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L’élève, cet être humain

« Depuis la quatrième, j’ai eu la certitude que je deviendrais enseignant ». Après quelques années en tant que surveillant d’externat en collège et lycée dans des zones d’éducation prioritaire, il est parvenu à son but.
Aujourd’hui, jeune prof, il est revenu dans sa ville d’origine. « C’est là que je souhaitais exercer mon métier, dans la ville où j’ai été élève, où j’ai grandi ». Il s’intéresse dès le départ à la pédagogie différenciée mais n’est pas totalement satisfait de sa manière d’enseigner, de la relation parfois à sens unique avec ses élèves.

Animateur en parallèle dans le secteur des loisirs, il découvre la Communication Non Violente© (CNV) et sent que cette approche peut changer sa façon d’aborder les cours. Il se forme puis participe à des échanges de pratiques, complète sa découverte avec la médiation par les pairs. Et dans le nouvel établissement où il est nommé, il monte son projet et trouve un soutien précieux du principal adjoint lui-même, sensibilisé et favorable à la méthode. « J’avais envie que les élèves soient plus impliqués, mais pas envie de leur mettre la pression. Je propose d’écouter ce qu’ils ressentent quand par exemple ils sont en transgression par rapport au règlement ».
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La CNV est inspirée de la psychologie positive de Carl Rogers. Elle s’appuie sur l’écoute des sentiments en lien avec les besoins humains fondamentaux. Elle se base sur le principe que nous avons tous les mêmes besoins mais que nous ne les ressentons pas au même moment. De cette compréhension possible naissent l’empathie, l’écoute et la compréhension : parvenir à exprimer ses besoins, les sentiments qu’ils font naître, permet de réduire les désaccords, tendre vers un consensus. Marshall B. Rosenberg, créateur de la CNV, la définit comme : « le langage et les interactions qui renforcent notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer aux autres le désir d’en faire autant ».

Dans la classe, les relations sont basées sur le respect mutuel. « Tout ce que je fais à un élève, l’élève peut me le faire. L’élève n’est pas qu’un élève ; il est important qu’il sache que moi aussi je le pense ». La parole de l’un a la même valeur que la parole des autres. « Lorsque les propos ne me plaisent pas dans la forme, je fais reformuler » précise l’enseignant. La transgression au règlement intérieur donne lieu à une mesure de réparation, validée par tous les acteurs et en premier lieu par l’auteur de la transgression. « Si l’élève fait quelque chose, cela a un sens » et c’est sur ce sens que l’intérêt se porte. Pour que son expression surgisse, les mots s’apprivoisent, ceux des sentiments, ceux qui à l’adolescence restent souvent tapis, ceux qui tranchent avec les expressions émaillant la vie de tous les jours, ceux qui se relient à un besoin tu ou ignoré.
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Sur les murs de sa classe, Pascal Gbahode a affiché des images de sentiments et de besoins. On y trouve aussi une liste de 240 besoins et une liste de 1054 sentiments classés en 11 catégories émotionnelles, élaborées par Jean-Philippe Faure. A-t-on besoin d’air, de relaxation, de fantaisie, de structure ? Se sent-on placide, embrouillé, blindé, jaloux ? L’étendue des mots laisse à chacun la liberté de choisir le plus en correspondance avec ce qu’il ressent. Lorsqu’un élève en cours manifeste par son comportement une difficulté à respecter les règles, à être dans le cours, l’enseignant lui demande d’exprimer ce qu’il vit. Invariablement le visage se tourne vers le mur pour y puiser les termes qui l’aident à comprendre et à dire le besoin, le sentiment.

La démarche en début d’année réclame du temps qui au fur et à mesure se rattrape par la facilité à apprendre dans un climat paisible. Elle demande aussi à l’enseignant de déstructurer sa façon de faire cours. « Il faut accepter de ne pas faire ce qui est préparé à l’avance pour s’adapter, être à l’écoute de ce qui est proposé, laisser les élèves trouver leur propre stratégie ». La confiance s’installe en laissant la place à l’erreur, en montrant ce qu’elle apporte dans le raisonnement, dans l’approfondissement d’une notion que tous n’ont pas compris. Elle amène à une prise de conscience chez chacun que la réussite est possible, en empruntant une voie d’apprentissage adaptée. « Il faut laisser l’ouverture au vivant et valoriser tout, tout le temps ».

Cette approche est sans doute la plus difficile à partager avec les autres enseignants car en rupture avec la préparation quasi linéaire des cours. Elle suppose de maitriser les contenus tout en lâchant prise avec une progression préétablie. Pourtant, dans son collège, un tiers des professeurs s’accaparent progressivement une démarche impulsée et soutenue par la CNV. Les résultats en sont sans nul doute la cause. Outre les progrès en mathématiques, les comportements se tempèrent avec une forte auto-régulation. L’enseignant mise sur le jeu pour donner le gout d’apprendre et renforcer la cohésion dans le groupe surtout en début d’année. La pratique se prolonge dans un atelier qu’il anime, ouvert à tous les collégiens.

Il regarde aussi vers l’extérieur, vers les sarcellois qui réussissent, loin des clichés accrochés aux perceptions sur la ville. Cette année, il a organisé un forum des métiers où des parents, des voisins, ont témoigné sur leur profession. La réussite aujourd’hui et demain, en prenant conscience de ses capacités et de ses émotions, l’objectif se vit à l’aulne d’une communication interpersonnelle exempte d’agressivité.
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La remise du prix du public lors de la Journée de l’innovation

Dans son établissement est également organisée depuis juin 2012 une médiation par les pairs présentée en début d’année lors d’un théâtre forum. Auparavant, des élèves de 5e et 4e volontaires ont été formés comme l’ont été en parallèle des adultes du collège, principalement des professeurs. Les deux groupes se sont rejoints à la dernière phase, préalable à la mise en place pour en définir les principes et les modalités. Quels champs d’intervention, quels types d’actions peuvent être régulés par les élèves et à quelles conditions ? « Les élèves ne doivent pas porter le poids de la résolution du conflit. Ce n’est pas l’élève formé à la médiation qui trouve la solution » précise l’enseignant. Ils repèrent les conflits en germe, les signalent ou incitent les protagonistes à déterminer une issue. Là encore, les résultats se constatent rapidement.

Les médiateurs prennent confiance en eux et dans les adultes. Le résultat de 79,8% de réussite au brevet a donné une belle traduction aux nombreuses actions réalisées pour faire du collège Victor Hugo un lieu de réussite. L’initiative a été récompensée lors de la journée de l’innovation organisée par le Ministère de l’Éducation Nationale. Pascal Gbahode s’en réjouit, y voyant là une possibilité de partager avec d’autres établissements la pratique de la CNV et de la médiation par les pairs. Pour l’an prochain, on lui propose une décharge pour former à son tour dans des écoles.

La réussite est-elle nichée dans des relations réinventées au sein des établissements scolaires, où une attitude d’accueil remplacerait le jugement et où l’élève construirait sa propre stratégie d’apprentissage ? Progressivement, l’approche essaime jusque dans des centres sociaux pour apaiser les relations entre les habitants d’un quartier, rendre possible un vivre ensemble harmonieux et tolérant. En ces temps mouvementés, Pascal Gbahode nous raconte simplement que miser sur l’humain est encore une valeur sure, gage d’une société apaisée.

Monique Royer