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L’écriture extrascolaire des collégiens (des constats aux perspectives didactiques)

On ne saurait trop recommander aux enseignants de français en collège (mais pas exclusivement eux d’ailleurs) de lire cet ouvrage original, novateur, qui allie rigueur d’analyse et clarté dans la mise en forme de propositions réalistes, mais très fécondes.

L’auteur, universitaire à Rouen, a mené un travail d’enquête en collaboration avec plusieurs enseignants du groupe MAFPEN  » maîtrise de la langue « , lesquels connaissent bien le collège, sur un sujet finalement très neuf : est-ce que les collégiens  » écrivent  » en dehors du cadre scolaire, et si oui, quels types d’écrits ? Et à partir de là, peut-on en tirer des idées pour la pédagogie du français ?

Pour cela, M.-C. Penloup a fait passer un questionnaire à plusieurs centaines d’élèves de collèges représentatifs de l’Académie de Rouen, sur les pratiques d’écriture, après une préenquête où il était demandé par exemple  » si vous deviez enquêter sur les pratiques d’écriture de vos condisciples, quelles questions poseriez-vous ? « .

Le livre aurait pu, à la manière de celui de Baudelot sur la lecture des jeunes ( » Et pourtant ils lisent ! « ), s’intituler  » Et pourtant, ils écrivent ! « . Car ce qui ressort de manière indiscutable de l’enquête (et d’entretiens semi-directifs menés à la suite), c’est que les pratiques d’écriture sont fort répandues ; certes davantage chez les filles que chez les garçons, mais pas seulement chez les bons élèves, bien au contraire pour certaines catégories de textes.

Certes, certains de ces écrits ne sont pas  » nobles « . Les  » listes « , le copiage, les  » blagues « , autant d’écrits peu valorisés par l’école Et pourtant, l’auteur montre que ce peut être une marche d’accès vers le culturel et qu’on peut trouver des échos, y compris dans la littérature, de ces pratiques (la liste à la Pérec, l’ouverture vers la polysémie du langage avec les histoires drôles, la citation pour le copiage).

Après avoir recensé les pratiques mises en avant dans l’enquête, dans leur diversité, après avoir noté les effets de l’enquête elle-même sur les élèves (beaucoup notent le plaisir qu’ils ont eu à répondre aux questions, la découverte qu’ils ont faite à cette occasion que, effectivement, ils  » écrivaient « ), l’auteur s’intéresse au réinvestissement possible en classe. Certes, il ne s’agit pas de tout mélanger et de s’immiscer dans les écrits intimes. Mais bien plutôt d’établir des ponts, de partir de ces pratiques modestes, mais fortement ancrées affectivement, pour améliorer la maîtrise de l’écrit, faire réfléchir les élèves sur le rôle que joue l’écriture, sur les rapports qui s’instaurent entre le moi et le monde par cette médiation M.-C. Penloup écrit notamment (p. 79)  » La prise en compte de l’écriture personnelle spontanée, loin de menacer l’enseignement du littéraire, peut constituer au contraire, à certaines conditions, un tremplin pour y accéder.  »

Tous les écrits ne sont pas examinés en détail. L’auteur s’intéresse à ceux que nous avons cités plus haut, ainsi bien sûr qu’au journal intime. Pour chacun de ces types, un chapitre comprenant un renvoi au questionnaire ou aux entretiens, une analyse sur le plan linguistique et sur le plan culturel des pratiques liées à cet écrit, et des propositions de travail en classe, sans oublier le relevé des outils existants (référence aux Instructions officielles, manuels, ouvrages, articles – dont certains du dossier des Cahiers  » lire-écrire à la première personne « ).

On trouvera donc une mine d’idées et de suggestions, souvent directement  » opérationnelles « .

À la lecture des phrases d’élèves, piochées ici ou là, on aura aussi envie (c’est mon cas !) de mener une telle enquête avec ses élèves, de leur faire davantage parler de leurs propres écrits. M.-C. Penloup rapproche certains passages du Plaisir du texte de Roland Barthes des déclarations par exemple d’Arthur, élève redoublant, qui, lorsqu’il ne fait pas du VTT, passe son temps à recopier des textes,  » pour le plaisir  » ou d’Élodie, bonne élève de 5e qui, quand elle commence à copier, ne peut plus s’arrêter et pour qui l’écriture,  » c’est une passion !  »

Dans les salles de professeurs, on entend beaucoup dire que les élèves sont, pour la plupart, définitivement fâchés avec l’écriture et on se désespère. Et si on allait y voir de plus près, et si on partait davantage des réalités trop méconnues, en s’appuyant dessus au lieu de les ignorer, voire de les mépriser. Que les partisans du  » haut niveau  » se rassurent : les objectifs de l’enseignement du français restent les mêmes, mais les chemins pour y parvenir peuvent être autre chose que des voies royales. Puisse le travail de M.-C. Penloup (qui s’inscrit dans la lignée des recherches de Lahire, Lejeune et de l’équipe ESCOL sur le rapport au savoir) ; avoir des prolongements…

Jean-Michel Zakhartchouk