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L’autorité éducative dans la classe – Douze situations pour apprendre à l’exercer

Bruno Robbes, ESF, janvier 2010, 265 pages

Issu de sa thèse en sciences de l’éducation soutenue à Paris X Nanterre en 2007, l’ouvrage de Bruno Robbes s’appuie à la fois — et c’est l’une de ses originalités — sur une démarche rigoureuse d’analyse des travaux disponibles sur la question en croisant les perspectives et les angles d’approche : historique, psychosociologique, pédagogique et sur des situations quotidiennes vécues par des praticiens. La première partie examine l’autorité à travers l’histoire. Ce parcours qui va de l’Antiquité à nos jours en passant par la Renaissance, les Lumières et mai 1968 donne à voir le risque permanent de confusion entre autoritarisme et autorité. Les appels au retour de l’autorité alors même que les changements de contexte et les évolutions des sociétés questionnent toute forme d’arbitraire et de pression hiérarchique ne sont pas sans paradoxe. Ce qui conduit l’auteur à avancer l’idée que ce qu’on nomme crise de l’autorité « n’affecte pas l’autorité en tant que mécanisme sociétal de base, mais d’abord l’autorité dans ses formes autoritaristes »[[Page 25]]. Suit une seconde partie qui s’attache à redéfinir l’autorité. Pour ce faire, Bruno Robbes, après avoir mis de côté l’autorité autoritariste, l’autorité naturelle et ce qu’il nomme l’autorité évacuée en vient à caractériser l’autorité éducative comme « une relation statutairement asymétrique dans laquelle l’auteur, disposant de savoirs qu’il met en action dans un contexte spécifié, manifeste la volonté d’exercer une influence sur l’autre reconnu comme sujet, en vue d’obtenir de sa part et sans recours à la violence une reconnaissance qui fait que cette influence lui permet d’être à son tour auteur de lui-même ». Puis l’auteur, dans une troisième partie, propose d’identifier comment exercer une autorité éducative en examinant les savoirs d’action qui se manifestent dans douze situations vécues, racontées et analysées. Enfin, Bruno Robbes, s’appuyant sur sa double identité de chercheur et de formateur, formule dans une quatrième partie quelques propositions pour former les enseignants à l’exercice d’une autorité éducative.

On a déjà beaucoup écrit sur l’autorité. La consultation des treize pages de bibliographie à la fin du livre l’atteste si besoin était. Alors pourquoi lire ce nouvel ouvrage ?

Sans doute, déjà, parce qu’il met à disposition, de façon à la fois synthétique, argumentée et problématisée, les éléments saillants de ce qui a été produit par d’autres et cette mise en perspective de points de vue tels que ceux de Hannah Arendt, Gérard Mendel, Jacques Ardoino ou plus récemment Daniel Marcelli, Myriam Revault d’Allonnes, Marcel Gauchet, Jacques Pain, Alain Vulbeau et d’autres encore, est utile et éclairante.

Ensuite parce que le va-et-vient permanent entre les récits de situation qui rendent présente la pratique quotidienne des enseignants, les problèmes liés à l’autorité tels qu’ils les rencontrent et les éclairages psychosociologiques, voire anthropologiques, donne du poids à la thèse de l’auteur et à la conception de l’autorité qu’il cherche à promouvoir.

Enfin parce qu’il est utile qu’une réflexion argumentée fasse son sort à la prétendue autorité naturelle, au charisme, pour promouvoir une conception de l’autorité plus structurante et éducative. Une autorité rendue possible si on ne déserte pas la part « instituante » du métier. On retrouve là l’héritage de la pédagogie institutionnelle, référence très présente dans l’ouvrage.

Arrêtons-nous sur quelques points retenus, parmi les nombreux apports de ce livre dense, comme particulièrement dignes d’intérêt.

