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L’impossible

« Il y a quinze ans, j’ai publié une première fois ce livre.
Je lui donnai alors un titre obscur : La haine de la Poésie.
Il me semblait qu’à la poésie véritable accédait seule la haine.
La poésie n’avait de sens puissant que dans la violence de la révolte.
Mais la poésie n’atteint cette violence qu’évoquant l’Impossible.
À peu près personne ne comprit le sens du premier titre, c’est pourquoi je préfère à la fin parler de l’Impossible. »

Georges Bataille (L’Impossible, préface de la deuxième édition)

Ouvrir dans les Cahiers pédagogiques un dossier sur la poésie à l’école n’est pas sans risques. Entre le simple recensement « d’activités » poétiques réalisables en classe et le discours abscons compréhensible par les seuls « initiés », la marge est étroite.

Si nous avons voulu tenter cette aventure c’est parce qu’il nous semble que mettre en place des situations de poésie, faire travailler véritablement les élèves autour et par les poèmes n’est pas chose facile voire nous confronte à un « Impossible ».

Impossible de soumettre « poésie », « poème », « poète » à une quelconque définition, stable, immuable… sous peine de clore chacun d’eux à ce qu’ils ne veulent ou ne peuvent être : délimités, circonscrits, réduits. Tant que l’un ou l’autre sera encore vivant…

Impossible de réduire la poésie à un objet représentable qui prendrait la forme canonique habituelle du poème rencontré si souvent à l’école : généralement court, illustre ou enfantin ou les deux à la fois, rythmé, mis en page, joli, thématisé, etc. La poésie est métamorphoses.

Impossible de l’enfermer dans une quelconque discipline. Elle ne peut se réduire du côté des apprentissages linguistiques, se cantonner à l’étude littéraire, se limiter à l’observation d’un genre littéraire, à l’acquisition d’une pratique artistique, à l’exercice de diction ou de mémorisation… Elle aborde tout cela à la fois mais ne s’y contient pas pour autant.

La poésie nous confronte à l’« Impossible ».

Elle nous confronte à l’« Impossible » en tant qu’elle met à mal l’explication, la compréhension, la maîtrise du sens. Elle nous conduit à l’« Impossible » dans la mesure où elle est démesure, anarchique. Dans la mesure où elle est à la fois un travail sur la langue, mais aussi et en même temps le lieu où justement la langue travaille en nous.

Face aux difficultés qu’elle engendre, faut-il pour autant renoncer à aborder la poésie à l’école ?

Ou ne faut-il pas, au contraire, relever le défi de l’impossible, car renoncer à la poésie serait renoncer à exister, à faire exister ce qui en chacun de nous ne demande qu’à vivre et s’épanouir. Se pose alors le problème d’enseigner la poésie, de faire entrer le poème dans la classe sans faire fuir la poésie par la fenêtre…

Comment, à l’école, l’aborder sans la réduire à une activité de « saisie de sens » ? Comment la mettre en voix sans la restreindre en un exercice de mémorisation ? Comment l’écrire sans la dénaturer en « exercice de style » ?

Est-elle à la marge ou au contraire doit-on la mettre au centre du dispositif d’apprentissage, Que nous apprend-elle et que lui apprenons-nous ?

Comme l’écrit justement J.-P. Siméon dans ce dossier : le « problème » avec la poésie c’est, qu’à l’école, elle pose problème.

Nous avons opté, dès lors pour un dossier le plus ouvert possible : parole donnée aux enseignants, élèves, didacticiens, poètes, éditeurs… Nous n’avons pas renoncé tout à fait à comprendre, en essayant de garder un peu de mystère et de fantaisie, comme Aurore (CM1) : « Devant le vol du papillon, personne ne cherche à savoir combien il mesure ». Nous souhaitons que ce dossier soit une source d’inspiration, d’envies, de « possibles ». Des témoignages, de nombreuses propositions concrètes pour la classe : carnets d’écriture, répertoires, fabrication d’anthologies, collages, mises en voix… Des repères historiques et bibliographiques pour aller visiter ailleurs… Des textes aux sensibilités très différentes avec en commun la passion de la poésie, que nous espérons communicative.

Mireille Carton, professeur de français, Clermont-Ferrand.
Christophe Roiné, conseiller pédagogique, Bordeaux.