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L’histoire tracée par les migrants

Ils s’appellent Ivan, Monique, Armance, Markus, Antonio, Joana, Amel ou encore Osman. Ils ont entrepris le voyage pour un ailleurs espéré meilleur, pour échapper à la dictature, au terrorisme, à un régime honni, à la persécution ou à la misère. Ils sont partis dans les années 20 ou 30, ou plus tard encore, jusqu’à l’orée du nouveau siècle. Ils sont venus d’Iran, de Moldavie, d’Italie, de Pologne, d’Espagne, d’Algérie, de Madagascar, du Portugal, de Bosnie-Herzégovine, de Russie ou encore du Vietnam. Ce sont des parents, des proches dont les collégiens relaient les paroles sur un blog ouvert par l’enseignante.

L’idée lui est venue lorsqu’en vacances estivales en Catalogne, elle visite le musée de La Jonquera consacré à la Retirada, le grand exode des républicains espagnols fuyant le franquisme. Elle va sur les lieux des camps dans les Pyrénées-Orientales, là où les exilés ont été enfermés. « Ça m’a touchée, en étant dans les montagnes, de savoir que des gens sont passés par là, on peut l’imaginer. De Paris, ça me semblait très loin. En étant sur place, on se sent plus près des gens, de leur histoire. » Et c’est sans doute cette sensation de voir l’histoire s’incarner qui lui a donné envie de faire naître ce nouveau projet.

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L’exode espagnol

Dès la rentrée, elle demande à ses élèves si des membres de leur famille ont connu l’exil, et d’aller interroger des exilés dans leur entourage. Ils ont comme consigne de raconter ensuite en empruntant la voie de l’épopée, de s’attarder sur le voyage, sur des anecdotes, sur leur chemin aussi pour s’intégrer, tout en contextualisant le récit. « L’idée de départ était de balayer le XXe siècle avec tous les récits recueillis. » Sur les deux classes impliquées, une cinquantaine de textes sont produits, résumés de la vie de gens souvent très proches. « Cela a bien fonctionné car, à Meudon, l’intégration se passe plutôt bien. Les gens sont fiers de leur réussite professionnelle. »

Ça commence avec des lettres de poilus

L’idée du récit, elle l’avait déjà utilisée pour aborder la première guerre mondiale à travers l’écriture de lettres de poilus après une enquête dans les archives familiales et sur des sites proposant des biographies de soldats. Pour elle, c’est une façon de montrer aux collégiens que « leur histoire est reliée à l’Histoire ».

Enseignante depuis 1992, elle recherche sans cesse des projets variés pour renouveler l’intérêt qu’elle porte à son métier. D’abord maître auxiliaire, elle a travaillé en lycée professionnel et d’enseignement général. Puis, devenue titulaire, elle a exercé uniquement en collège.

Elle a lancé sa nouvelle idée, pensant récolter des histoires d’exilés arméniens, dont les descendants forment une communauté importante à Meudon, ou de nombreux récits à l’accent espagnol qui viendraient en écho de son voyage estival. Les histoires rapportées étaient autres, venues de contrées diverses, reflétant la mosaïque des origines qu’elle n’avait pas perçue dans les visages, dans les noms de ses élèves.

L’exil est parfois lointain comme celui de Vassili « Ils sont partis parce que Vassili ne comprenait pas le sens de la Révolution de 1917 et qu’il avait décidé qu’il aurait une vie meilleure en France où les valeurs de Liberté de la République l’avaient convaincu », raconte Axelle. Il est d’autres fois très proche, portant encore la douleur et l’effroi comme lorsque que Danislava, d’origine moldave, rapporte le témoignage de son oncle : « Malheureusement, il n’avait aucune chance, donc, sans que ses amis le sachent, il s’est caché sous leur camion, je ne sais pas à quoi il s’est tenu exactement. Il est resté sous la voiture trois jours sans boire et sans manger. »

Tous les exils

Les récits s’entrechoquent, illustrent les conflits, les populations qui les vivent différemment. Rayan parle de sa tante : « Ma tante fait partie des “pieds noirs“ qui désignent les français d’origine d’Algérie et qui représentent à l’époque environ 10,4 % de la population vivant en Algérie. » D’autres élèves sont issus d’une famille harkie. L’exil algérien se raconte également avec Oman qui a fuit le pays sous la menace du Front islamique du salut. Benjamin parle de son grand-père juif polonais qui a connu l’exil pour échapper au nazisme. Un autre élève mentionne le départ de sa famille d’Allemagne juste après la guerre.

