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Invitation à la métacognition

Depuis la célèbre distinction introduite par Jean Piaget entre « réussir » et « comprendre », la conscience de ses apprentissages constitue un objectif central de tout enseignement. De la maternelle à l’université, apprendre, c’est aussi savoir qu’on apprend et comment on y arrive. Dès lors, accompagner un élève ou un étudiant dans ses apprentissages, c’est également l’inciter à s’interroger sur ses manières d’apprendre et l’outiller de façon qu’il les contrôle délibérément. Le concept de métacognition vise précisément à rendre compte de ce regard second sur les apprentissages.

Comme tout nouveau concept débarquant avec fracas dans le monde de l’école, la métacognition, après son heure de gloire, a connu un passage à vide. Mais elle revient actuellement au-devant de la scène, dopée à la fois par un élargissement de son champ (notamment aux émotions), un ancrage disciplinaire plus affirmé et une caution renouvelée que des théories récentes lui ont apportée, telles que l’inhibition consciente au sein des nouvelles façons de concevoir l’intelligence. C’est de ce regain de dynamisme que ce numéro souhaite rendre compte en donnant la parole à des enseignants de tout niveau scolaire et en montrant, par la richesse de leurs pratiques, toute l’actualité des dispositifs pédagogiques visant à développer la métacognition.

La première partie montre l’étendue et la diversité des pratiques de soutien à la métacognition, en insistant sur la nécessaire adaptation des méthodes de développement de ce langage intérieur à l’âge des élèves. La deuxième partie offre des éclairages sur la plus grande prise en compte des spécificités disciplinaires dans le développement métacognitif, en langues étrangères, en sciences, en mathématiques et en français, y compris pour des exercices aussi canoniques que la dictée.

La question de l’extension des pratiques à de nouveaux domaines tels que la régulation émotionnelle et l’éducation au choix réfléchi ouvre la troisième partie. Cette partie entend également jeter un regard critique sur la métacognition, sa sinueuse histoire et les aspects de l’acte d’apprendre qu’elle pourrait contribuer, à son corps défendant, à occulter.

Ainsi, l’accès au recul métacognitif n’est ni automatique ni spontané chez tous les élèves. L’invitation à la métacognition peut dès lors se montrer potentiellement porteuse d’inégalités sociales si les enseignants ne prennent pas la précaution d’un entrainement explicite et étayé à son égard, au bénéfice de chacun des élèves. De la même manière, la prise de conscience des exigences d’une tâche ne relève pas de la seule lucidité des élèves qui y sont confrontés. Elle dépend avant tout de la clarification des attentes de celui qui la propose, ce qui ouvre à une autre question complémentaire mais tout aussi cruciale : la capacité de l’enseignant de rendre les enjeux d’apprentissage explicites et visibles par tous. Autrement dit, le développement de la métacognition des élèves doit s’accompagner d’un effort parallèle de dépliage métacognitif des tâches et de leurs enjeux par les enseignants eux-mêmes.

Marc Romainville
Professeur à l’université de Namur
Jacques Crinon
Professeur à l’université Paris-Est Créteil