Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
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Jean-Pierre Astolfi (1942 – 2009)

Jean-Pierre Astolfi s’est impliqué très tôt dans les Cahiers pédagogiques, entrant au comité de rédaction de la revue en 1973, alors qu’il était professeur au collège expérimental de Marly-le-Roi. La revue appartient à cette époque à une Fédération des cercles de recherche et d’action pédagogiques, ces cercles organisés à l’échelle d’une ville ou d’une académie assurant en particulier des « rencontres » durant la période estivale, lieux de débats et d’échanges sur des questions pédagogiques. À la fin des années 70, force est de constater que l’association ne fédère plus grand-chose, touchée par le reflux du militantisme comme bien d’autres mouvements à cette époque. En mai 1978, elle se dissout au profit d’une seule association, le CRAP. C’est lors de cette même assemblée générale que Jean-Pierre devient à la fois président et trésorier de l’association, Abel Vintrou et Louis Larbaigt ayant souhaité passer la main. Un bureau se constitue pour structurer et animer l’association, avec, outre Jean-Pierre, Jacques David, Jacques George, Dominique Guy et Lucien Martin. C’est cette équipe qui doit également préparer des décisions majeures pour la revue. Alors qu’elle avait été longtemps éditée par l’INRDP (ancêtre commun de l’INRP et du CNDP actuel), elle en avait été évincée en 1972 sur décision du ministre Olivier Guichard, convaincu par les arguments de la société des agrégés qui la trouvait trop contestataire. La fabrication et la gestion des abonnements de la revue était assurée depuis par la Coopérative de l’enseignement laïc, qui éditait également L’éducateur de l’ICEM. En 1979, sous l’impulsion de la rédactrice en chef, Cécile Delannoy, et de Jacques Carbonnel, le CRAP choisit de devenir son propre éditeur. L’objectif est de raccourcir les délais de fabrication, qui passent de trois mois à un seul, dans la perspective d’une nouvelle formule de la revue, plus dynamique, plus ouverte à l’actualité, plus pratique aussi avec une partie consacrée à des fiches pédagogiques. Mais assurer une telle publication est une lourde charge pour l’association, et d’autant plus que les abonnements sont en recul, que les ressources financières sont grignotées par l’inflation. Chaque année les convocations du Conseil d’administration signé par Jean-Pierre mettent à l’ordre du jour la survie : « Devons-nous continuer ? » C’est parce que des militants comme lui ont consacré bien des heures à se coltiner les menus problèmes administratifs, les déclarations fiscales, la saisie des textes ou la fabrication artisanale de la maquette, que la revue et l’association ont pu se maintenir dans le fonctionnement indépendant qui est encore l’honneur aujourd’hui.

Patrice Bride, Dominique Guy


J’ai gardé une photo de Jean-Pierre, qui est liée à un moment fort ; c’est pendant la rencontre de Saint-Anthème, l’été 1981. Nous sommes quatre assis ou allongés dans l’herbe, et photographiés par l’amie Dominique Guy. À côté de moi, il y a Lucien Martin, Astolfi et Sabine Laurent. Lucien et moi, qui épaulions jusqu’alors la rédac chef Cécile Delannoy, nous passons la main : la victoire de la gauche va changer le paysage, mais aussi le statut des Cahiers, qui vont se réconcilier avec l’institution. Bonne occasion pour que se mette en place chez nous une nouvelle équipe. Nous parlons de cette succession et des nouvelles perspectives, non sans un petit pincement et sans quelques regrets, mais très libres dans nos têtes et avec confiance, puisque Sabine et Jean-Pierre vont être des éléments importants de la nouvelle équipe, où Cécile restera encore le temps qu’il faudra pour faciliter la transition. C’est de cela que nous sommes en train de discuter, à la fois très détendus et très graves.
Nous nous sommes longtemps retrouvés ensemble tous les quatre, avec les copains de ces années-là, dans les rencontres ou au comité de rédaction. Je me souviens d’un désaccord très ferme que le Jean-Pierre m’opposa, dans une discussion complexe et encombrée de non-dits autour du cahier Filles et femmes à l’école ; mais il le fit très posément et loyalement. Et j’ai compris qu’il plaçait avant tout l’unité de notre groupe, et ne supportait pas le sectarisme ; alors que je ne craignais pas les oppositions vives, au nom des saines doctrines, bien entendu.
Avec le recul, il est encore plus clair qu’Astolfi peut figurer à côté de Meirieu et d’Hameline — trois chercheurs-théoriciens de grande envergure qui sont venus un moment enrichir la réflexion de notre mouvement, de façon parfaitement désintéressée ; car tous trois pensaient plus large.
Jean-Pierre n’a pas hésité pour autant à mettre les mains dans le cambouis, et il a contribué à améliorer nos méthodes de travail, et à nous faire sortir, par des observations précises et des expérimentations utiles, de l’aimable amateurisme enthousiaste et brouillon qu’on rencontrait encore souvent dans nos débats.
Pour évoquer en deux mots nos relations personnelles, disons que j’estimais et que j’enviais la profondeur de réflexion à laquelle il s’appliquait — dois-je avouer que c’est un des seuls auteurs de livres pédagogiques que j’ai effectivement lus et même relus ? De son côté, j’ai l’impression qu’il m’a toujours regardé avec une estime amusée et parfois perplexe.
J’ai eu encore une fois le plaisir de le retrouver pour la soutenance de thèse d’Isabelle de Peretti. Et d’apprécier encore en lui deux très belles qualités : l’intelligence généreuse et une vraie bonté.

Philippe Lecarme