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L’actualité éducative au quotidien :  » École à vendre « 

Enfin, un vrai guide des lycées ?
Éditions du Seuil

Paris, le 11 octobre 1999

Chère, cher Collègue,

Voulant offrir aux parents un vrai guide de l’enseignement présentant l’ensemble des lycées publics et privés de la région Ile-de-France, je vous adresse ce questionnaire en espérant que vous pourrez prendre le temps d’y répondre.

Loin de vouloir cultiver le spectaculaire, ce guide, qui sera publié en mars 2000 aux Éditions du Seuil, a pour ambition de nouer un véritable dialogue entre l’école et les citoyens et de permettre une réelle réévaluation du service offert aux élèves, par rapport aux publications existantes.

Afin que la page consacrée à votre établissement soit la plus complète et la plus riche possible, je compte sur votre coopération et me tiens à votre disposition pour réaliser un entretien dont les points forts seraient présentés dans l’ouvrage.

Je vous prie d’agréer, chère, cher Collègue, l’expression de mes salutations distinguées.

Jacques Marseille, Professeur d’histoire Paris 1 Sorbonne, Directeur du Guide des lycées.


Dans la masse des publicités qui grossissent le courrier que nous recevons dans le lycée, celle-ci a retenu mon attention : cette lettre qui m’interpelle plutôt amicalement en me donnant du chère, cher collègue est signée d’un professeur d’histoire à l’université de Paris Sorbonne. Il veut offrir aux parents, (universitaire et philanthrope !) un vrai guide de l’enseignement. Le dévouement de cet homme de science à la cause publique n’a pas de limites : loin de vouloir cultiver le spectaculaire, ce guide a pour ambition de nouer un véritable dialogue entre l’école et les citoyens et de permettre une réelle réévaluation du service offert aux élèves, par rapport aux publications existantes.

Rassurée de ces intentions pures, je ne peux que répondre au questionnaire proposé en annexe. Pour les éléments descriptifs de l’établissement, (effectif par classe, options, etc.) pas trop de problème, quoique Suis-je bien inspirée de préciser si je suis classée en ZEP ou en zone sensible ? Ne vais-je pas faire peur aux familles ?

Pour répondre aux questions sur les résultats, à vrai dire, je n’ai qu’à remplir avec les informations que diffuse le ministère sur minitel et Internet : taux de réussite aux examens, pourcentage d’élèves de seconde obtenant le baccalauréat, etc. Suis-je encore bien inspirée de répondre à la question pourcentage d’élèves quittant l’établissement en fin de seconde ? Et comment vont réagir mes collègues : par exemple celui qui oriente les élèves dont il ne veut plus vers les sections de première qui n’existent pas dans son établissement ?

Au chapitre sur l’encadrement, mon sang ne fait qu’un tour : je me vois remplir consciencieusement les cases me demandant quel est le taux d’absentéisme des professeurs, le pourcentage des enseignants demandant leur mutation, les problèmes graves survenus dans l’établissement, le nombre de saisines du Procureur de la République. Le taux d’absentéisme ? Ah, chers parents, si les enseignants sont quelquefois absents, ils le sont si peu ! Mais ne vous inquiétez pas : ils se soignent et je les surveille de près. Quant aux problèmes graves survenus dans l’établissement, j’ai quelques vols de trousses et de mobylettes, probablement un peu de racket, pas d’agressions à ma connaissance, sans doute, comme partout un peu de consommation de produits si légèrement illicites : tranquillisez-vous, chers parents, les dealers restent sagement sur la voie publique. Je vous le jure. Tiens, le questionnaire a oublié d’évoquer la surconsommation de médicaments avant les contrôles de connaissances : il faudra que je demande à mon cher collègue universitaire de le rajouter. Certains lycées prestigieux ne passeraient pas le contrôle antidopage. Dans les saisines du Procureur de la République, faudra-t-il que je fasse le distinguo entre le signalement des enfants en danger et ceux qui se sont bagarrés pour un téléphone portable dans la cour de récréation ? Dois-je donner les motifs des conseils de discipline ?

Le chapitre intitulé les plus ne peut que me rassurer, je vais me rattraper et donner une bonne image.

Je n’ai pas d’options facultatives originales ; cependant, le conseil d’administration envisage sérieusement d’ouvrir un cours de bas breton littéraire pour combiner l’ouverture culturelle et le recrutement d’élèves brillants

Est-ce que j’évoque 1’encadrement social dont nous disposons ? Si les parents bien avisés croisent la rubrique ZEP avec le dispositif de soutien aux élèves en difficulté, le nombre de surveillants et la permanence d’un psychologue, ne risquent-ils pas de craindre pour les fréquentations de leur petit et vouloir l’inscrire dans un autre lycée ? Ne préféreront-ils pas s’attacher à la rubrique pour les établissements privés, indiquer les tarifs actuels, nettement plus rassurante sur le niveau d’homogénéité sociale ? Il me semble enfin que le cher collègue universitaire oublie encore un indicateur intéressant propre à éclairer la lanterne du citoyen parent : les entretiens préalables de pré-inscription et le niveau de moyenne trimestrielle en dessous duquel la demande d’inscription ne sera pas examinée.

Au chapitre environnement de l’établissement, je sens que je vais avoir une bonne note. Si je ne puis arborer les immeubles cossus d’un arrondissement prestigieux, j’avance comme un  » plus  » – j’insiste pour que cela soit noté dans le  » vrai  » guide – les deux magnifiques pieds de vigne qui étirent leurs pampres opulents dans la cour de récréation.

Au chapitre commentaires, je vous conseillerai, cher collègue universitaire, de rajouter quelques questions sur les conditions éducatives et pédagogiques qui favorisent la réussite des élèves et apportent sans aucun doute plus de valeur ajoutée à l’établissement que les performance et accessibilité des équipements informatiques.

Je préconiserai en outre d’ajouter à vos lectures celle du Cahier pédagogique n·354 sur l’effet-établissement qui vous aidera à concevoir autrement l’idée de l’efficacité de l’établissement scolaire.

Espérant que les valeurs républicaines guideront un jour vos pas, je vous prie de recevoir, cher collègue universitaire, l’expression de mes salutations distinguées.

Michèle Amiel, Proviseur lycée Évariste Galois.