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L’éducation artistique et culturelle : un combat, encore et toujours

jean-charles-leon.jpgLa réflexion autour du dossier sur l’éducation artistique et culturelle (ÉAC) a commencé en novembre 2015. Nous ne savions pas encore que notre monde entrait dans une aire radicale. Mais alors que des évènements sanglants rythmaient les mois, je vivais dans le paradoxe des articles heureux, inventifs, enthousiastes même qui m’étaient proposés. Une collègue fait danser ses élèves sur le rythme de leurs phrases, un autre fait dessiner la description de tableaux à des élèves abimés. Un collège se mobilise pour un Printemps culturel pendant lequel des professeurs jouent de la clarinette, des élèves font la lecture à des petits de maternelle. Un étendard parcourt le monde, des chœurs envahissent des classes par surprise pour dire de la poésie ; un collège, au milieu d’une forêt tropicale, plonge ses élèves dans leurs racines ; des adolescents mettent en récit la vie des occupants de la maison de retraite voisine.

L’institution ne s’y est pas trompée : l’ÉAC est d’importance, l’ambition grande. Déjà, en 2005, une circulaire en fixait les objectifs généraux ; en 2013, le parcours d’éducation artistique et culturelle (PÉAC) voit le jour. À l’égal des autres parcours, il est en lien étroit avec l’acquisition du socle commun. En 2016, une charte est publiée ; parmi les dix principes clés figurent l’exigence d’accessibilité de l’art à tous, la fréquentation des œuvres, la pratique et la rencontre. Mais surtout, l’affirmation que la culture est un lien qui permet au jeune de s’inscrire comme sujet du monde. L’organisation de ce dossier adopte ces principes : pratiques culturelles, pratiques artistiques, rencontres et, in fine, éléments de mise en place du PÉAC.

Mais peut-être faudrait-il s’entendre sur ce que sont l’art et la culture ? Je ne répondrai évidemment pas à une interrogation remise sur le métier par des générations d’artistes ou de philosophes ; il a fallu faire un choix. La culture est, parmi ses multiples acceptions, ce qui fait lien, ce qui permet aux humains de vivre ensemble, « le lot commun de l’humanité auquel des individus et des groupes peuvent contribuer et d’où chacun de nous pourra tirer quelque chose », écrit Winnicott dans Jeu et réalité. Elle lie le sujet à son passé dans une transmission transgénérationnelle où il devra un jour s’inscrire. Elle lui impose le renoncement à la satisfaction immédiate des pulsions au profit du désir qui permet de se projeter dans le futur de la vie. La culture sans le lien humain, je le crois, est mortifère : « À Paris, en cet automne de larmes et de sang, des portes se sont ouvertes, des actes et des paroles de consolation ont été spontanément trouvés. Ces actes et ces paroles faisaient bien plus que consoler : ils maintenaient la vie, la solidarité, l’engagement1. »

L’art est pratique. C’est l’expression du sujet dans un lieu qui n’est ni soi, ni l’autre, un endroit de création dans lequel il pourra « s’expérimenter multiple et différent[[Jean-Pierre Klein, Michel Hénin, Psychothérapie d’enfants et d’adolescents, HD Psyc’, 2013.]] ». L’expérience ouvre un espace que Winnicott, encore lui, considérait comme sacré dans la mesure où le sujet y fait l’expérience de la vie créatrice.

Nous sommes loin de l’animation, de l’occupationnel. Vouloir, comme le préconisent certains hommes politiques, centrer l’enseignement sur les fondamentaux ne peut se faire qu’aux dépens de l’ÉAC. Cette posture touchera d’abord ceux qui n’y ont pas accès chez eux. L’ÉAC est sinon la clé, pour le moins le ciment, le ferment d’un changement lui aussi radical, celui qui enracine, un nouveau pacte d’humanité. L’art, écrivait Tolstoï, « est un moyen d’union parmi les hommes2».

Mêlant passé et présent, l’interpsychique et le sociétal, l’ÉAC est une arme politique redoutable contre les forces de déliaison et de déshumanisation.

Jean-Charles Léon
Professeur de musique à Saint-Germain-sur-Morin (77)

Notes
  1. René Kaës, L’idéologie, l’idéal, l’idée, l’idole, Dunod éditeur, 2015.
  2. Léon Tolstoï, Qu’est-ce que l’art ?, PUF, 2006.