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L’action Com’ens

Ce projet entre dans le cadre de la politique de la ville pour ce qui est de la prévention de l’illettrisme et fait suite aux recommandations développées dans le rapport Ringard[[À propos de l’enfant dysphasique et de l’enfant dyslexique, Fév. 2000.
http://www.education.gouv.fr/cid1944/a-propos-de-l-enfant-dysphasique-et-de-l-enfant-dyslexique.html
]]. Une maîtrise correcte du langage oral étant gage d’une bonne entrée dans l’écrit au CP, il s’agit de mettre en place des ateliers de stimulation langagière autour de l’album avec des enfants de moyenne section puis de grande section, susceptibles de présenter des troubles du langage, enfants identifiés comme ayant une fragilité potentielle en ce qui concerne leur développement langagier.
Jusque-là rien de bien original, si ce n’est l’intervention conjointe d’une équipe d’intervenants autour de l’enseignant de la classe ; équipe constituée par un membre du RASED et d’un orthophoniste. Ce partenariat a été préparé par une formation commune à l’Institut d’orthophonie de Lille qui s’est déroulée l’année dernière, année de mise en route de l’action. Cette formation a permis aux différents participants d’approfondir leurs connaissances théoriques sur le développement et les troubles du langage chez l’enfant et aussi d’apprendre tout simplement à mieux se connaître. La culture de l’Education Nationale n’est pas celle du monde de l’orthophonie, un enseignant de classe n’appréhende pas la difficulté scolaire comme un membre du RASED. Le regard, l’écoute du professionnel de l’orthophonie, plus familier avec une relation duelle avec l’enfant ne sont pas les mêmes que ceux de l’enseignant plus habitué lui à considérer l’élève dans sa globalité et comme un élément du groupe classe. Cette confrontation, sans a priori, s’est révélée très intéressante et a permis à chacun de modifier son regard sur l’enfant et ses éventuelles difficultés.

Une organisation assez lourde à mettre en place au départ

L’action a concerné deux écoles en secteur REP. L’inscription au Plan de Réussite Educative, indispensable pour la prise en charge des vacations des orthophonistes, ne pouvait se faire que sur des secteurs en difficulté sociale et sur des publics clairement identifiés. L’adhésion de l’équipe pédagogique des écoles était nécessaire afin de proposer un décloisonnement le jour de la stimulation langagière, pour permettre à l’enseignant de la classe de ne travailler, ce jour-là, qu’avec le groupe d’enfants identifiés. D’autre part, qui dit plusieurs intervenants, dit temps de concertations et d’échanges qu’il a bien fallu trouver sur le temps scolaire -temps de concertation sur la 26e heure- et aussi hors temps scolaire. La nouveauté du dispositif impliquait de plus que chacun trouve ses marques.

Concrètement

Un diagnostic est effectué dans le courant du premier trimestre afin d’identifier les enfants qui seront concernés par l’action. Les familles, dont on recherche systématiquement la coopération, sont prévenues afin de présenter le dispositif et de dédramatiser la possible intégration de leur enfant au groupe. Ce diagnostic est réalisé conjointement par l’enseignant de la classe, le maître du réseau et l’orthophoniste qui sera amené à faire passer éventuellement des tests plus « lourds » comme le PER 2000[[Le Protocole d’Evaluation Rapide élaboré par Pierre Ferrand est un test de dépistage individuel précoce pour enfants entre 3 ans 6 mois et 5 ans 6 mois.]] pour lever des doutes. Cette première étape franchie, les séances sont préparées et mises en place : une dizaine dans l’année scolaire à raison d’une tous les quinze jours. Les albums[[Quelques exemples : Pousse poussette de Michel Gay, Brosse et savon d’Alan Mets, Qu’est-ce que c’est que ça ? de Pascal Teulade et Jean]] qui serviront de support ont fait l’objet d’une sélection sévère, il faut qu’ils soient propices à susciter les productions langagières et les interactions chez les enfants. Ici la qualité littéraire ou graphique passe au second plan au profit d’illustrations sans ambiguïtés, de textes simples au vocabulaire accessible et de thèmes proches des préoccupations des enfants (relations parents enfants, absence…). Enfin pour passer avec succès l’épreuve de cette sélection, encore faut-il que les albums fassent l’unanimité de l’équipe. Chaque séance d’une durée d’une heure s’organise en deux parties : dans un premier temps, présentation commentée par les enfants des illustrations puis lecture de l’histoire, puis une activité autour du livre choisi ou du thème de ce livre. Jeux auditifs sur un sujet proche du livre, écoute de bruits, jeux de Kim où l’on va travailler l’attention, le tour de parole, la syntaxe et le lexique.