Les douze situations présentées dans l’ouvrage montrent qu’en classe, tout se joue à partir de ce que l’enseignant a capté – dans le feu de l’action – d’une situation. Ce que Philippe Perrenoud signifiait déjà en 1996, en intitulant l’un de ses ouvrages : Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Or, ce que l’enseignant saisit d’une situation dépend de ce qu’il peut voir, des inférences spontanées qu’il fait – à partir de son éducation, de son milieu, de sa culture, des modèles interprétatifs dont il dispose, de la conscience qu’il a – ou n’a pas – que la démarche d’observation est contre-intuitive et que sans vigilance, on procède à des raccourcis interprétatifs. Si le sens attribué à une situation s’appuie sur des indices parcellaires ou secondaires, on entrevoit l’impasse dans laquelle l’enseignant va se mettre : sa réponse à un faux problème ou a une situation mal décodée ne pourra être qu’inadaptée. Les chercheurs qui ont travaillé sur l’expertise enseignante1 mettent tous en évidence que novice et expert ne voient pas une situation de façon identique et que les maladresses du premier sont souvent liées à la non-adéquation entre la situation et la réaction, faute d’avoir su lire la situation en question. On appréciera donc l’importance accordée par Bruno Robbes à l’observation des élèves et au décodage des situations. Et on entrevoit bien qu’il y faut de l’entrainement, une méthodologie, des outils conceptuels : « Puisque nous avons établi que la qualité des informations prises par l’enseignant en situation […] orientait la qualité de ses actions, la mise en place d’un travail développant des savoirs relatifs à l’observation des actions des professeurs et des comportements des élèves dans les classes, où l’on cherche à comprendre et à expliciter l’intention derrière l’action, s’avèrent indispensables particulièrement en formation initiale » (page 237).

On peut toutefois lire de façon juste une situation et ne pas pouvoir répondre de façon adaptée. Et cette impossibilité de répondre avec justesse peut trouver son origine dans une appréciation inexacte de la place que l’on se doit d’occuper en tant qu’enseignant et éducateur. À cet égard, le développement de l’auteur sur l’articulation symétrie/asymétrie dans la relation éducative est tout à fait éclairant. Bruno Robbes nous rappelle justement que « la dimension statutaire de l’autorité des enseignants étant insuffisante à elle seule pour que l’autorité soit acquise d’emblée, celle-ci est aujourd’hui à construire en situation »(page 46). Elle n’existe, continue-t-il en citant Daniel Thin, que « si elle trouve un public prêt à l’accepter ». Il y a donc nécessité pour l’enseignant de tenir sa place, d’incarner et d’habiter sa fonction. Or, « la mise en question de la légitimité des énoncés de savoir, ajoutée au fait que l’école n’a plus le monopole de leur transmission, conduit à constater que l’autorité statutaire de l’enseignant ne peut plus se fonder exclusivement sur le savoir détenu » (page 61). Il s’agira donc pour lui d’assumer l’asymétrie qu’exige le fait d’occuper sa place dans l’ordre générationnel et institutionnel : un adulte avec des jeunes, un enseignant avec des élèves. Asymétrie qui ne conduit pas pour autant à ce que son autorité s’impose magiquement. Sa légitimation est à construire de façon sans cesse renouvelée, avec une dimension symétrique cette fois qui s’appuiera sur le contrat, le respect, la confiance, la reconnaissance. Ce positionnement subtil, entre symétrie et asymétrie, ne peut être le fait que d’un adulte autonome, « auteur de lui-même » capable de décider des principes qui gouvernent son existence, de répondre de ses actes et de ses choix dans un processus d’autorisation. Sans doute faut-il pour cela qu’il se fasse suffisamment confiance et se perçoive comme un éducateur « suffisamment bon »2. Il pourra alors, dans une relation éducative, produire « une autorité qui fait croitre l’autre dans le but qu’il accède lui aussi à la position d’auctor » (page 86).

Tout lecteur soucieux de mieux comprendre ce qui est en jeu dans la relation éducative et de travailler à construire un juste positionnement appréciera la qualité de la réflexion et sa portée éthique.
S’il était besoin de trouver des arguments complémentaires, on mesure, en lisant les deux dernières parties, à quel point ce qui va être mis en place en septembre 2010 en matière de (non-) formation et de recrutement des maitres est un non-sens et une aberration.

Bruno Robbes a reçu le prix Louis Cros 2009 pour ses travaux sur l’autorité éducative de l’enseignant.

Nicole Priou

Questions à Bruno Robbes

Bruno Robbes

Bruno Robbes

Votre ouvrage est issu de votre thèse. Si vous aviez à mettre en relief, pour nos lecteurs, une des conclusions de cette recherche, quelle serait-elle ?

Certainement la démonstration que l’autorité de l’enseignant n’est pas naturelle, mais qu’elle se construit en situation, par la réflexivité sur l’action, au moyen de savoirs d’action que l’on peut mettre au jour. L’autorité peut donc s’apprendre et j’avance le concept provocateur d’autorité éducative… en me référant à l’étymologie et à des travaux de paléontologie, d’anthropologie, de psychosociologie, de pédagogie qui le fondent au plan scientifique.

