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L’évaluation au prisme des dys

Lætitia Branciard est ingénieure de recherche à l’Enfa (école nationale de formation agronomique), l’institut de formation pour les enseignants de l’Enseignement Agricole public. La question de la prise en compte des troubles dys et des situations de handicap dans les pratiques éducatives est devenue au fil du temps son sujet de prédilection.

Sa mission première en arrivant en 2000 était l’intégration du numérique dans les apprentissages avec une partie recherche et une autre consacrée à la formation des enseignants. Elle a petit à petit partagé son temps entre la formation des enseignants sur les TICE et leur sensibilisation aux troubles des apprentissages. De recherches sur les outils informatiques et multimédia de compensation à la mise en place de formations sur les troubles dys, son horizon professionnel s’est élargi.

La circulaire du ministère de l’éducation nationale de 2002, sur « la mise en œuvre d’un plan d’action pour les enfants atteints d’un trouble spécifique du langage oral ou écrit », précisait que les IUFM devaient mettre en place « une information sur le repérage des signes d’alerte et les prises en charge spécialisées, ainsi qu’une formation aux réponses pédagogiques diversifiées, intégrées à la formation initiale des enseignants du premier et du second degrés ». L’Enfa a alors proposé des actions de formation initiales et continues sur ce thème à tous ses publics à partir de la rentrée 2004.

Rapidement, l’ingénieure se forme pour étoffer l’équipe des intervenants et s’impliquer un peu plus en réponse à une préoccupation qu’elle sent grandissante : celle d’assurer des cours pour la réussite de tous les élèves. Elle prépare le 2CA-SH, s’investit dans des structures comme la Fédération française des Dys et, en 2010, met en place un GAP (Groupe d’animation et de professionnalisation) pour démultiplier la démarche avec en son sein trois inspectrices et dix enseignants. Car rapidement, des demandes de formation émanent, du niveau régional ou d’établissements directement.

« Je me suis vite rendu compte qu’il fallait former des professeurs impliqués dans la thématique pour répondre aux très nombreuses demandes adressées à l’ENFA ». Grâce à cette démultiplication, l’an passé, 62 jours de formation ont été ainsi assurés touchant un public de plus de 1000 personnes. Elles sont sensibilisées sur la nature des handicaps invisibles et leur conséquences sur les apprentissages. Elles apprennent également comment rendre accessibles des supports pédagogiques. Elles se questionnent sur l’évaluation et son organisation. « Les enseignants sont prêts à réaliser des adaptations de leurs supports ou à modifier leurs gestes pédagogiques, mais dès que l’on aborde la question de l’évaluation et de la compensation ils s’interrogent sur des questions de justice, d’égalité, rarement d’équité ». La formation revisite alors les représentations pour mieux comprendre ce que sont les « dys » et en quoi les aménagements ne pénalisent en rien ceux pour qui ils ne sont pas nécessaires.

Elle aborde des points théoriques et les met en pratique en mêlant les disciplines. Bien souvent, les échanges portent sur la formulation et l’accessibilité de la consigne. Et, fort fréquemment ils se concluent par un « ce que l’on fait là, on peut le faire tout le temps, pour tous les élèves ». Une proviseure adjointe témoigne même de l’accroissement des chances pour les bons élèves d’aller vers l’excellence avec l’entrée « accessibilité ». S’intéresser aux situations de handicap, c’est avant tout une façon de revisiter sa pédagogie quelque soit le public à qui l’on s’adresse y compris sur la gestion du temps pour les cours et l’évaluation. Les exercices pratiques soulignent aussi les limites des compétences des enseignants en bureautique souvent acquises sur le tas, en autoformation. Les professeurs TIM (technologies informatique et multimédia) sont donc de plus en plus fréquemment associés à ces formations et actions au sein des établissements.

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Pour progresser sur le champ des pratiques, un accompagnement des équipes constamment renouvelé est particulièrement actif. Des fiches pratiques écrites par le GAP sont mises à la disposition des personnels de l’enseignement agricole Un réseau « dys » composé de toutes les personnes ayant suivi des formations « dys » depuis 2005, bénéficie d’une veille sur cette thématique et sert de caisse de résonance aux difficultés rencontrées sur le terrain. « Beaucoup de questions portent sur l’aménagement des examens et notamment quand les enseignants constatent des décalages entre les aménagements prévus par la loi de 2005, ceux appliqués à l’éducation nationale et les directives de notre ministère qui ne permettent pas de prendre en compte toutes les adaptations nécessaires. Ils s’étonnent aussi du traitement disparate des dossiers par les maison du handicap en fonction des départements. »

La détection tardive des troubles dys est un autre obstacle constaté dans les établissements. Une expérimentation menée en 2012 auprès d’un échantillon de 608 apprenants répartis dans 15 établissements de l’enseignement agricole a montré que 20 % d’entre eux présentaient des troubles dys, parfois sévères, mais surtout que 58 % de ces jeunes n’avaient jamais été repérés avant leur entrée en lycée agricole. Les résultats de cette expérimentation renvoient à la nécessité d’un repérage précoce pour une meilleure prise en charge à l’école. Ils posent aussi la question de l’orientation et des différences sociales face à ces parcours de scolarisation chaotiques.

Lætitia Branciard consacre une part de son temps de travail à la recherche. Ce temps est précieux pour prendre du recul par rapport à ses activités de formation et d’animation du réseau et du GAP Dys. « Je me nourris de ce que je fais sur le terrain pour alimenter mon projet de recherche » nous dit-elle. Membre de l’unité mixte de recherche éducation formation travail savoirs (EFTS – université de Toulouse Jean-Jaurès-Enfa), en sciences de l’éducation elle s’intéresse aux implications et représentations des enseignants. C’est dans ce cadre qu’elle a proposé aux chercheurs de son équipe de travailler sur les gestes évaluatifs des enseignants face à des publics en situation de handicap.

La première pièce à l’édifice se concrétisera les 2 et 3 février à Toulouse avec un colloque consacré à « l’éducation inclusive, la question de l’évaluation : des représentations aux pratiques évaluatives ». La réflexion engagée au cours de cette manifestation pourrait se poursuivre dans le cadre d’un projet de l’Agence nationale de la recherche (ANR). Comme dans sa pratique professionnelle quotidienne, l’ingénieure a tenu à mêler pratiques et recherches sur l’estrade comme dans la salle puisque ce colloque est ouvert à part égale aux chercheurs et aux praticiens.

« Pourquoi on évalue ? Comment on accompagne les personnes dans les apprentissages pour réussir l’évaluation ? Comment on évalue pour progresser dans les apprentissages ? Quelle prise en compte de la diversité et des compétences ? », les questions traitées iront au-delà des situations des handicaps, sur la place même de l’évaluation dans la pédagogie. Encore une fois, l’attention portée à des besoins particuliers placera les échanges dans un cadre universel à un moment où le débat actuel sur l’évaluation semble oublier les publics en situation de handicap. Un paradoxe qui dans les établissements se dissout tant la réussite des élèves tient également à la cohésion pédagogique.

Le colloque à peine annoncé, des inscriptions arrivent déjà, illustrant là ce que Lætitia Branciard constate sur le terrain : la prise en compte des troubles dys et des situations de handicap est une préoccupation partagée. « C’est un chantier énorme » nous dit elle et de son témoignage nous pourrions rajouter : c’est un chantier de fort intérêt pédagogique pour tous les élèves et tous les établissements.

Monique Royer


Informations sur le colloque

http://blogs.univ-tlse2.fr/efts3/

L’étude sur le repérage et le suivi d’élèves présentant des troubles dys de l’enseignement agricole