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Algérie

Les récits sont romancés ou moins policés sur la forme, l’important est de raconter. « Je me suis contentée des textes bruts, je les ai publiés comme ça, sans creuser, avec le souci de ne pas avoir de jugement, de rester respectueuse par rapport au récit, au témoignage. » Catherine explique que le projet est possible à Meudon, là où la tolérance est de mise. La mise en perspective avec le contexte historique est propice à s’écarter un peu du drame familial qui peut poindre sous les mots. La romance n’est pas exclue, l’espoir non plus.

Tom raconte l’exil d’Amel qui a fuit la Bonsie-Herzégovine enfant et est aujourd’hui élève de l’école nationale de la magistrature : « Il est parti en 1993 pour fuir la guerre et les camps de concentration avec sa sœur et ses parents en laissant tout derrière eux. Ils n’ont pu prendre qu’une valise de vêtements. » Konrad est admiratif du parcours de Joana et Jacek « partis de rien, en exil, sans aucun bagage, sans la langue, ils ont réussi à s’intégrer et à construire leur vie dans un monde étranger pour eux ».

Une histoire intime

Tous les élèves n’ont pas publié de récit et les quelques uns qui se sont abstenus l’ont fait parce que leurs parents ne voulaient pas ou que leur histoire est trop douloureuse. Plus que pour les lettres de poilus, le travail visite l’intime, explore le parcours familial que la pauvreté, la guerre ou la politique ont mené là. « Les parents que j’ai vus étaient contents de raconter. Leurs enfants ont fait une vraie recherche pour s’intéresser à l’histoire familiale. »

Les histoires se racontent à l’écrit et à l’oral, dévoilant dans la confiance le souffle d’une époque qui a bouleversé des vies. Au fil des récits mis en ligne, l’enseignante constate le foisonnement et, dans un même temps, les risques d’opposition, d’intolérance. Elle n’en note aucun, veille à ne pas réveiller les ombres du racisme, de l’intolérance. « Par rapport aux exilés, aux émigrés, il n’y a pas d’approche raciste mais dès le début on en a parlé. » Et par la lecture, l’écriture, l’échange, elle perçoit le changement de regard sur l’immigration même si elle ne le mesure pas vraiment.

« Immigrer c’est pas facile car on se détache de ses racines pour s’enraciner dans une terre inconnue. Tout est à refaire: trouver du travail, se faire de nouveaux amis, apprendre la culture du pays… » raconte Antonio, exilé espagnol, à Melissa, comme un rappel d’une réalité simple. Et le vécu de jeunes, d’enfants illustre les violences, les horreurs que l’histoire peut produire. Hermann l’énonce simplement : « Markus Schiff a dû fuir son pays de naissance à 20 ans en 1928 car c’était devenu trop dangereux pour lui en étant juif. » Thomiel reprend les mots de Zahra, adolescente au moment de l’arrivée de la République islamique en Iran : « Je n’étais pas très bien informée de ce qui se passait en ce moment dans mon pays donc je pensais que tout allait bientôt revenir à la normale mais mes parents par prudence avaient décidé de me laisser ainsi que mon frère chez ma grand-mère. »

Catherine Rossignol a récolté une matière vive, vivante, foisonnante, qui au fil des chapitres étudiés en classe, viendra illustrer, rappeler que le cœur et les âmes battent au creux des événements qui percutent le monde. Elle voit aussi comment son projet, né d’une inspiration suscitée par sa propre confrontation à l’histoire incarnée, pourra évoluer, se transformer. L’an prochain, sans doute, d’autres enseignants en français ou en langues s’y associeront. En attendant, elle vit à plein la belle surprise de classes désormais emplies des voix des migrants qui sont venus jusque-là.

Monique Royer

Le blog « Nos récits d’exil » : https://nosrecitsdexil.blogspot.fr/