Au cours de l’atelier qui se passe généralement dans la BCD de l’école, un des membres de l’équipe présente l’album aux enfants. La découverte se fait page à page. À partir des illustrations, l’animateur stimule les productions langagières de chacun par des questions ouvertes, reformule les propos des élèves pour améliorer la syntaxe et l’enrichir. Il invite les enfants à faire du sens à émettre des hypothèses à partir des images de l’album.

Exemple avec l’album Pousse poussette de Michel Gay
S (animateur): Ah non, alors qu’est-ce qu’elle fait la grenouille si elle ne vole pas ?
B (enfant) : Elle pousse la poussette !
D: Et le renard aussi …
S : Et le renard aussi, il pousse la poussette.
C : et le nours aussi…
S : Et l’ours aussi.
C : Ben le chat, il pousse pas
S : C’est vrai, on dirait que le chat ne pousse pas la poussette. Je ne sais pas si Benjamin i voit bien la poussette, hein ?
B (enfant) : I voit bien avec ses lunettes.

Dans un deuxième temps, l’animateur, qui pourra être alternativement le maître de la classe, le maître E ou l’orthophoniste, lit le texte de la page aux enfants. Les autres adultes sont observateurs, prennent des notes sur les interventions des enfants. Dans le cas de groupes particulièrement toniques, l’un d’entre eux peut-être amené à jouer un rôle de modérateur auprès des enfants. Un ou deux parents sont invités à assister, voire participer, à chaque séance. Immédiatement à l’issue de l’activité, un temps est consacré à une mise en commun des remarques des observateurs. Les réactions et productions langagières de chaque enfant sont notées par écrit. Les remarques et les progrès sont consignés dans un cahier de suivi individualisé. Certaines séances sont parfois filmées et peuvent aussi donner lieu à des transcriptions des échanges. Quelques jours plus tard, une restitution de l’histoire est faite à l’ensemble de la classe par les enfants du groupe.

Prolongements

Le dispositif a vocation à se poursuivre au sein de l’école maternelle et l’école élémentaire en effectuant un suivi de la cohorte d’élèves. Par ailleurs, dans le cadre de l’animation de la circonscription nous avons mis à profit la dynamique du projet pour programmer un stage de formation continue sur le thème du langage oral en maternelle. Ce moment de formation a permis de restituer à d’autres enseignants, non impliqués dans le projet initial, les informations reçues l’année précédente à l’Institut d’orthophonie de Lille et de les sensibiliser à d’autres modalités de regroupement des élèves pour les ateliers de langage. En particulier, d’attirer leur attention sur les élèves faibles parleurs au sein du grand groupe, de ses élèves qui se fondent dans le groupe classe et dont d’éventuelles difficultés peuvent facilement échapper au maître. Il a aussi été l’occasion de réaffirmer l’importance de la maîtrise de la syntaxe chez les jeunes enfants et de réfléchir plus généralement à la mise en place d’une pédagogie de la langue orale.

Effets positifs chez les enfants … et les adultes

Dès les premières séances, les enseignants ont ressenti des effets positifs chez les enfants : prises de paroles plus fréquentes, plus affirmées et aussi allongements de la longueur moyenne d’énoncé. Un bilan intermédiaire nous permet d’ors et déjà, grâce au cahier de suivi, de mesurer les progrès des élèves qui avaient été repérés l’année dernière. Ce sont les premiers bénéficiaires du dispositif. Pour ce qui est des acteurs adultes, les changements sont aussi importants. Les enseignants des classes ont modifié leur regard sur les productions langagières des enfants. Leur sensibilité à ces problèmes a été particulièrement accrue et peut-être le plus important, leurs pratiques de classe en ont été modifiées -composition des groupes, activités proposées (utilisation de l’album, attention particulière aux feed back dans les conversations avec les enfants, meilleurs liens entre l’école et les familles…). Un autre intérêt de cette action était de travailler en groupe, groupe d’experts chacun dans son domaine mais qui trouvaient ici une vraie complémentarité. Les échanges entre acteurs permettent d’une part, de faire bouger les représentations des métiers de chacun et de développer une relation de confiance, mais aussi d’échanger les points de vue sur les difficultés et les possibilités des enfants. Les occasions de travailler véritablement en équipe ne sont pas si fréquentes dans l’Education Nationale, le nom de l’action « Com’ens », communiquer ensemble, prend pleinement son sens. Compte tenu des avantages provoqués par ces regards croisés de professionnels d’horizons différents sur l’enfant ; il serait intéressant de réfléchir à d’autres dispositifs qui permettent des passerelles entre les différents univers professionnels dans les périmètres concernés par le Plan de Réussite Educative et ailleurs.

Marc Baeckeroot, Conseiller pédagogique sur la circonscription de Dunkerque.