation des jeunes) et la qualification des emplois (les compétences requises pour l’occuper). Malgré l’évolution des technologies, les emplois n’ont pas vu les qualifications requises pour les occuper augmenter dans les mêmes proportions que les diplômes des personnes qui postulent. Ainsi, le métier de facteur n’a pas vu ses compétences requises augmenter mais aujourd’hui on trouvera des facteurs avec le niveau Bac ou Bac +2…

C’est là que le livre est le plus intéressant (et donc agaçant !) : l’auteure nous montre qu’avec un tel phénomène, notre société produit du déclassement et de la frustration. Nos sociétés démocratiques se sont en effet construites sur cet idéal méritocratique et d’égalité des chances. La croyance forte était que l’augmentation du niveau des études conduisait à une amélioration de la position sociale par rapport à celle de ses parents. Ce qu’on résume souvent par l’image de l’« ascenseur social ». Mais il est en panne. Non seulement parce qu’ il ne garantit plus la mobilité sociale mais parce que ces diplômes sont le reflet des inégalités sociales de départ et enfin, parce qu’à diplôme égal, c’est l’origine sociale (par le capital social et culturel) qui permet l’accès aux meilleurs postes. Ce n’est plus la méritocratie, c’est la lutte des places… !

L’intérêt du livre est donc de nous montrer le formidable gâchis et le danger potentiel d’implosion de la société que représente cette course aux diplômes. Mais ce raisonnement tient au niveau macroéconomique, au niveau collectif. On ne peut en déduire que les diplômes ne servent à rien. Au niveau individuel, la poursuite des études est rationnelle car le diplôme reste encore aujourd’hui la meilleure protection contre le chômage comme nous le montrent toutes les statistiques.

Après un tel constat, on pourrait s’arrêter là. Et le livre serait déjà, en soi, suffisamment utile. Marie Duru-Bellat veut aller plus loin et tente de formuler quelques propositions. Chapitre peut-être un peu moins convaincant car trop imprécis d’un livre qui n’a cependant pas pour vocation d’établir un programme.

Marie Duru-Bellat propose par exemple que la formation initiale permette d’« égaliser plutôt que hiérarchiser » en privilégiant la mise à niveau de tous les élèves dans ce qui ressemble beaucoup à un « socle commun » même si le mot n’est pas écrit. On trouve aussi dans sa dernière partie un appel pour « une orientation plus professionnelle et responsable » avec une articulation entre formation et emploi par le biais de l’alternance notamment. Il faut aussi, dit-elle, que le monde du travail apparaisse aux jeunes comme plus attractif et que les métiers manuels soient moins dévalorisés pour que les jeunes cessent de les éviter.

Au final, on peut dire que ce livre n’est pas un ouvrage de plus sur l’école. C’est bien plus que cela. Il remet en effet en question un des mythes fondateurs de notre démocratie : l’idéal méritocratique et le mythe de l’égalité des chances. Et, comme elle le dit elle-même, cela ne concerne pas que l’école mais la société tout entière. Décidément ce livre est agaçant…

Philippe Watrelot