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L’ethnologie à l’école

Anne Monjaret, ethnologue, et Gisèle Provost, professeure de lettres et professeure-relais ont cosigné un ouvrage destiné aux lycéens et aux enseignants comme aux ethnologues désireux d’accompagner des projets, ouvrage intitulé Apprentis ethnologues… quand les élèves enquêtent. Titre clin d’œil ou prometteur ? Dernier partenariat de mode chez ceux qui ne savent plus quoi inventer pour captiver ? Eh bien, non ! Si les auteures avouent, non sans franchise, avoir parfois croisé la plume comme on croise le fer, le lecteur peut bien dire tout le plaisir et l’intérêt qu’il a pris à découvrir des expériences qui s’appuient sur une science universitaire, donc non enseignée d’ordinaire dans le secondaire. Au cœur de cette discipline humaine et sociale, la nécessité de se départir de tout jugement de valeur, d’éviter toute posture d’ethnocentrisme devient un postulat quand on sait « la complexité de la construction du regard porté sur l’autre ». On entrevoit déjà tout ce que les élèves ont à gagner en se lançant dans cette aventure d’autant que l’ethnologie n’est pas un sport dangereux… Point n’est besoin de franchir les mers, il suffit de traverser la cour de son lycée ou une rue de son quartier pour délimiter le terrain de l’enquête.

Le projet éditorial des auteures est né d’une part, de la volonté de vulgariser l’ethnologie auprès des enseignants du second degré, c’est-à-dire de diffuser une pratique qui investit aujourd’hui nos sociétés urbaines et contemporaines ; d’autre part, de la nécessité de dresser le bilan des ateliers d’ethnographie créés depuis 1997 dans l’académie de Créteil à l’initiative de Gisèle Provost. « Ouvrage d’information et de formation », Apprentis ethnologues…met en garde les enseignants qui se risqueraient à les jouer seuls : sans partenaire ethnologue, le dispositif des ateliers ne saurait fonctionner de manière efficiente. Pourtant nul dessein de former de futurs ethnologues, nul souci pour les élèves de publier leur recherche. Si les ateliers renoncent à toute prétention scientifique, chacun y tient son rôle « refusant de prendre la place de l’autre », dans un souci partagé d’exigence et de rigueur.

Comment les auteures ont-elles conçu ce bilan ? Selon « le déroulement type d’un atelier ». L’introduction s’attache d’abord à définir, par comparaison, ce qu’est l’ethnologie puis à la présenter en tant que démarche d’enquête appliquée à l’école. Ensuite sont présentées synthétiquement les différentes études de terrain portant sur l’institution scolaire, la co-naissance de l’autre, le corps -à soigner, à reposer- l’identité et la transmission. La relation des expériences du terrain est complétée par le bilan des enseignants et des ethnologues. Les ateliers croisent plusieurs champs disciplinaires (français, histoire, langue…) mais aussi professionnels (costume industriel, sculpture, sanitaire…). Enfin les projets ont été finalisés par des créations diverses (écriture de contes, mise en scène théâtrales, fabrication d’objets, expositions…) dont certaines « interrogent la fonction du musée par rapport au public scolaire ». Fiche pédagogique (« l’apprenti ethnologue »), encadrés méthodes (outil pédagogique ou ethnologique), annexes et indications bibliographiques émaillent chacune des parties et fournissent bon nombre de pistes à explorer. L’ouvrage se clôt sur l’interpellation du directeur de la série Dispositifs aux auteures, lequel se fait « l’avocat du diable ». Écrite à fleuret moucheté, la réponse d’Anne Monjaret et de Gisèle Provost argumente avec pertinence pour démontrer -si besoin était- que l’ethnologie ne se délègue pas et que sensibiliser les jeunes à leur environnement social, ce n’est pas « être dans le sens commun, mais analyser le sens commun ! ».

Apprentis ethnologues… est donc un livre dense qui pour la première fois fait entrer l’ethnologie dans la classe, une innovation qui permet de découvrir un véritable outil pédagogique illustré d’exemples d’application. Apprendre à mener une enquête à l’aide d’indicateurs favorise le développement de plusieurs compétences : l’écoute, le questionnement, la maîtrise des langages, l’autonomie, la socialisation… Apprendre à conserver la mémoire du patrimoine collectif ou, plus modestement, de l’histoire individuelle au travers de traditions que d’aucuns jugeraient futiles et désuètes (Cf. les passeurs de linge ou d’objets) permet de construire l’identité individuelle et de renforcer l’identité professionnelle. Apprendre le rôle des représentations, des préjugés et des jugements de valeur portés sur un individu ou sur un groupe, c’est découvrir qu’ils créent des écrans ne facilitant guère la compréhension. De fait, dans le cadre des ateliers, l’absence de jugement à l’égard d’autrui invite à penser celui-ci autrement, à se positionner différemment, à vivre les relations humaines dans une plus grande tolérance.

Cette dimension de prise en compte de son voisin ne peut que déjouer les tensions et « remodeler les tissus et les liens sociaux ».

Chantal Lavigne, responsable de projets pour le service Édition du CRDP de l’académie de Créteil.


Apprentis ethnologues… quand les élèves enquêtent d’Anne Monjaret et Gisèle Provost, coll. « Repères pour agir », série Dispositifs, SCÉRÉN, CRDP Créteil et CRAP.

Vous pouvez vous procurer le livre sur le site du CRDP de Créteil