Un second point m’apparait capital dans la période actuelle. Il est urgent que les acteurs sociaux chargés d’éducation – et particulièrement les professionnels de l’école – revendiquent d’exercer cette autorité éducative, qui n’est pas un point d’équilibre entre autoritarisme et laisser-faire, mais une conception autre. S’ils ne s’emparent pas de cette question en y développant leurs réponses spécifiques, je crains que l’on accrédite dans l’opinion publique l’idée qu’ils sont décidément incapables d’assumer la fonction sociale d’éducation dans sa double dimension éducative et limitante et qu’en conséquence, on continue à les décrédibiliser en confiant à d’autres professionnels des tâches liées à la fonction éducative. Mesurons bien l’enjeu : la crédibilité, voire l’utilité sociale et la pérennité de l’institution scolaire sont en cause. En ce sens, parce qu’elle remet en question le bienfondé d’une formation professionnelle, la future formation des enseignants me parait extrêmement dangereuse.

Vous avez la double identité de chercheur et de formateur : votre recherche a-t-elle été nourrie par ce double positionnement ?

Mon travail de recherche est antérieur à mon activité de formateur. Les formations que je propose actuellement sont donc plus un prolongement de ma recherche. En fait, ce sont surtout mes questionnements d’instituteur, dès mes débuts de carrière, qui ont nourri ma recherche, avec une question-clé : comment l’enseignant s’y prend-il pour exercer son autorité ? Une autre question fondamentale que posait toujours Fernand Oury ne quitte jamais mes préoccupations actuelles de chercheur : qu’est-ce qui agit ?

Néanmoins, les documents élaborés pour la formation qui sont reproduits dans la quatrième partie du livre – sur les lois de la classe, l’autorité et le savoir, le respect, etc. – ont nourri ma recherche, notamment dans les dernières phases d’écriture, de synthèse et de mise en forme de ma pensée. J’ai toujours eu le souci que mes résultats puissent être utiles aux praticiens, donc transmissibles en formation.

Depuis que vous vous intéressez à cette question de l’autorité en classe, percevez-vous des changements dans les mentalités, dans la façon dont se pose la question ?

La représentation selon laquelle il existerait une autorité naturelle, la réduction de l’autorité à l’autoritarisme, l’incantation du retour à un mythique « âge d’or » sont toujours bien vivaces et ne disparaitront pas dans un avenir proche. Plus encore, la tentation des réponses simplistes et exclusives (répressives, médicales…) connait un développement très préoccupant. Par ailleurs et c’est paradoxal, l’évolution des mentalités dans le sens de l’individualisme tend de plus en plus à évacuer l’idée d’autorité. Les valeurs prônées par nos sociétés de consommation (plaisir immédiat, pulsion d’achat, toute-puissance infantile) sont aux antipodes de celles de l’école (sursoir à ses pulsions et adopter une certaine discipline, qui passe par l’effort et le plaisir différé pour entrer dans l’apprentissage et le savoir). Cela a évidemment des conséquences sur l’autorité des professionnels de l’école, dont la tâche est rendue plus difficile. Cela explique aussi certains troubles de comportement d’élèves un peu vite qualifiés d’« hyperactifs », leurs difficultés à se construire comme auteurs d’eux-mêmes du fait d’un cadre éducatif insuffisamment contenant. Je me demande véritablement quel projet notre société a à l’égard de sa jeunesse et quelles valeurs elle estime devoir transmettre.

J’ai quand même remarqué une évolution de la représentation selon laquelle l’autorité serait le propre du masculin (ce que des travaux de Georges Felouzis ou de Nicole Mosconi soutenaient). À condition de s’accorder sur l’idée que l’autorité ne se confond pas avec l’autoritarisme, certaines femmes enseignantes s’en sortent souvent beaucoup mieux que les hommes en terme d’exercice d’une autorité éducative, car elles sont moins tentées de recourir à la menace ou à l’usage de la force. Ainsi, elles développent très souvent des savoirs d’actions subtils et originaux, qui s’avèrent bien plus efficaces en situation.

Propos recueillis par Nicole Priou

Notes
  1. F.-V. Tochon, Ph. Astier, F. Saujat, etc.
  2. À l’image de la mère « suffisamment bonne » chez D.-W. Winnicott.