Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

L’école dans son droit

Dans cet ouvrage, André Legrand explore l’évolution du rapport de l’école à l’intervention judiciaire. « Les questions qui se posent au sein des établissements scolaires ne sont plus hors d’atteinte des tribunaux et cette évolution est très mal perçue dans les établissements scolaires. » Il détaille nombre d’affaires, connues ou peu médiatisées. Il en donne un récit toujours d’une très grande clarté, une mise en perspective historique et surtout, les significations actuelles globales par rapport à la place de l’école dans la société. La première partie traite des principes fondateurs : liberté, égalité, neutralité. La liberté en jeu est celle des familles, des enseignants, de l’État : autant de libertés qui se heurtent parfois : liberté de choisir le mode d’enseignement de ses enfants, voire de choisir leurs écoles. Liberté pédagogique du maître. Une évolution générale du droit tend à protéger les individus de l’arbitraire des administrations mais les notions de conseil d’école, de communauté éducative sont vécues comme une « perte de pouvoir » par les enseignants.
La discrimination positive en France est une traduction des idées de John Rawls, pour compenser la reproduction sociale que l’école accomplit, reproduction fortement critiquée dans les années soixante/soixante-dix. Mais, à la différence des USA d’où cette politique vient, la France se refuse à reconnaître l’existence de groupes infra-étatiques en situation de faiblesse (groupes ethniques en fait). C’est donc par le territoire que ces populations sont visées. Il y a là un impensé de la discrimination positive qui opacifie le débat. La carte scolaire relève d’un problème similaire : conçue pour l’égalité des droits et notamment la garantie d’être scolarisé près de chez soi (s’appliquant par exemple aux handicapés, mais assez mal), elle est devenue un instrument de ségrégation, en elle-même et par les contournements (y compris des lycées prestigieux qui refusent illégalement certains élèves de leur secteur). La question sous-jacente est de savoir si la qualité du service public d’éducation s’obtient par son organisation étatique verticale ou par une certaine concurrence entre établissements sous contrôle d’un État donneur d’ordre. La France affirme son choix de la première solution et pratique en fait une navigation entre les deux. La neutralité entraîne la vaste question de la laïcité de l’État, contrepartie du caractère obligatoire de l’instruction. À l’école, elle s’applique de plus au contenu de l’enseignement. D’où les questions sur l’enseignement des religions. La laïcité hésite entre « refus du religieux dans l’espace public » et « pluralisme et principe de neutralité » (loi d’orientation de 1989). L’application de cette laïcité est inégale selon les religions (les aumôneries, le jour de vacance hebdomadaire, les retraites des communions solennelles.). Les tenues vestimentaires ont fait l’objet d’une loi à la suite de toutes sortes de péripéties et de moments contradictoires. André Legrand en fait un récit abrégé et complet, calme et circonstancié. On est passé de « l’obligation de neutralité ne saurait s’imposer aux élèves » à un renversement de la perspective. L’enjeu est la « pénétration du droit de la société civile dans l’école ou l’abandon à la porte de l’école de droits reconnus partout ailleurs » et c’est la sanctuarisation de l’école qui a gagné. La seconde partie traite de ce qu’on appelle la juridicisation de la société, dont les enseignants se sont aussi servis contre les parents. En 1899, la loi a substitué la responsabilité de l’État à celle des fonctionnaires, renforcée, en 1937, par le « régime de la faute prouvée » en remplacement de la « présomption de faute ». Cette protection de l’enseignant est contestée, comme le détaille l’auteur dans une série de jugements faisant jurisprudence, entraînant un sentiment (excessif) de « pénalisation » du métier d’enseignant. Bien des débats et plusieurs réformes ont abouti à la loi dite Fauchon du 20 juillet 2000 qui, par la notion de « négligence grave », rééquilibre les préoccupations contradictoires. La montée des incivilités et des violences scolaires justifie une demande croissante d’autorité et de répression (entre autres, une circulaire de 1998 demande le signalement de toute conduite pénalement répréhensible dans et aux abords des établissements scolaires). Les enseignants utilisent parfois un « droit de retrait » dans une extension très contestable de ce droit. Cela met en jeu l’ensemble des relations entre les acteurs de l’école qui devraient, selon la loi de 1989, être régies par une coresponsabilité, la « communauté éducative ».
Un très bon livre, une somme d’exemples et de situations joliment contés, finement analysés et porteuses d’un regard utile sur l’état de l’école et son évolution en cours.

Roland Petit