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Journal d’une institutrice clandestine

En racontant jour après jour ce qui ne va pas dans les IUFM, l’auteure met le doigt sur des éléments clés de la crise que connaît actuellement la formation d’enseignants et la formation d’adultes en général. C’est un fait, beaucoup de formateurs IUFM promeuvent ou condamnent des termes et des notions qu’ils ne prennent pas toujours la peine de définir : c’est le cas du « cours magistral », des « vieilles méthodes », de l’« apprendre à apprendre »… au point de donner à penser que la formation est avant tout une occasion d’affirmation identitaire et idéologique. De même, les nombreuses tentatives de singer les pédagogies actives et non-directives (notamment en usant et en abusant de questionnaires introductifs) face à un public qui a des attentes précises est maladroit et improductif. Enfin, ne consacrer que six heures de la formation annuelle de professeurs des écoles à l’enseignement de la lecture et de l’écriture relève de choix sans doute discutables, tout comme la priorité donnée systématiquement à la pédagogie par rapport à la didactique.
Mais au-delà de ces critiques non dénuées de pertinence, Rachel Boutonnet assassine l’IUFM en le regardant à travers une grille de lecture préalablement conçue et structurée. Estimant avoir acquis les repères nécessaires grâce à ses études de philosophie et à la lecture de De l’école (« ce fut pendant un an mon livre de chevet »), l’auteure, malgré une ingénuité feinte, a décidé de mener ce procès avant même d’en constater de visu la légitimité. Le ton de son journal, rédigé dès le premier jour de l’année dans le but clairement affirmé de dénoncer ce qui se passe dans les IUFM, est d’emblée hostile (« Je ne suis pas sûre d’aimer cette ambiance »). Aux origines du malaise, il y a d’ailleurs un malentendu sur ce en quoi doit consister la formation d’un professeur des écoles : alors que Rachel Boutonnet n’attendait visiblement rien d’autre qu’un enseignement lui apportant, dans toutes les matières, les connaissances permettant de traiter le programme de l’école élémentaire, elle n’admet pas qu’on réfléchisse sur les savoirs et les cours eux-mêmes et dénigre systématiquement toute attitude réflexive.
Dès lors, on ne sera pas surpris que rien ne trouve grâce à ses yeux. Au terme d’une réflexion délibérément subjective, très impressionniste et, cela va sans dire, sans références autres qu’une brève expérience personnelle, la distinction entre savoirs ponctuels, notionnels et conceptuels est décrétée inutile (p. 48), partir des représentations des élèves « ne sert qu’à perdre du temps », l’autoévaluation est démagogique dans son principe, la définition des objectifs des séquences revient à sacrifier à des « théories prétentieuses »… On passera sur les approximations (« l’apprenant doit être actif dans la construction de ses apprentissages ») pour constater que ce livre peut au moins nous apprendre que la mauvaise volonté conduit aux incompréhensions les plus graves. Il est d’ailleurs instructif que la deuxième partie de l’ouvrage, rédigée « à froid », un an plus tard, pour faire le point sur des préceptes pédagogiques entraperçus à l’IUFM, soit beaucoup plus nuancée : la critique de ces préceptes dénonce en général leur application exclusive et dogmatique, tout en en reconnaissant l’intérêt intrinsèque.
On signalera tout de même la position d’un problème de fond, p. 34 : « La finalité d’une séquence sur les dents est l’hygiène bucco-dentaire. Et moi qui pensais naïvement qu’il s’agissait de faire un peu de sciences naturelles ! » La question des finalités de l’École est posée, réactivant le débat instruction éducation. Mais le fait qu’il soit bien mieux posé ailleurs dispense de la lecture du livre de Rachel Boutonnet, sauf à vouloir mesurer à quel point les préjugés peuvent être dévastateurs.

Suzanne Bauer