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L’entraide, l’autre loi de la jungle

L’entraide, l’autre loi de la jungle, n’est pas un ouvrage de pédagogie. Ses auteurs sont deux biologistes qui ne témoignent pas d’expériences d’enseignement. Pourtant, leur ouvrage semble une lecture indispensable à quiconque souhaite organiser de manière coopérative le travail de ses élèves, où penser l’éducation par des dispositions d’entraide et de solidarité.

Le texte dresse un inventaire particulièrement bien référencé, des recherches en matière d’entraide et de coopération dans le monde du vivant. Il donne à comprendre au lecteur pourquoi et comment végétaux, bactéries, animaux (dont les humains) développent de telles pratiques.

Les auteurs défendent plusieurs thèses à ce sujet. Ils expliquent tout d’abord que, contrairement à de nombreuses idées reçues, les preuves scientifiques sont suffisantes pour affirmer que l’entraide est un fait omniprésent dans le monde vivant. Ils détaillent cette idée en reprenant les travaux d’Edward Wilson : « L’égoïsme supplante l’altruisme au sein des groupes. Les groupes altruistes supplantent les groupes égoïstes. Tout le reste n’est que commentaire. » Autrement dit, la sélection naturelle retient principalement les groupes qui vivent de manière coopérative, même si, au sein des groupes, les individus sont attirés par la recherche de leurs intérêts particuliers.

La seconde grande idée détaillée par cet ouvrage est que les pratiques d’entraide sont naturelles, voire indispensables, en milieux hostiles. En situation d’abondance, la coopération étant secondaire, ce sont des attitudes de compétition qui surgissent, principalement pour augmenter la saveur des existences. Ils étayent cette thèse à partir des travaux de P. Kropotkine, qui relativisent grandement ceux de C. Darwin sur l’évolution et A. Smith en économie. La sélection naturelle par l’élimination des plus faibles et la compétition entre les plus forts, bien que répétée mille fois, ne serait pas une vérité.

De nombreux éléments peuvent intéresser le pédagogue dans cet ouvrage.  Le principal levier esquissé concerne les stratégies pédagogiques à adopter à l’endroit des élèves les plus fragiles, celles et ceux qui ne parviennent pas à comprendre ce que l’école tente de leur enseigner, les mêmes qui risquent d’être les victimes de la compétition scolaire. Il s’agirait d’organiser la classe selon des organisations réelles d’entraide, afin que chacun, quel que soit son statut au sein d’une classe, puisse obtenir une information qui lui manque, disposer de quelques soutiens face à une difficulté, voire travailler avec d’autres autour d’une même tâche.

De plus, outre le principe de réciprocité, que l’on retrouve également dans les écrits de M. Mauss, A. Baudrit ou C. Héber-Suffrin, P. Servigne et G. Chapelle fournissent des repères pour susciter la cohésion au sein d’un groupe. Ils évoquent à ce sujet l’importance de travailler à l’établissement d’un sentiment de sécurité (pour créer un cadre contenant), d’un sentiment d’égalité (pour souder les personnes) et d’un sentiment de confiance (à partir de postures idoines et de règles régulièrement entretenues par une organisation démocratique des échanges). Plusieurs pages sont réservées à des fondamentaux (p. 172) : se disposer en cercle, pratiquer le tour de parole, laisser de la place aux silences, éviter l’utilisation du « tu », faire respecter des règles de sécurité des personnes. « Mettez en place un tel environnement et les gens deviendront prosociaux sans qu’on leur demande. » (Wilson, 2015, p. 131)

Bref, un ouvrage à la fois exigeant et accessible qui sera, sans nul doute, d’une extrême utilité à quiconque souhaite participer à la grande aventure des éducations coopératives, au cœur de sociétés aveuglées par les sirènes de l’individualisme et la reproduction des privilèges des plus puissants.

Sylvain Connac