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L’impossible métier de pédagogue

Pas de compassion dans ce livre, aucune lamentation sur le métier de pédagogue qui serait devenu, par les temps actuels, c’est bien connu, impossible. Non.

Le titre de l’ouvrage renvoie en fait à la célèbre apostrophe de Freud – une boutade paraît-il – à propos des trois professions impossibles que sont éduquer, soigner, gouverner.

Et les propos de Francis Imbert ne sont ni défaitistes ni laborieusement démonstratifs mais toniques et vivifiants, nous donnant des billes pour mener la tâche et tenir le cap dans nos classes.

C’est à partir de la distinction entre praxis et poésis que l’auteur va construire son propos.

Dans la première partie du livre, Francis Imbert réussit, avec talent, à rendre accessibles et intelligibles ces deux notions fortes. D’Aristote, à Marx ou Castoriadis, la praxis traverse l’histoire philosophique et arrive comme un concept clé pour l’école d’aujourd’hui et pour le praticien soucieux de ne pas subir son métier. Le risque est en effet pour l’enseignant de s’enfermer dans l’instrumentalisation en réduisant son travail à de la manipulation technique. La poésis, cadenassée dans la clôture et la fabrication, avec ses effets d’assujettissement, est du côté de cette impasse qui rendrait rapidement le métier impossible.

Mais un des enjeux forts de l’école actuelle est de pouvoir réinscrire quelque chose de la loi symbolique chez l’élève, en préalable à tout accès aux savoirs : tout n’est pas permis, tout n’est pas possible. En classe, les dispositifs d’échange de paroles où quelque chose du sujet peut advenir, les institutions de la pédagogie institutionnelle sont là, tranquillement efficaces. L’auteur montre ainsi comment, très concrètement, ces outils (principalement le quoi de neuf ? et le conseil) sont de véritables appels au désir. Ces institutions ouvrent, par leur visée praxiste, sur l’autonomie des personnes, sur la séparation qui appelle le « vivre ensemble ».

Mais la mise en place de « micro-institutions » aux enjeux symboliques forts et qui supportent l’obligation à l’échange, peut bouleverser l’élève comme l’enseignant. Les groupes Ballint ou les groupes d’élaboration de pratique sont alors des outils essentiels de la formation continuée. Ces dispositifs permettent d’interroger les implications subjectives, d’élaborer les pratiques, « d’accéder à l’intelligence de ce que l’on fait » selon la belle expression de Daniel Hameline. Fernand Oury disait « tailler les silex ».

Francis Imbert place l’écriture monographique au centre de ce travail. Elle ouvre la voie à une véritable explicitation, jamais achevée, de l’action quotidienne. L’auteur illustre toute la richesse de cette démarche par des exemples d’analyse de textes monographiques, déjà publiés pour certains mais qui reçoivent ici de nouveaux dépliages théoriques passionnants.

Un livre sur la praxis ne pouvait recevoir de conclusion. Il aurait basculé du côté du produit fini, de l’œuvre achevée, refermée sur elle-même, de la poésis. Francis Imbert suspend donc son propos, presque au milieu d’une phrase et cette rupture appelle un prolongement dans une rencontre future.

Le chemin se fait en marchant. Francis Imbert a déposé quelques bornes et nous donne l’envie de continuer de tracer la route.

Philippe Jubin