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Jeune pousse cinéaste

A presque seize ans, Hugo Beltrami suit une première S, assortie d’une option cinéma à Chambéry. « Je suis passionné de cinéma depuis mon entrée au collège, par la fiction, la création d’histoire par le texte et par l’image ». Il est également le président de la junior association « Filmiz73 » créée il y a deux ans dans son village de La Rochette pour réunir des adolescents, à partir de douze ans, autour de la même passion : la réalisation de films de fiction. L’an passé, ils étaient 22, sans doute seront-ils plus nombreux cette année avec un élargissement à toute la Savoie.

La formule est simple et permet à des mineurs de gérer eux mêmes leur projet associatif. « Aucun animateur ou professionnel, aucun élu d’une collectivité ou d’une association, aucune personne ressource, parents, adultes, ne peut être membre ou représentant de la Junior Association » précise le site du réseau national. Ici, l’autonomie se manifeste aussi par le souhait de s’autofinancer par des captations de concerts, d’événements ou la réalisation de vidéos. Les commandes sont diverses : vœux de la municipalité de La Rochette, festival de reggae Grolenstock, cross, carnaval, mariages…

L’association est présente dans la vie locale pour enregistrer, garder les traces de ce qui l’anime. Elle affiche sa préférence pour un certain engagement, dans des actions aux accents écologiques ou citoyennes.

Premier court métrage

« T’inquiète pas », le premier court métrage, réalisé en 2014, raconte l’histoire de Guillaume, élève harcelé, battu par d’autres élèves. Avec lui, on vit ce lent processus qui conduit vers l’isolement, le silence, et pire encore. Hugo Beltrami a eu envie de réaliser cette fiction aux images fortes après avoir vu la campagne de sensibilisation diffusée par le ministère de l’Éducation nationale. Le témoignage du coureur Christophe Lemaître l’a touché, inspiré. « Je me suis dit pourquoi pas participer aussi, avec ce que je sais faire, la vidéo. »

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Il se documente, écoute des témoignages de parents dont les enfants se sont suicidés, morts de cette haine automatique, infernale, enfermante. « J’ai eu un véritable choc. J’étais ignorant sur le harcèlement, je n’était pas au courant que cela pouvait aller aussi loin, jusqu’au suicide ». Il écrit l’histoire d’une classe banale où l’on sent la violence monter crescendo jusqu’au moment fatidique. La première projection réunit 300 personnes. Le public composé de jeunes, de parents, d’enseignants semble touché par une fiction qui sonne vrai. Plusieurs médias relaient l’initiative, le film remporte un bel écho en Savoie, est diffusé dans des collèges où les membres de l’association participent au débat. « En novembre 2013, je regarde la vidéo sur le harcèlement avec Christophe Lemaître; en 2014, je suis à la même table que lui pour une conférence », s’amuse le lycéen.

La première réalisation est une réussite, en appelle d’autres et offre une belle carte de visite à l’association pour les financer. Le tournage d’un premier long métrage va commencer en octobre. « C’est une histoire qui se rapporte à l’adolescence autour d’une histoire d’amour, avec la découverte des sentiments, de la vie, du corps, la relation avec les parents, les enseignants ». Le budget est conséquent par rapport aux réalisations précédentes, une collecte participative a réuni une partie des fonds, des structures publiques et privées ont amené leur soutien.

Filmiz73 participera activement cette année encore à l’organisation de la journée « Nettoyons la Rochette », destinée à sensibiliser écoliers et collégiens au développement durable. Un court-métrage a été réalisé à l’occasion des deux dernières éditions, une façon créative d’enrichir la réflexion. Une nouveauté se glisse dans les projets en cours, celui d’une participation à un web documentaire sur les TDAH (troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité). Les vidéos seront réalisées par la junior association. Un micro-trottoir a déjà été tourné à Chambéry.

Faire témoigner les jeunes

Là encore, l’idée est éminemment pédagogique avec l’ambition de faire connaître, de sensibiliser, en s’appuyant sur des témoignages de jeunes de plusieurs tranches d’âge. Le message passe par une médiation orchestrée par des adolescents, un pari sur le sérieux d’apprentis cinéastes qui au fil des expériences acquièrent une expérience précieuse.

Filmz73 est une initiative épatante. Menée, gérée par des collégiens et des lycéens qui prennent en main leur propre envie de créativité, la traduisent en faits, elle trouve, par son sérieux, des relais dans le milieu local, auprès d’autres associations, des élus, des entreprises. Qu’elle se déroule dans un univers plutôt rural n’est pas anodin non plus.

Pour Hugo Beltrami, rien ne semble plus naturel que de s’investir ainsi dans une passion partagée. « Je ne fais rien d’autre à part étudier ». Le choix des sujets qui ouvrent vers une réflexion sur la société qui nous entoure coule aussi pour lui de source : « souvent je choisis le sujet pour un film à partir d’une image que j’ai dans la tête, quelque chose que j’ai vécu comme pour le long métrage. Je raconte ce que j’ai à dire, envie de dénoncer ».

Ses influences, il les situe du côté de Quentin Tarantino et surtout de Xavier Nolan. « J’apprends en regardant les films des autres, sans chercher à les imiter ». Il dit aussi qu’il a encore beaucoup à apprendre même s’il sent qu’il progresse constamment. Son apprentissage se réalise en collaboration avec les autres membres de l’association, en particulier Melanie Platel et Pierre Thaye, eux aussi lycéens. Aujourd’hui, il réaliserait différemment « T’inquiète pas » dont il remarque les défauts qu’il ne percevait pas alors.

Et plus tard…

Plus tard, logiquement, il voudrait faire de réalisateur son métier. « Logiquement », car il se définit avant tout comme quelqu’un de rationnel, doté d’un esprit logique qui l’a détourné des études littéraires. Après le bac, il souhaite entreprendre des études de cinéma même s’il s’interroge : l’art s’apprend-il dans une école ?

Dans quinze ans peut-être, Hugo Beltrami participera à d’autres tables rondes, d’autres conférences où ses réalisations illustreront une question vive de notre époque. Et pourquoi «peut-être» ? À quinze ans déjà, son expérience remplit de belles pages de créativité.

Monique Royer

Pour en savoir plus:
Le site de l’association Filmiz73 et sa page Facebook.
La bande annonce de « T’inquiète pas »