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L’éducation d’abord, l’orientation ensuite

Vous dites de ce rapport « le remède ne correspond pas au diagnostic » : quel est donc le diagnostic ? En quoi le remède ne convient-il pas ?

Le rapport du délégué à l’information et à l’orientation (DIO) explique le taux de chômage élevé des jeunes par le faible recours à la formation en alternance : « Peu de jeunes cumulent la poursuite d’études et un emploi, ce qui rend plus difficile qu’ailleurs leur accession au premier emploi, du fait de leur manque d’expérience du monde du travail. » L’un des handicaps de notre système éducatif est d’être « insuffisamment tourné vers le monde des métiers et de l’insertion professionnelle, ce qui traduit la méfiance que ces acteurs nourrissent encore trop souvent à l’égard de l’entreprise. »
Un deuxième constat porte sur l’organisation en France de l’aide à l’orientation, assurée par un nombre considérable d’organismes. Cet ensemble est très complexe, peu compréhensible pour les usagers et pas du tout coordonné ou articulé.
Enfin, un troisième constat porte sur la nécessité d’une pratique de l’orientation-formation-insertion tout au long de la vie. Les évolutions très rapides des technologies et de l’économie imposent des changements professionnels au cours d’une carrière.
Comment un service public d’orientation, qui est un service à la personne et non pas un dispositif d’orientation des personnes, peut-il répondre à un tel diagnostic ? S’occuper de son orientation demande un minimum d’énergie, d’estime de soi et de confiance en l’avenir. Est-ce en voyant un logo sur une porte que le jeune décrocheur aura envie de la franchir pour s’interroger sur son orientation ?
Au fond, il est normal que le remède repose sur la volonté individuelle lorsque le diagnostic identifie les problèmes seulement au niveau des personnes et non au niveau des processus sociaux.

Vers quoi faudrait-il donc tendre ?

Il serait tout d’abord souhaitable de s’interroger sur le statut de ces faits sociaux que l’on ne peut nier, mais que l’on ne peut pas non plus naturaliser. Ils sont des produits, notamment du fonctionnement de notre système scolaire.
Depuis la fin du XIXe siècle, notre système est organisé par la question fondamentale du passage dans la classe supérieure, cette question s’étant structurée par la suite dans nos procédures d’orientation (voir mon billet de blog du 1er décembre 2010, « Notation et orientation se tiennent la main ».
Ainsi toute production scolaire, une réponse orale, un devoir, une attitude servent à évaluer l’élève. À tout moment, l’enseignant français doit pouvoir porter un jugement sur un élève, avec des conséquences sur son statut scolaire. Ce fonctionnement s’est emballé après la suppression des compositions trimestrielles, en 1969, puis la mise en œuvre des procédures d’orientation depuis 1973. Une des conséquences pour l’élève, c’est que le temps de l’apprentissage n’est jamais protégé. La sécurité permettant la maturation n’est pas de mise dans notre système. Comme le dit Philippe Jamet dans son excellent billet de blog du 14 octobre 2011, « Réflexions autour du droit à l’excellence », l’estime de soi est mise à mal, il n’y a pas de développement de la culture de la responsabilité et encore moins de la valeur de l’erreur. À cela je rajouterais que la créativité et le travail collaboratif entre élèves sont trop rarement favorisés.
Il existe depuis quinze ans des tentatives d’éducation à l’orientation[[Le dispositif actuel est le parcours de découverte des métiers et des formations, PDMF.]]. Mais comment ces actions, ces dispositifs peuvent-ils avoir un effet éducatif dans un contexte qui repose sur la contrainte et non sur l’autonomie des individus ? Autrement dit, leur efficacité réclame une modification en profondeur du fonctionnement de tout notre système éducatif, dont un des piliers se trouve être les procédures d’orientation (voir notre billet de blog du 7 septembre 2010, « La résistance des procédures d’orientation, jusqu’à quand ? ».

Dans les programmes électoraux des différents partis, avez-vous repéré des initiatives intéressantes, des insuffisances ?

Deux grandes idées s’affrontent, pour simplifier : un retour en arrière avec une école qui sépare les bons des mauvais ; un rapprochement avec le modèle finlandais qui rassemble les élèves dans une école fondamentale liant école primaire et collège. Le premier modèle a été repéré par Nathalie Mons comme le modèle le moins performant au regard de PISA. Il ne ferait qu’empirer le renforcement des différences sociales.
Je défends une évolution de notre système vers le deuxième modèle, en étant conscient d’un certain nombre de difficultés.
D’abord, l’école fondamentale (école primaire et collège) suppose une réorganisation des corps professionnels enseignants. Difficile de maintenir le corps des professeurs de lycée et collège.
Ensuite, pour atteindre réellement l’obtention du socle commun par tous les élèves, il est nécessaire de libérer le collège de la fonction d’orientation post-3e. Il est donc nécessaire également de réorganiser l’ensemble du « deuxième secondaire », lycée et lycée professionnel.
Enfin, ces modifications structurelles reposent sur des modifications tant des pratiques pédagogiques que des modes de fonctionnement des établissements, ce qui suppose une évolution des rôles professionnels et des emplois du temps.

Bernard Desclaux
Formateur à l’école supérieure de l’Éducation nationale pour la formation des directeurs de CIO
Propos recueillis par Nicole Priou


Sitographie

Le rapport de Jean-Robert Pitte sur l’activité et les propositions de la Délégation à l’information et à l’orientation en 2010-2011 est disponible sur le site www.arifor-ressources.org
Les blogs mentionnés dans cet article :
blog.educpros.fr/bernard-desclaux
blog.educpros.fr/philippe-jamet