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L’autorité éducative, déclin, érosion ou métamorphose

Cet ouvrage collectif coordonné par Eirick Prairat, n’entend bien sûr pas se lamenter sur la perte d’une mythique autorité perdue. Mais, puisque nous ne pouvons pas faire comme si tout allait sans inquiétudes du côté de l’autorité, il s’agit de trouver définitions et travaux de terrain qui permettent de mieux comprendre ce qui se passe.
L’ouvrage est composé de deux parties : la première aborde « l’Autorité et la Modernité » et la seconde « l’École et l’Autorité ». Un ensemble un peu hétéroclite, pour un panorama qui traverse le temps (des fondements de l’humanisation, en passant par la création des Cahiers pédagogiques, jusqu’à nos jours), l’espace (des banlieues marseillaises aux campagnes isolées de la Meuse) et croise des idées, des recherches et des principes, clefs d’une réflexion constructive.
L’autorité est définie par plusieurs auteurs selon la perspective d’Hanna Arendt, entre autorité statutaire (le pouvoir dont sont investis certains par leur fonction) et autorité personnelle (d’auteur, fondée sur le prestige de la personne indépendamment de son statut), auxquelles vient s’ajouter la capacité (personnelle à faire fonctionner le statutaire). Bruno Robbes parle de ces trois formes d’autorité comme d’« être » l’autorité, de l’« avoir » et de la « faire ». Il établit en outre la reconnaissance comme élément essentiel d’une autorité. C’est que l’éducateur est chargé d’accueillir le nouveau venu dans son monde, usant d’autorité pour le rendre plus léger, pour rendre la culture plus proche et plus lisible. L’autorité est bien plus qu’un rapport psychologique dissymétrique entre deux êtres humains : elle a une signification anthropologique et suppose une référence idéale commune (le monde, la société, un champ de savoir, une pratique…) dans laquelle l’un permet à l’autre d’entrer.
Pour Myriam Revault d’Allonne , il faut distinguer pouvoir et autorité. Le pouvoir dit-elle, est une fonction de l’espace, celui qu’il permet de conquérir. L’autorité est une fonction du temps, soit du passé, soit du futur : l’autorité vient en effet soit d’une reconnaissance des traditions historiques, que l’on transmet, soit d’une construction de projets pour l’avenir, que l’on partage. Pour la philosophe, après des siècles de respect tout tournés vers le passé, après un vingtième siècle de rêves tournés vers l’avenir, l’autorité d’aujourd’hui se décline (difficilement en ces temps de présent-roi) selon des aller-retour entre ces deux attitudes.
Stéphanie Rubi questionne le sexe de l’autorité. Ses recherches en socio-anthropologie de l’enfance, basées depuis 1998 sur ce qu’en disent des adolescentes caractérisées par leur opposition à l’institution scolaire (les « crapuleuses » de son ouvrage de 2005 paru aux PUF) se poursuivent. Le discours et les attributs sexués employés par ces adolescentes dans les entretiens de recherche sont stéréotypés et stéréotypants : les enseignantes femmes sont « vieilles » ou « font leurs belles » tandis que les hommes ne reçoivent pas de qualificatifs particuliers. Pourtant, hommes et femmes subissent des comportements violents de ces adolescentes. Les actes réels d’opposition à l’institution ou aux personnes ne semblent pas faire la différence entre les sexes. Les actes s’en prennent au pouvoir et à l’influence, et réduisent ainsi la notion d’autorité à celle de pouvoir. Mais le pouvoir n’est pas l’autorité.
Dans sa contribution, Eirick Prairat ne parle pas de « crise » de l’autorité éducative, mais propose le terme « érosion ». Ce qui caractérise pour lui l’autorité est son influence libératrice, celle qui autorise à grandir (non sans quelques interdits). Sa faiblesse et sa grandeur sont de connaitre ses limites, cet étayage voué à disparaitre, cette référence passagère qui permet de se construire. L’image des nouveaux adultes est peut-être moins stable et assurée que par le passé, et si l’auteur choisit le terme « érosion » c’est que l’idée de transformation y est associée à celle de dégradation.
Il décrit cette érosion de trois manières : par une lecture sociologique, expliquant la baisse de l’influence de l’école, et d’ailleurs de la confiance dans toutes les institutions républicaines, par une lecture plus philosophique où il montre la place qu’ont pris les valeurs démocratiques et par une lecture anthropologique insistant sur le « sacre du présent » où l’homme post-moderne vit dans un temps désorienté, coupé de toute source et de tout projet. Ce qui rend difficile aux éducateurs la transmission du passé dans toute son épaisseur.
Jean-Michel Barreau compare les discours contemporains « autoritaires » aux discours « libertaires » soixante-huitards, qui font exactement la même erreur : ils prennent pour autorité ce qui n’en sont que les signes extérieurs qui ne s’imposent pas, mais se méritent et se gagnent : « l’ordre », le « respect », « la règle », « la politesse ».
La recherche de Benoît Dejaiffe qui conclut l’ouvrage, donne un exemple d’autorité partagée entre parents et enseignants dans une campagne isolée.
Notons encore une contribution qui nous intéresse particulièrement. Xavier Rondet étudie l’émergence de la question de l’autorité dans les années 1950 dans notre revue. Les auteurs des Cahiers pédagogiques d’alors voient de l’autorité surtout son côté coercitif et appellent à un nouveau rapport au temps et à l’espace. Le futur guide l’action pédagogique qui doit s’émanciper du disciplinaire et enseigner démocratiquement la démocratie. Bâtir une nouvelle société à partir d’un nouveau rapport au quotidien, basé sur la coopération plus que sur la compétition… Si la rhétorique citée semble passée, le fond reste bien marqué des mêmes préoccupations : faire de l’autorité institutionnelle, pas toujours confortable au cours de notre histoire, une autorisation à grandir, pour un futur peut-être moins idéalisé que celui qu’avec nos contemporains nous espérions. Reste bien ancré l’espoir d’un futur démocratique, sans autoritarisme. Et d’une éducation réellement émancipatrice.

Sylvie Abdelgaber